INTERVIEW. Caroline Poggi et Jonathan Vinel au Festival de Cannes : "On aime vraiment filmer la Corse"

La réalisatrice corse Caroline Poggi a présenté à la Quinzaine des cinéastes à Cannes, aux côtés de Jonathan Vinel, son co-auteur et co-réalisateur, son deuxième long métrage : "Eat the night", un drame intime et apocalyptique tourné au Havre, mêlant cinéma et jeu vidéo. Leurs précédents films ont déjà été distingués à Berlin ou Toronto, mais Cannes était, pour eux, une première. Nos équipes les ont rencontrés.

Delphine Leoni : Caroline Poggi, Jonathan Vinel, vous êtes habitués des festivals. En 2015, vous avez même reçu un Ours d'or au Festival de Berlin pour votre court métrage "Tant qu'il nous reste des fusils à pompe". Votre premier long métrage, "Jessica Forever" a été sélectionné à Toronto. Mais c'est votre première à Cannes. Qu'a ce festival de si particulier ? Pourquoi tout le monde veut-il être à Cannes ?

Caroline Poggi : Toute la profession du cinéma s'y retrouve, donc c'est une vitrine extraordinaire pour les films, on sait qu'ils vont être vus, qu'on va en parler, en bien ou en mal. On ne sait pas trop à quelle sauce on va être mangés, mais en tout cas c'est une vitrine, la plus grande du monde et pour nous, je l'avoue, c'était assez réjouissant d'être sélectionnés à la Quinzaine parce que c'est une sélection assez historique dans ce qu'elle peut proposer. Elle a été créée par des cinéastes, elle a quelque chose d’assez expérimental. C'est une sélection qui permet d'ouvrir le cinéma sur d'autres formes et de permettre aux spectateurs de se déplacer.

D.L. : La grande originalité de votre deuxième long métrage “Eat the night" est de mêler jeux vidéo et cinéma ; un jeu vidéo que vous avez créé, inventé pour l'occasion. Cette esthétique virtuelle fait partie de votre réalité ?

Jonathan Vinel : Nous faisons partie d'une génération qui a grandi dans le virtuel, donc même notre rapport au cinéma est influencé par tous ces jeux. On peut presque dire qu'on est arrivés dans le cinéma par le jeu vidéo et donc c'était un peu l'idée, de faire s'entrecroiser des mondes qui ne sont pas souvent mis ensemble. C'était cela, tout l'enjeu du film.

D.L. : Au fil de votre filmographie, vous dressez le portrait d'une génération très jeune, que l’on pourrait qualifier d'assez violente, et en même temps mélancolique, désenchantée, tout en restant très romantique. Est-ce votre vision fantasmée de cette jeunesse ou cela correspond-il à une réalité ?

C.P. : Je ne pense pas que ce soit une vision fantasmée. Je pense que c'est une génération qui hérite aussi beaucoup de toutes les erreurs du passé, d'un poids de l'histoire et qui grandit dans un monde violent. Et c'est vrai que le film, par le jeu vidéo, montre des images violentes avec des personnes qui se battent, du sang... Mais à mon sens, la vraie violence ce n'est pas celle-ci. La violence du monde c'est celle qu'on ne voit pas, qui est sociétale et s'exprime dans le réel. On le voit dans le film, avec des personnages qui sont complètement perdus, bloqués à l'endroit où ils ont grandi, qui rêvent de partir mais qui n'y arrivent pas. Cette idée de l'immobilisme, de l'envie d'ailleurs et d'un monde assez rude...

D.L. : Vous me tendez une perche vers la Corse...

C.P. : C'est un peu cela, c'est quelque chose qu'on vit quand on grandit hors des grandes villes...

D.L. : D'ailleurs, "Jessica Forever", votre premier long métrage avait été tourné en Corse, mais le territoire n'était pas identifié. Cette fois, vous avez tourné au Havre, et là, le territoire est identifié. Est-ce parce qu'il joue un rôle dans l'histoire de vos personnages ?

C.P. : On voulait une grosse ville industrielle, pas forcément un port au départ, mais c'est vrai que Le Havre s'est révélé quand même symboliquement la ville la plus forte pour représenter comme un nœud du monde. Cela parle du marché, de l'ailleurs, d'un truc un peu “crasseux” sur notre héritage. Et même temps, c'est une ouverture vers la mer, et il y a cette envie de s'échapper. Donc c’est une ville très noire - le film est quand même rempli de noirceur - et, à la fois, il y a une promesse d'ailleurs. Les personnages dans le film éprouvent cette envie de toujours bouger violemment, d'être dans la lumière. Le Havre était vraiment le plateau parfait pour mettre en scène cette histoire.

Retrouvez un extrait de l'interview de Caroline Poggi et Jonathan Vinel, réalisé par Delphine Leoni et Stéphane Lapera :

durée de la vidéo : 00h03mn25s
Entretien avec Caroline Poggi et Jonathan Vinel ©D. LEONI - S. LAPERA / FTV

D.L. : Caroline Poggi, vous avez été formée à l'université de Corse, votre premier court métrage "Chiens" avait été réalisé en 2012 dans le cadre de la faculté. Depuis, vous réalisez tous vos films à deux. Jonathan Vinel, avez-vous commencé à développer un intérêt cinématographique pour la Corse au contact de votre co-réalisatrice ?

J.V. : J'ai découvert la Corse avec Caroline. Je ne connaissais pas du tout, je n’y étais jamais allé. Je trouve que c'est vraiment un territoire qui a une identité, une histoire très forte. C’est quelque chose qui me manque un peu, parce que je viens de Toulouse et je ressens moins cette union entre les gens qui existe en Corse. C'est aussi un territoire qui a été peu filmé et il y a aujourd’hui toute une catégorie de cinéma et de cinéastes qui filment ce territoire. J'ai appris beaucoup en côtoyant la Corse, en côtoyant Caroline.

D.L. : Vous avez créé ensemble une société de production basée à Bastia, dans quel but ?

C.P. : Nos prochains films vont se passer en Corse, Le Havre était un petit intermède. On a déjà tourné un court métrage en février vers Bonifacio. On aime vraiment filmer la Corse : les lieux, les lumières, les personnages qu'on y trouve, on est vraiment attachés à ça. Il était donc logique de s’y s'implanter. On vit à Paris à l'année, mais 5 à 6 mois par an, on est en Corse. Réaliser des films en Corse, c'est aussi une excuse pour revenir aussi plus souvent et plus rapidement (rires).

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