Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : le "petit" Nicolas...

Le confinement généralisé est entré en vigueur en Corse, comme partout en France, mardi 17 mars, à midi. Une de nos journalistes raconte ses journées de enfermée chez elle. Un enfermement propice, paradoxalement, à certaines rencontres.

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Depuis quelques jours, je fais quelque chose d’éminemment subversif : je grimpe sur les toits.

Sur « le » toit de mon immeuble, en fait, et, pas de panique, il s’agit d’un toit plat ! En fait, on n’a pas le droit de monter sur le toit pour éviter d’abîmer l’étanchéité, mais je m’en donne l’autorisation parce que je connais les règles à respecter.
J’ai fait partie du conseil syndical (comment vous croyez que j’en ai la clé ?).
Alors, on ne monte pas se balader sur le toit, non juste s’assoir sur le côté pour lire ou discuter. On discute beaucoup ces derniers temps avec mon voisin.

Un voisin Zen…

Je vous ai parlé de mon voisin ?
Non, pas encore ?

C’est un tort.
Parce qu’il est chouette mon voisin. Je vis mon confinement avec lui. Bien évidemment, je le connaissais un peu d’avant, mais pas comme maintenant.
Maintenant,  je le reçois en pyjama, il ne s’en émeut même pas !
On vit une sorte de « vie à deux », à un étage d’intervalle, les disputes en moins.
J’aime son calme reposant, cette manière qu’il a de poser les choses. De les poser pour moi aussi. Par exemple, lorsque j’ai peur de la page blanche, de ne pas trouver d’idée pour mon prochain papier, il me dit, « la page blanche, ça n’existe pas, parce qu’on écrit sur la page blanche et donc elle se remplit ».

La preuve que mon pouvoir nuisible d’anticipation sur tout, au-delà du moment, ne semble pas l’affoler. Il pose tout ce qui s’agite chez moi.

Il s’appelle Nicolas, mon voisin.
Nicolas comme le petit garçon de l’affiche posée sur le meuble de mon salon.
 


Je sens bien que je le fatigue, des fois, mon voisin, parce qu’il me dit, « tu ne serais pas un peu hyper-active, toi ? ».
Un peu, peut-être, mais je suis surtout beaucoup moins zen que lui.

Nicolas semble encaisser l’obligation de confinement avec l’abnégation d’un moine tibétain. Il me décrit le rayon de soleil qui vient réchauffer son cou lorsqu’il pose son tapis de sol dans le salon pour faire son yoga, ascèse qui va jusqu’au jeûne qu’il tient depuis trois jours pour purifier son corps.
Nicolas est apnéiste.

Le confinement avec l'abnégation d'un moins tibétain

Ce n’est pas son métier mais sa passion. Depuis que les piscines sont fermées et qu’il ne peut plus s’entraîner, il fait ses sessions à sec, chez lui.
L’idée de retenir mon souffle plus de dix secondes m’affole, alors imaginez lorsque qu’il me raconte l’air retenu durant 5 :30 dans ses poumons.
Et il ne s’agit là que de sa performance de salon, parce que, ce temps passe à 7 minutes sous l’eau !

La claustrophobe que je suis étouffe rien que d’y penser ! Je comprends pourquoi il résiste si bien à l’enfermement…

Depuis le confinement, Nicolas est en télétravail mais en chômage partiel, réduit de 50 à 15 % à partir de cette semaine.
Il ne s’en plaint jamais mais il dit que travailler à la maison c’est très compliqué.

Son ailleurs est ici…

Ses parents vivent sur le continent, ses amis, partout dans le monde, il n’a donc pas d’attaches ici, seulement cinq mois de vie avec beaucoup de travail, ponctués par trois entraînements hebdomadaires d’apnée.

C’est une amie à moi qui lui loue l’appartement juste en dessous.
Elle qui me l’a présenté quand il a aménagé dans l’immeuble en début d’année. Voilà, il a fallu un confinement pour que l’on ait enfin le temps de se rencontrer autrement.
Avant cela, je ne l’avais croisé que deux fois ou trois fois, mais assez régulièrement, cependant, pour remarquer ses bonnes manières.

Cette attention délicate qu’il a, quand vous le croisez dans la rue, de vous raccompagner jusqu’à l’immeuble - alors qu’il vient de vous annoncer qu’il partait courir – simplement pour vous tenir la porte, non sans avoir au préalable proposé de monter les paquets qui encombrent vos bras. Il n’est jamais dans le mode invasif, Nicolas.

Ce n’est pas le genre d’homme à piétiner votre espace vital.
Plutôt un animal distant dont on réclame la présence rassurante. Alors, depuis quinze jours, on fait des apéros et on se raconte nos vies.
 


Hier soir, il est monté avec une tarte maison. Un délicieux mélange de poireaux, de graines de tournesol et d’épices qui venait marquer la fin de son jeûne.
Il a bien senti que j’en avais un peu marre de ne plus pouvoir « festoyer ». Je lui avais dit en souriant, « ce n’est déjà pas drôle, alors si tu en rajoute en ne mangeant pas ! ».

C’est nos « scènes de ménage » à nous.
Tacitement, il a accepté que mes nerfs que je passe en faisant la cuisine, retombent un peu sur lui, qui récupère ce que je fais à manger sans pouvoir écouler ses propres stocks.

Depuis quinze jours on fait des apéros et on se raconte nos vies


Hier, il est parti de chez moi vers 20h30 en disant, « je te laisse la moitié de la tarte pour demain. Je fais comme toi, chacun son tour ». Il faut qu’il se méfie, quand on cuisine pour moi j’assimile facilement cette attention à de l’amour (mais je vous raconterai pourquoi une autre fois) !

Je sais qu’il va sourire en lisant cette phrase.
Tendrement.
Il possède la force des sensibles, celle de pouvoir tout entendre sans s’en émouvoir outre mesure. La force de pouvoir laisser bouillonner à l’intérieur !
Des fois, j’aimerais être une petite bestiole perforeuse pour aller voir ce qui se passe vraiment à l’intérieur. Mais c’est comme pour son appartement, il faut attendre un peu avant qu’il vous invite à rentrer chez lui.

L’autre « Monsieur »…

Il y a quelques jours, Nicolas a glissé entre la poire et le fromage que je prenais soin de lui, j’ai répondu, « c’est ça, je suis une mère pour toi ! ».
Sa mère s’inquiète pour lui alors j’ai envie de profiter de ce papier pour dire ceci, « maman de Nicolas, ne vous faites pas de souci, promis, votre fils va bien et il n’est pas seul ici, il a intégré une nouvelle fratrie ».

Oui, parce que mes amis aussi l’appellent pour avoir des nouvelles.
En fait, ils l’ont croisé au seul repas que nous avions fait ensemble avant le confinement.
Ils ont dû trouver, comme moi, qu’il avait un joli sourire, Nicolas. Un sourire à coopter. Même Monsieur, mon chat, l’a adopté !
 


Puisqu’on est dans la confidence, je vais vous dire ce que j’aime le plus chez mon voisin : c’est cette manière d’être où on ne l’attend pas.
Cette manière de chercher le détail que les autres ne voient pas. Si je vous envoie la Une d’un journal, vous allez, sans doute, être happés par le titre principal avec photo...

Pas lui. Lui va s’intéresser à la petite info qui fait l’angle de la page, en haut à droite. Le truc qui échappe complètement et qu’il va vous ramener.
Malgré lui (ou « selon » lui), Nicolas vous pousse à changer de perspective, à révéler ce qui est votre réalité, sous un autre angle.
 contourner l’évidence.

Il est mon intimité du moment

C’est un analytique posé qui sait bousculer sans brusquer.
Il parvient même à bousculer mon impatience, c’est dire ! A l’heure où l’actualité est ce qu’elle est, sa présence est un cadeau.

On ne se fait pas de bise, on reste à distance avec mon voisin, mais on n’a jamais été si proches même assis à trois longueurs de canapé l’un de l’autre.
On ne sait pas si cette proximité survivra au confinement, mais il est mon intimité du moment.
C’est sans doute la raison pour laquelle j’ai mis un peu de temps à vous en parler.

A vous parler de Nicolas.
Il est vraiment chouette, Nicolas…

 
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