Journal de bord d'une confinée à Ajaccio : la vie sauve

Depuis la mi-mars, et l'instauration du confinement dans le pays, l'une de nos journalistes raconte ses journées. Ce samedi, elle nous raconte les premiers pas dans la littérature de sa nièce, Chloé.

J’ai reçu un mail de ma belle-sœur intitulé « Chloé corrigée par Marie Desplechin ». Je n’ai pas eu de mal à identifier dans l’intitulé, d’un côté, la plus jeune de mes nièces et, de l’autre, l’auteure d’histoires pour enfants (et pour adultes aussi), « Le Monde de Joseph », notamment.
Mais comment lier les deux ?
C’est ce que j’allais découvrir en ouvrant le courriel qui m’était adressé.

Je lisais donc le petit texte qui venait en premier dans le déroulé de l’envoi. Il était intitulé, « Chloé devient une sorcière ». Je vous le livre ici dans son intégralité (il s’agit bien évidemment de la version corrigée par l’écrivain) : « Je découvre que je suis une sorcière, à la campagne avec ma mère. Nous sommes le lundi 30 mars. C’est la veille de mon anniversaire. J’ai mal fait quelque chose et j’ai mal au ventre. C’est là que j’ai découvert que j’avais des pouvoirs. Je croyais que j’avais mal au ventre à cause de mes actions. Quand j’ai découvert que j’étais une sorcière, au début j’étais surprise, mais après ça allait mieux. Je découvre petit à petit que mes pouvoirs sont : ne pas vieillir, me téléporter dans le temps, faire des tempêtes et diriger la météo par mes émotions. Mais le plus gros de tous mes pouvoirs est celui de sauver des vies… Quel beau cadeau d’anniversaire ! ».
 


Les remarques de tatie

Le mail se poursuivait par une seconde partie, livrée brute, sans intervention de ma belle-sœur dans le propos.
Le morceau de texte intitulé « mes remarques » - que je supposais, sans risque de me tromper, être celles de l’auteur -  je vous le livrerai plus tard dans ce papier, pour vous faire part en premier lieu des miennes (de remarques).
Comment vous dire que je n’étais pas peu fière des écrits de ma nièce de 9 ans (depuis un mois seulement), version corrigée ou pas.
J’ai souri quand j’ai lu cette histoire de mal de ventre. Chloé se mène parfois aux larmes lorsqu’elle ne réussit pas ce qu’elle entreprend.
C’est une gagnante, elle est comme ça.

J’ai rarement vu autant de volonté chez un enfant. Et de force de caractère.
Les traits d’une personnalité se dessinent souvent avec l’âge, sauf que Chloé possède ce caractère bien trempé depuis toute petite.
Elle a toujours été tranchée dans ses choix (à 2 ans, c’était impressionnant !), solide et d’une sensibilité à fleur de peau.

Quand je parle de sensibilité, je parle aussi d’instinct. Elle est très animale, ma nièce, d’une intuition sauvage qu’elle aurait développée en versant contraire de sa fragilité.
Pour compenser. Mais pour comprendre, il faut que je vous raconte.

Quand Chloé parle de sauver des vies dans son texte, il convient de s’y arrêter.
De préciser qu’un jour, une femme en blanc, de celles et ceux qu’on applaudit tous les soirs aux fenêtres, a sauvé la sienne.
Un chef de service qui faisait la nuit dans cet hôpital parisien où ma nièce était née et où on l’avait ramenée à dix jours de vie.
Une femme médecin qui, alors qu’on ne trouvait pas ce que disaient les maux de ce petit nourrisson après moult examens, a dit « je crois que je sais ».

Elle avait vu passer un cas.
Une naissance sur 150 000, une goutte d’eau dans un grand océan, et la vie qui peut continuer grâce à elle. La LEUCINOSE : voilà le nom de la maladie orpheline que ce médecin avait identifiée.
Necker, l’hôpital des enfants, a pris le relai. Je ne vous raconterai pas ce qu’ont représenté, dans leur déroulement, les jours qui ont suivi, ni les bouleversements engendrés dans la vie de sa grande sœur et de ses parents, l’émotion serait trop grande.

Elle le sera toujours en évoquant ce moment.
Je crois qu’aucun mot ne sera jamais assez fort pour le décrire. La souffrance que j’ai vu dans les yeux de son papa et de sa maman, je ne la souhaite à personne.
Un désespoir aussitôt contrebalancé par la détermination de se battre avec et pour leur enfant. Moi, sa tante, je peux dire que de ce moment jusqu’à aujourd’hui, l’énergie et le caractère de cette petit fille, me tiennent comme une force de vie. Et l’amour que lui prodigue sa grande sœur Nina (elle est l’idole de sa cadette) aussi. Elle qui demandait à l’époque, du haut de ses presque trois ans, « elle s’appelle comment l’infirmière de Chloé à l’hôpital des enfants fragiles ? ».
Elle s’était inquiétée de savoir si sa petite sœur restait seule une fois que ses parents rentraient à la maison, je lui avais expliqué que non. Que c’était comme lorsque son papa ou sa maman la déposaient à la crèche, que des personnes s’occupaient du bébé comme les « tatas » s’occupaient d’elle, qu’on appelait ces personnes des infirmières.
 
Depuis 9 ans, il y a donc toute une équipe de soignants qui encadre le parcours de Chloé. Des médecins, des infirmiers, des aides-soignants, des nutritionnistes.
Puisque que nous avons (encore) un week-end de confinement, je vous invite à vous intéresser à la leucinose. De la boîte de lait infantile qu’on est obligé d’acheter auprès des hôpitaux de Paris, des menus qui ne seront jamais ceux de toute la tablée, d’un repas qu’on amène à la cantine, de vacances qu’on envisage, de fait, jamais très loin d’un centre hospitalier, un établissement en mesure de prendre en charge cette maladie.
De l’hôpital d’Ajaccio, Chloé connait ce drôle de médecin qui joue de la musique dans le service pédiatrie. Il adoucit le quotidien des enfants en plus de les soigner.
Elle l’a adoré ! Elle adore la musique.
 


Le monde du langage

Je me souviens de la première fois où j’ai vu ma nièce.
Elle venait d’être ré-hospitalisée à Trousseau à dix jours de vie. Je suis rentrée dans la chambre sur la pointe des pieds pour découvrir un nourrisson pris dans un tourbillon de tubes et de fils.
Il y avait là une infirmière.

Tout le temps durant lequel elle est restée dans la chambre, cette soignante n’a cessé de parler à Chloé, d’une voix douce et enjouée. Je l’ai regardée faire.
Machinalement, lorsqu’elle est sortie, je lui ai emboité le pas. J’avais peur de ne pas être à la hauteur de tous les mots qu’elle avait prononcés et qui disaient en poésie, « bats-toi, tu vas vivre, petit bébé, on ne va pas te laisser partir ».

Les larmes sont venues après et il y en a eu beaucoup, je vous assure, mais c’est du passé. Parce qu’une femme en blanc – et d’autres, hommes et femmes qui ont pris le relais – a dit « je crois que je sais » et avait raison. Une femme médecin proportionnellement moins payée que les « stars » de la télé-réalité dans une société où la médiocrité est mieux valorisée que le travail des soignants, ou la phrase facile vaut mieux que le geste utile.

Je sais, il faut de tout pour faire un monde.

Pendant longtemps, on a imaginé Chloé grandir en petit être fragile.
En fait, c’est un feu qui n’a peur de rien. Effectivement, comme elle le dit dans ses écrits, la météo de ses émotions dirige son monde.
Et quand elle fait mal quelque chose, elle a mal au ventre ! Parce qu’avec elle, pas d’alternative : ma nièce veut réussir tout ce qu’elle entreprend.
Petite, elle regardait les nageurs dans le bassin olympique et, le lendemain, essayait de reproduire leurs gestes dans le grand bain. Elle est infatigable, Chloé.

Avec le mental qu’elle a – et même sans les protéines que lui interdit sa maladie orpheline – on va la retrouver, un jour aux JO, c’est certain !
Cette année, elle a même terminé seconde de sa première compétition de judo. A la prochaine, elle sera sur la première marche du podium, je vous le dis !
Des supers pouvoirs, elle en a déjà dans la vie, pas besoin d’être une sorcière pour ça !
 

Une mer (mère ?) de langage

J’occupe l’espace depuis quelques lignes, mais je vais redonner la place aux commentaires de Marie Desplechin après les miens :
"Merci, Chloé, pour ce début d’histoire très intéressant ! J’aime beaucoup l’idée que tu aies plusieurs pouvoirs dont l’un est plus important que les autres… Peut-être pourras-tu sauver des vies en dirigeant la météo et en te téléportant dans le temps ?
J’aurais bien aimé savoir quelle était cette chose que tu avais mal faite et qui a quand même une certaine importance, puisque tu en parles deux fois… Est-ce que c’est à cause de cette action que tu deviens sorcière ?
Tu verras que j’ai suivi le temps de ton histoire : au début, tous les verbes sont au passé, et on passe au présent pour l’histoire des pouvoirs. Il faudra que tu restes au présent pour la suite. Quand on écrit, il est très important de se mettre dans un temps (le passé ou le présent), et de ne plus trop bouger…
Sinon, ton lecteur ou ta lectrice sera perdu !
Tu verras aussi que j’ai un peu changé la ponctuation, une virgule ou un point ici ou là, pour qu’on comprenne bien les phrases. Quand j’ai modifié une phrase, c’est que je ne comprenais pas bien ce que tu voulais dire. J’ai essayé de deviner et je t’ai proposé la phrase. Tu pourras bien sûr changer si ce n’est pas ça !
Alors maintenant, qu’est-ce qu’il se passe avec ces merveilleux pouvoirs ? Tu sauves des vies ou tu fais des tempêtes ou les deux ?"


J’ai souri de la manière dont ma nièce avait dû accueillir ce retour.
Elle baigne dans un monde de mots depuis toujours. Les soignants lui ont toujours tout expliqué de sa maladie.
Les discours elle les entend d’une oreille attentive. Je sais que ces commentaires ne sont pas tombés dans l’oreille d’une sourde et que Chloé saura me les resservir à l’occasion.

J’ai su, après avoir appelé ma belle-sœur, que l’institutrice de ma nièce (sur Paris) est proche de  Marie Desplechin.
A l’origine, une rencontre - ainsi qu’un travail d’écriture - était prévu avec l’auteur au sein même de l’école. Il s’est finalement joué durant le temps de confinement.
J’ai demandé à parler à ma nièce pour lui dire que j’étais très fière de sa plume (elle me demande souvent si je suis fière d’elle).

Elle a répondu : « oui, mais Nina a participé aussi ». Nina, son aînée, si j’oublie de la citer, si j’oublie de dire tout ce qu’elle a amené et qu’elle amène encore à sa petite sœur, je vais me faire gronder ! (il n’y a pas que ma mère qui me gronde, vous savez !).

En tout cas, merci, Marie Desplechin (et pardon de m’être permis de mélanger passé et présent), merci madame l’institutrice, j’ai trouvé cet échange très tendre, comme l’illustration de ce qui a pu se faire de beau en ce temps de confinement.
Et puis merci, vraiment, à cette femme en blanc, qui, un jour, a sauvé une petite fille (et suscité, comme vocation, son plus grand pouvoir de sorcière ?). Qu’elle sache qu’en plus de cette petite fille, elle a sauvé les cœurs de toute une famille.

 
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