Comme sur le continent, les avocats insulaires se sont rassemblés mardi pour protester contre un article du projet de loi porté par le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti. Le texte a finalement été amendé dans la soirée à l'Assemblée nationale.
Une quarantaine d’avocats sur les marches du palais de justice d'Ajaccio, une trentaine sur celles du tribunal de Bastia.
Comme sur le continent, les robes noires insulaires se sont rassemblées, ce mardi à 13h30, pour protester contre l’article de loi relatif au secret professionnel entre les avocats et leurs clients. Des échanges qui étaient jusqu'à présent inviolables.
Avec ce texte, le secret professionnel pour les activités de conseil ne pourra plus être systématiquement brandi entre un justiciable et son avocat dans des affaires de fraude fiscale, financement du terrorisme, corruption, trafic d’influence ou blanchiment.
Ce sont les sénateurs qui ont introduit ces exceptions, pointant les difficultés rencontrées par les enquêteurs dans ce type de dossiers financiers.
Ce qui inquiète davantage les robes noires, c'est aussi l'alinéa 2 qui permettrait la levée de ce secret dès que l'avocat "fait l'objet de manœuvres ou actions aux fins de permettre, de façon non intentionnelle, la commission ou la poursuite ou la dissimulation d'une infraction". Dans ce cas-là, le type de l'infraction n'est pas mentionné.
"Cela permettra d’écarter le secret professionnel quelle que soit l’infraction concernée par l’enquête, a réagi Julia Tiberi, bâtonnière du barreau d'Ajaccio. Or, le secret ne peut être que plein et entier. Il s’agit d’un recul de l’État de droit au profit d’un état de police".
Pour l'avocate ajaccienne, "l'Assemblée nationale s’apprête à adopter un texte issu de la commission mixte paritaire et de l’accord intervenu entre députés et sénateurs sous la pression de Bercy et du parquet national financier notamment."
En l’état, poursuit-elle, seul un amendement déposé par le gouvernement permettrait de modifier les dispositions de ce texte sur le secret professionnel de l’avocat. Si ce texte liberticide est adopté dans sa rédaction actuelle, il aura pour effet de rendre le secret professionnel inopposable dans certaines matières, notamment fiscales et financières."
Ce mardi, à Bastia, le bâtonnier Jean-Paul Eon a indiqué que "le ministère de la justice a lancé une opération de communication cherchant à faire croire que le texte présenté ce mardi constitue un progrès et non une régression".
Un précédent en Corse
Dans la ligne de mire des robes noires, il y a donc l’article 3 de ce projet de loi intitulé "pour la confiance dans l’institution judiciaire".
Ce lundi, à la veille de la dernière lecture de ce texte à l’Assemblée nationale, le Conseil national des barreaux (CNB) avait voté une motion demandant sa suppression pure et simple.
Pour les avocats qui se sont mobilisés aujourd'hui, cet article 3 "menace la confidentialité de leurs échanges avec leurs clients".
En Corse, cette question du secret professionnel s’est déjà posée. En 2014, des conversations téléphoniques entre Me Anna-Maria Sollacaro et l’un de ses clients avaient été écoutées et retranscrites par la police. La chambre de l'instruction de Bastia doit se prononcer en décembre sur cette affaire.
Un bras de fer avec le ministre
Adopté en première lecture, avec modifications, le 25 mai dernier, puis par le Sénat fin septembre, ce projet de loi est porté par le ministre de la justice Éric Dupond-Moretti. Ces derniers jours, la tension est montée entre l’ex-avocat et ses anciens confrères.
La semaine dernière, dans les colonnes de Nice-Matin, Éric Dupond-Moretti déclarait comprendre "les inquiétudes exprimées de bonne foi par certains", tout en dénonçant "d'autres qui instrumentalisent le texte et, par là même, le secret professionnel". Et d’ajouter : "le secret du conseil est à concilier avec la nécessité constitutionnelle de pouvoir lutter contre la fraude fiscale".
"Je ne comprends pas sa position car il a été justement l’un des avocats les plus connus et médiatiques de France, confie Julia Tiberi. On l’a souvent entendu s’insurger contre toutes les entorses qui pouvaient être faites aux droits de la défense et notamment au niveau du secret professionnel car il a y a été confronté personnellement. Il y a donc de la déception. Je lui ai écrit un courrier, que j’avais envoyé aux rédactions, dans lequel je lui disais j’avais eu de lui l’image d’un avocat hyper courageux et j’ai aujourd’hui malheureusement l’image d’un agent du pouvoir exécutif."
Ce sujet semble accentuer la rupture entre une grande partie de la profession et l’actuel garde des Sceaux.
"Il y a vraiment une unité chez les avocats sur ce sujet précis car, encore une fois, c’est un sujet majeur, souligne Julia Tiberi. Je pense que ça pose aussi le choix de la société de demain."
Le texte amendé à la dernière minute
Mardi soir, juste avant le vote définitif du projet de loi à l'Assemblée nationale, le gouvernement a finalement déposé un amendement "visant à supprimer l'alinéa 2 (de l'article 3, ndlr) et à confirmer la possibilité de présence du bâtonnier en perquisition", a indiqué la Chancellerie à l'AFP.
Dans la nouvelle mouture, le secret professionnel des avocats en matière de défense est donc préservé. En revanche, il demeure encadré dans les activités de conseil concernant les infractions financières (fraude fiscale, corruption, financement du terrorisme etc.). Ces exceptions ont donc été maintenues dans la version finale du texte.
Contactée ce mercredi matin, Julia Tiberi a réagi à cet amendement de dernière minute : "L'alinéa 2 sur la participation non intentionnelle de l'avocat à dissimuler l'infraction de son client était catastrophique. C'est donc la moindre des choses qu'il ait été retiré. On peut se féliciter du fait que le bâtonnier puisse toujours assister aux perquisitions, ce qui était déjà le cas. On peut donc dire que l'amendement limite un peu la casse même s'il y a quand même une régression."
Le projet de loi définitif doit maintenant être adopté ce jeudi par le Sénat. Si la chambre haute le rejetait, il reviendrait en dernière lecture à l'Assemblée nationale qui aurait le dernier mot.