Le Garde des Sceaux doit présenter demain son projet de loi pour "restaurer la confiance" dans la justice. Parmi les propositions: l'avènement de cours composées de magistrats professionnels pour juger les crimes passibles de 20 ans de réclusion. En Corse comme ailleurs, le projet fait polémique
Une réforme pour "restaurer la confiance en la justice". Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti doit présenter, ce mercredi 14 avril, son projet de loi devant le Conseil des ministres.
Le texte, qui sera examiné courant mai à l'Assemblée nationale, porte sur de nombreux sujets comme le renforcement du secret professionnel de la défense, des audiences filmées, les réductions de peines... Mais aussi la généralisation des cours criminelles départementales.
Composées de cinq magistrats professionnels (un président et quatre assesseurs), ces cours devraient juger en première instance les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion (perpétrés par des majeurs non récidivistes). Soit environ 57 % des affaires jugées, donc plus de 1 000 affaires par an. Contrairement aux cours d'assises "classiques", les cours criminelles ne verront pas siéger de jurés populaires. C'est d'ailleurs ce qui inquiète de nombreux professionnels du droit. En Corse comme ailleurs, les avocats sont pour la plupart hostiles au projet.
Une réforme face à un manque de moyens ?
"Je ne vois pas cette réforme d'un très bon œil", réagit Me Jean-Paul Eon, bâtonnier de Bastia. Pour l'avocat, ce projet pourrait entraîner "des procédures au rabais".
"De mon point de vue, la logique derrière ce projet de loi au nom fumeux est avant tout de faire des économies. La justice française souffre d'une insuffisance de moyens", avance-t-il avant d'expliquer : "Lors des procès d'assises, il faut refaire toute la procédure devant les jurés, il faut retracer toute l'enquête car ils ne connaissent pas les faits. Ce n'est pas pareil avec un jury formé de magistrats professionnels. On veut gagner du temps et de l'argent."
"La justice manque de moyens pour faire son travail", regrette Me Eon. Il souligne également que cette réforme aurait des conséquences relativement limitées en Corse : "Il y a entre 12 et 15 affaires criminelles par an jugées en Corse. Le reste des affaires, notamment en ce qui concerne le grand banditisme, est jugé à Marseille et relève de la JIRS (juridiction interrégionale spécialisée, ndlr). Sur l'île, une cour criminelle ne va donc pas vraiment désengorger les assises."
"Fruit de la Révolution"
Pour Me Philippe Gatti, ancien bâtonnier d'Ajaccio, cette réforme met carrément à mal "une conquête démocratique". "Le jury d'assises est une institution, fruit de la Révolution de 1789, explique l'avocat. C'est le peuple qui parle. Il est invité à participer à la justice française. C'est un héritage qu'il faut protéger."
Un héritage qui serait désormais menacé par le projet porté par Eric Dupond-Moretti. Du temps où le ministre était encore avocat et plaidait dans des affaires corses, Me Gatti a eu l'occasion de le côtoyer.
S'il reconnaît "un très grand talent" à celui qui était surnommé "Acquitator", l'ex-bâtonnier ajaccien glisse que le garde des Sceaux est "capable de maladresses". "In fine, s'il annonce la mort des cours d'assises, ce serait une profonde erreur", juge Me Gatti.
Alors qu'il n'était pas encore membre du gouvernement, Eric Dupond-Moretti avait pris la défense des cours d'assises, il y a moins d'un an en mai 2020.
"Il a toujours défendu la présence des jurés populaires, poursuit Me Philippe Gatti. S'il ne le fait plus avec autant d'ardeur, c'est qu'il a peut-être dû faire des concessions pour avancer sur d'autres dossiers importants comme le droit des prisonniers ou des mineurs."
Mon texte de loi revitalise la cour d’assises avec une audience préparatoire et redonne toute sa place au jury populaire en changeant la règle de majorité de culpabilité.
— Eric Dupond-Moretti (@E_DupondM) April 12, 2021
Avant de critiquer tout un projet sur la base d’un tweet de l’AFP, il est plus sage de le lire en entier. https://t.co/Lr4hVj832D
Un meilleur moyen de lutter contre le crime organisé ?
Du côté des collectifs anti-mafia, l'avis est plus nuancé.
A la tête du collectif anti-mafia Massimu Susini, Jean-Toussaint Plasenzotti dit s'opposer à la disparition des jurés populaires dans le cadre d'affaires qui relèvent de la société civile.
Concernant les dossiers relevant du crime organisé, il est moins convaincu : "En Corse, la question est si urgente, qu'elle demande une réponse urgente. Il y a déjà eu des jurés qui ont fait l'objet de pressions. Que ce soit sur des affaires jugées à Bastia ou à Ajaccio, comme à Marseille."
"Un jury composé de magistrats est plus difficile à influencer, estime Jean-Toussaint Plasenzotti. Le crime organisé ne s'attaque pas à des personnes qui font partie intégrante de l'institution judiciaire. Cela peut donc être une solution pour faire face aux structures criminelles. Mais, il en existe sûrement d'autres, comme l'isolement des jurés pendant le procès".