Terre de croyances et de religion, la Corse foisonne de rites funéraires. Des usages parfois très anciens, et pour une partie désormais oubliés, ou rarement recourus. Linda Piazza, directrice de la bibliothèque patrimoniale de Bastia, revient sur ces traditions du passé.
Comment se déroulaient les obsèques par le passé ?
Linda Piazza : En Corse, on commence à parler de rites funéraires à partir du néolithique et du pré-néolithique. Mais nous avons toujours été à la limite de nos croyances, de nos peurs et de nos superstitions. Cela a toujours été très codifié, bien qu'on l'ait un peu oublié, mais jusque dans les années 1950, les enterrements se faisaient dans des conditions réglées et ritualisées, si je peux employer le terme. Par exemple, on avait un deuil qui se faisait avec une codification à trois jours.
L'enterrement était vraiment particulier. Il y avait une table de salle à manger qu'on appelait a tola, puisqu'on n'avait pas autre chose pour exposer le défunt, et autour de cette table, on y mettait trois bougies. Une de chaque côté du cercueil, et une dernière qui symbolisait le départ, le voyage dans l'au-delà. Ça, on l'a un petit peu oublié.
On cachait aussi tous les miroirs, et on vidait tous les récipients, pour que l'âme du défunt n'y soit pas captée. Pendant trois jours, il y avait tous ses préparatifs. La maison était complètement fermée, et les voisins et les voisines amenaient durant cette période le repas à la famille du défunt. Au grand jamais ce n'était de la friture ou des gâteaux ou des sucreries. La poêle était d'ailleurs rangée dans le plus profond des placards, parce qu'on disait que l'huile, quand elle frit, elle chante, et c'était faire un dispettu, c’est-à-dire une infamie, à la personne qui partait. Mais tout cela s'est perdu un peu dans les limbes du temps.
Avez-vous des exemples de traditions appliquées dans certaines communes et micro-régions de l'île en particulier ?
Linda Piazza : À Corte, on mettait sous la bière du défunt un bol de marc de café, pour capter les odeurs. On mettait également à côté - et ça, je l'ai vu faire, encore, dans les années 70 - un bol d'eau pour que l'âme du défunt y soit captée.
Dans le Cap, dans le Niolu et à Bastia, il y avait un grand repas qui se tenait 40 jours après le deuil. Toujours sans sucrerie, sans fritures. Des choses très simples, de la charcuterie... C'était un tianu, donc un ragoût, et du vin, du café, de l'eau-de-vie. C'étaient des choses très roboratives, parce que souvent, on attendait du monde qui venait un peu des montagnes environnantes, et il fallait pouvoir tous les servir. Certaines familles continuent de suivre aujourd'hui ces traditions. Mais ça devient beaucoup plus rare.
Quel était le rôle des voceratrice, les pleureuses ?
Linda Piazza : C'est un sujet à prendre avec beaucoup de sensibilité et de recul. Suivant les morts et les conditions de leur décès, il y avait un type de pleureuse. Une mort violente, c'était un vocero, c'était quelque chose de terrible. Une mort dans son lit, là, c'était beaucoup plus doux et plus calme.
Cependant, c'est un point commun, on retrouvait toujours le terme "Di", pour "Dio", ce qui peut se comprendre puisque c'était l'âme qui devait partir au moment de ces chants. Il y a aussi des petites histoires qu'on raconte, qu'il faut prendre avec toujours beaucoup de précautions, qui disaient que plus on avait d'argent, plus on avait de pleureuses...
Au-delà des pleureuses, on retrouvait aussi des danses, qui ont depuis été oubliées. L'une d'entre elles s'appelait le caracolu, et ressemblait presque à une danse de l'extase, pour accompagner le mort. Elle pouvait être réalisée par les femmes, mais également par les hommes, bien que ce fût dans ce second cas extrêmement rare.
Je dirais qu'on a cessé de faire appel aux pleureuses depuis les années 50. Pour ce qui est de la danse, c'est plus ancien, et c'était beaucoup moins fréquent.
Comment expliquez-vous que ces traditions se soient pour une grande partie perdues avec le temps ?
Linda Piazza : Cela peut se comprendre dans le sens où beaucoup de personnes sont parties sur le continent. Alors au moment des enterrements, il faut revenir et ça coûte souvent cher, ce qui complique le travail de recueillement et le respect des traditions.
Je pense que c'est l'éloignement qui fait qu'il n'existe plus ce culte de l'enterrement qu'on observait strictement autrefois.
La Corse conserve malgré tout un rapport aux défunts différents de celui observé de façon générale sur le continent. Comment l'expliquez-vous ?
Linda Piazza : Le rapport aux défunts, en Corse, c'est la tradition. La porosité entre le monde des morts et le monde des vivants est très mince. Même si la personne est très cartésienne et n'a pas peur de l'au-delà, il y a toujours une crainte.
Pour vous donner un dernier exemple, par le passé, on disait que lorsqu'on mourrait à l'extérieur, on devait mettre dans la bouche du défunt une branche d'arbousier, parce qu'elle symbolise la vie et l'abondance. Encore aujourd'hui, certaines personnes le font encore. J'ai moi-même vu des gens glisser, non pas dans la bouche mais dans la poche du défunt, une branche d'arbousier.