La disparition des abeilles inquiète. Pour aider, certains plantent de nombreuses fleurs afin de contribuer à la préservation de ces insectes. En Corse, ce choix peut menacer un pan de l’agriculture insulaire et sa biodiversité.
Un geste qui semble anodin. Avec les beaux jours certains se remettent au jardinage et veulent en profiter pour aider l’environnement. Leur cible : les abeilles. La méthode est simple : se rendre dans une jardinerie ou une grande surface, acheter quelques sachets de mélanges fleuris, de trèfles, de sainfoin ou encore de bleuet et les planter dans son jardin.
« Ça part toujours d’un bon sentiment, mais à l’arrivée ça peut devenir une catastrophe », alerte Denis Casalta, président de l’appellation d’origine protégée (AOP) Miel de Corse. Comme 95 % des semences et plantes vendues en Corse, ces graines sont exogènes, soit importées du continent ou de l’étranger. Et elles peuvent représenter une bombe à retardement pour toute la filière.
Le risque de « flinguer une profession »
Car pour décrocher et conserver l’AOP, un cahier des charges doit être rigoureusement respecté. En plus de l’utilisation exclusive de l’abeille de Corse, les insectes ne doivent butiner que les espèces végétales spontanées et naturelles de la Corse. « Elles n’ont pas besoin d’autre chose que du maquis. La seule espèce cultivée qui peut être butinée est le clémentinier, stop et fin, c’est la loi », insiste Denis Casalta.
Afin de veiller au suivi des règles, les 150 producteurs de l’AOP sont soumis à des contrôles fréquents comprenant des analyses polliniques. « Cela consiste à comparer les pollens présents dans un échantillon de miel aux pollens de Corse référencés. S’il y a trop de pollens issus de plantes extérieures à ce référencement, c’est fini », continue le président de l’AOP miel de Corse.
Sa plus grande peur : l’introduction d’une espèce exogène invasive. D’autant plus que depuis une vingtaine d’années, un insecte, le Varroa, la tique de l’abeille, affaiblit considérablement les colonies insulaires. « S’il y a une plante qui pète partout, on perd notre cahier des charges, notre AOP et on flingue une profession », s’inquiète le président de l’AOP Miel de Corse.
Mutations
Une introduction que redoutent aussi les scientifiques. « D’une part, ces plantes peuvent entraîner l’importation de certaines maladies, c’est le cas notamment de la Xylella et du Cynips. Mais elles peuvent aussi représenter un réel danger pour la biodiversité corse », détaille Caroline Favier-Vittori, responsable de la conservation des graines au conservatoire botanique national de Corse.
Car ces plantes viennent perturber les interactions pollinisateurs-flore. « Il y a de graves risques pour la conservation de certaines espèces. Plantes et insectes co-évoluent depuis toujours et les espèces non-indigènes, viennent perturber les équilibres souvent fragiles, surtout dans les îles, et ceci dans un contexte d’évolutions climatiques qui constitue un facteur aggravant », complète Marie-Cécile Andrei-Ruiz, entomologiste et responsable de l’Observatoire Conservatoire des Invertébrés de Corse.
Ces interactions peuvent conduire à des modifications génétiques. Par exemple, l’introduction d’une myrte du continent peut mettre peut inquiéter l’originalité de la myrte corse. Si les deux plantes dont bien de la même espèce, elles ont poussé dans deux endroits différents et sont donc également génétiquement distinctes.
La solution Corsica Grana
Pour préserver la biodiversité insulaire et aider l’AOP Miel de Corse à son échelle, quelques solutions existent. « Il faut multiplier les fleurs présentes naturellement dans le maquis et essayer de ne plus dégrader notre environnement», lance Denis Casalta. « Le seul message à porter c’est : pas d'introductions volontaires d'espèces exogènes sur notre territoire. C'est toujours un risque, et il est déjà compliqué de gérer les introductions « non-volontaires » », reprend Marie-Cécile Andrei-Ruiz.
Afin de limiter les impacts de l’introduction de plante, le conservatoire botanique national de Corse et l’office de l’environnement essaient de développer une filière de production locale de plantes et de semences. Dans une volonté de valorisation et de réappropriation de la flore insulaire, les deux institutions ont lancé le label « Corsica Grana ». « Il certifie l’origine corse des plans », souligne Caroline Favier-Vittori.
Actuellement, les plans « Corsica Grana » sont disponibles dans 10 pépinières.