Si les élections municipales en Corse ont été un échec pour la majorité nationaliste il serait excessif de parler de triomphe pour ses opposants, d'autant que selon les familles politiques succès, échecs et absence se mélangent dans ce scrutin pas comme les autres.
S'il est vrai qu'une élection municipale est par définition un choix où la proximité prévaut, l'ancrage local est une donnée essentielle dans les petites et moyennes communes. C'est aussi vrai pour les plus grandes villes, mais s'ajoute là une dimension politique affirmée.
Une droite qui résiste mais ne gagne pas de terrain
A cet égard, la droite corse était la mieux armée et partait avec un avantage certain puisque disposant de nombre de municipalités, du petit village à la grande ville.Un constat s'impose : c'est elle qui a le mieux résisté, même si ses performances sont inégales sur l'ensemble de la Corse.
Si l'on excepte Biguglia, où Sauveur Gandolfi-Scheit, affaibli par sa défaite aux législatives et l'usure du pouvoir, a été battu, et Portivechju, où le ballottage est pour l'heure défavorable à Georges Mela, la droite peut s'estimer satisfaite du résultat de ce premier tour.
Elle conserve ses places fortes traditionnelles assez facilement. Borgu, bien sûr, mais aussi Corti, Calvi, Ghisunaccia, ainsi que de nombreuses petites communes de l'intérieur, ce qui lui permet de maintenir son assise locale, toujours bien utile lors de scrutins régionaux.
Ce que l'on retiendra surtout, c'est sa victoire sans appel à Ajaccio. Certes le sortant Laurent Marcangeli faisait figure de favori face à une opposition divisée et dont on voyait mal l'unification au second tour. Néanmoins, le maire sortant, aidé par la très faible participation il est vrai, à peine plus d'un tiers de votants, a expédié le scrutin dès le 15 mars.
Une performance qui lui donne une dimension régionale et le propulse, peut-être un peu malgré lui, à la tête de sa famille politique dans la perspective des échéances futures.
Quelles perspectives pour la droite corse ?
Laurent Marcangeli s'est imposé face à ses oppositions et aussi contre une partie de son camp, le parti Les Républicains (LR), qui essuie dans l'île un revers peut-être fatal. Car c'est un autre enseignement du vote à droite : LR a brillé par son absence à peu près partout. Et lorsque le parti s'est positionné, il a subi un échec cuisant.Exemple à Bastia, où il soutenait la liste de Jean-Martin Mondoloni, qui n'a pas atteint 9% des voix. Seule liste de droite en compétition, le leader de l'opposition territoriale aurait dû tirer son épingle du jeu. Son positionnement à l'Assemblée de Corse face aux nationalistes, le soutien national d'un parti, n'ont pas pesé bien lourd à côté des divisions de sa famille. Il en sort durablement affaibli.
C'est une sorte de paradoxe mais cette résistance de la droite ne lui ouvre pas forcément un boulevard pour les élections territoriales de 2021.
Son implantation est forte, certes, mais s'il y a beaucoup de lieutenants, il y a peu de généraux et pas forcément un général en chef, capable de rassembler et volontaire, pour mener son camp à la victoire.
Laurent Marcangeli est pourtant en position de le faire mais en a-t- il l'envie ? Pour l'instant elle n'apparaît pas comme une évidence pour lui. « Je ne m'interdis rien » a-t-il déclaré après sa victoire, on a connu mieux en termes de volonté...
Changera-t-il d'avis, poussé qu'il est par le gouvernement qui voit en lui l'alternative aux nationalistes l'an prochain ou restera-t-il, comme tous ses prédécesseurs à la mairie d'Ajaccio, prudemment en retrait des affaires territoriales, tellement contraignantes et terriblement chronophages ?
La gauche en eaux profondes
Si la droite résiste, à gauche la situation est beaucoup plus compliquée . Elle ne perd plus de places fortes parce qu'elle n'en n'a plus à défendre.La reconquête qu'elle espère n'est pas pour demain, même si le résultat à Bastia peut lui donner quelques espoirs. Mais la partie est loin d'être gagnée. Si l'on examine la carte électorale de l'île on s'aperçoit, à l'exception d'Ajaccio , Bastia et Sartène, qu'elle a été absente des principales villes de Corse, laissant souvent la droite face aux nationalistes.
Une absence qui ne signifie pas que son électorat a disparu mais que ses structures sont en état de mort clinique, ses dirigeants sont pour la plupart en responsabilités depuis 20 ans voire plus et l'on ne voit pas poindre de relève.
A Ajaccio, quand bien même elle ne s'attendait pas à un résultat miraculeux, eu égard aux circonstances, le résultat fait mal. 6% à peine pour une liste menée de bout en bout par le Parti communiste, qui n'a rassemblé que des structures vides comme le PS ou des personnalités isolées.
Le refus des dissidents de LFI de Jacques Casamarta, ou des proches de Mélenchon, de participer à la démarche a montré les limites du « rassemblement » et présagé du résultat. Mais il n'est pas le seul élément qui explique la déroute.
La gauche ajaccienne, comme la gauche corse dans son ensemble, n'en finit pas de payer les défaites de 2014 à la municipale d'Ajaccio et celle de 2015 aux territoriales. Jamais remise de ces deux échecs majeurs dont elle n'a jamais réellement tiré les leçons, la gauche dans le meilleur des cas fait acte de présence...
Sa campagne ajaccienne comme son rôle dans l'opposition durant la mandature de Laurent Marcangeli a été d'une modération remarquable. Certains, critiques à l'égard du parti, y voyaient même une tactique face à l'éventualité – au demeurant fort improbable- d'une poussée nationaliste, voire plus, qui aurait incité à rendre le PCF si conciliant...
Le vieillissement des appareils, l'absence de relève véritable, le désintérêt manifeste de la jeunesse sont d'autres explications plus classiques.
A Bastia la situation est meilleure sur le plan électoral, beaucoup moins sur la construction du schéma politique à venir. La défaite de 2014 n'est pas complètement digérée par toutes les composantes et l'idée de remettre en selle les anciens partisans d'Emile Zuccarelli qui ont quitté son fils pour rejoindre Gilles Simeoni, est vivement contestée par la nouvelle génération représentée par Julien Morganti.
Pour être clair, et il ne s'en cache pas, lui qui a réalisé une très belle percée n'entend pas servir de marche-pied aux ambitions de François Tatti. Les siennes lui suffisent... Quant à Jean Zuccarelli et ses alliés communistes, ils feront valoir leurs exigences au prorata de leur score... Les tractations vont cependant pouvoir durer, les cartes étant rebattues puisque toute l'élection sera à refaire, peut être en octobre...
Quel logiciel pour la gauche ?
L'élection de Bastia est essentielle pour la gauche mais elle devra régler d'autres difficultés : la question du leader et celle de ses choix politiques.Hormis Julien Morganti, il n'y a, à ce jour, aucune nouvelle personnalité politique qui est apparue dans la famille de gauche. Ce sont donc les « anciens », dépositaires du logiciel politique, qui pèseront sur les choix programmatiques et il y a fort à parier qu'ils ne seront pas très différents du passé.
Dans ces conditions un retour au « monde d'avant »pourra-t-il constituer une alternative aux nationalistes dont les erreurs et les échecs, entraîneraient un retour de balancier ?
Et quid de cette autre gauche, plus moderne, égarée en Macronie depuis 2017, qui entend elle aussi jouer un rôle dans les futurs débats mais qui pour l'heure rassemble des individualités mais ne dispose d'aucun appareil ?
Beaucoup d'interrogations demeurent, et si la défaite des uns est une réalité, elle ne consacre par forcément à terme la victoire des autres. La stabilité municipale demeure globalement mais l'incertitude quant à l'avenir politique est de mise.
C'est une des leçons que nous enseignent ces élections municipales tronquées qui resteront dans les mémoires, pas seulement pour leurs résultats.