Les municipales, marquées par une forte abstention, consituent sans doute un tournant dans la mandature nationaliste. Premier scrutin intermédiaire depuis sa réélection en 2017, elle a subi un revers incontestable. Les conséquences pourraient être fâcheuses pour les prochaines territoriales.
Le constat est sans appel. A de très rares exceptions le score des listes menées ou soutenues par Femu a Corsica ou par les autres composantes de la majorité territoriale a été très en-deçà de leurs espoirs. Et l'on peut clairement parler d'échec à un an du renouvellement de l'Assemblée de Corse.
Certes il y a eu Portivechju, où Jean Christophe Angelini a viré en tête au premier tour et se trouvait en position de favori pour le second, même si le retrait de Don Mathieu Santini n'impliquait pas un report des voix automatique sur le candidat nationaliste. Néanmoins, le Président de l'ADEC, s'il a réussi son pari, devra très certainement rejouer la partie en octobre... ou plus tard.
Hormis ce succès relatif, la réélection de deux membres de l'Exécutif à la tête de leur commune où il n'y avait pas de concurrent, et la conquête attendue de Biguglia, le bilan est largement négatif. Défaite sans appel à Aleria, à Ghisunaccia, à Corti, conseillers territoriaux battus dans leur commune, le Président du groupe Femu en échec chez lui... La liste est longue et la défaite n'a épargné aucune des composantes de la majorité territoriale. Le PNC et Corsica Libera lorsqu'ils faisaient listes communes ont essuyé des revers eux aussi.
La liste des défaites
Inquiétant aussi le score relativement bas obtenu à Bastia. Tout juste 30% pour une liste comprenant dès le premier tour Emmanuelle de Gentili, du Parti socialiste et Jean Louis Milani, marqué à Droite. Il y a 6 ans, Gilles Simeoni seul, sans alliance au premier tour, dépassait les 32%...Cet insuccès des "partis de gouvernement" nationalistes n'a nullement bénéficié à ceux qui, hors institutions, ont mené une campagne parfois virulente, en particulier le mouvement Core In Fronte. Son leader fondait beaucoup d'espoir dans ce scrutin qui lui aurait permis en cas de succès de négocier au mieux dans la perspective des territoriales.
Las. Avec 6,3% à Bastia et 4,5% à Ajaccio les possibilités sont réduites et la leçon vaut pour tous : l'échec est global, même si les responsabilités sont diversement partagées.
Une politique électorale de gribouille
Premier élément à retenir : la stratégie boiteuse mise en place à l'occasion de ce scrutin par le principal parti de la majorité, Femu a Corsica. La rupture unilatérale de la coalition Per a Corsica, si elle pouvait trouver une explication politique, n'a fait l'objet d'aucun débat public de fond. Pire, elle a donné l'impression d'être à la fois à géométrie variable et d'être en recherche d' alliances à visée essentiellement électoraliste... L'exemple édifiant de Sarrola en est l'illustration la plus caricaturale.
Une politique de gribouille où personne n'a fini par se reconnaître, à commencer par l'électorat nationaliste traditionnel qui, pour partie, a ignoré les urnes. Quant au nouveaux électeurs attirés depuis 2017, ils ont sans doute rejoint, en partie également, les familles politiques traditionnelles...
Ces alliances, parfois ces mésalliances, ces compositions de listes à la lisibilité politique incertaine où le «vieux monde» et ses pratiques étaient très largement représentées ... ont contribué a éloigner un électorat séduit par les promesses de changement et la modernité.
Les sempiternelles querelles de pouvoir du monde nationaliste
Habitués à des rivalités de personnes, de pouvoirs et de stratégies lorsqu'il était dans l'opposition, le monde nationaliste a à peine attendu les premiers effets de la victoire historique de 2017 pour retomber dans ses travers anciens.Les querelles de pouvoir dont on ne sait si elles relèvent de la préséance, de la volonté hégémonique ou de l'ego surdimensionné des uns et des autres, sans doute les trois à la fois, ont eu pour conséquence de faire s'interroger l'opinion sur la gouvernance nationaliste avant d'installer le doute et désormais une certaine défiance.
Les dissensions pour des questions de préséance entre le Président de l'Assemblée de Corse Jean Guy Talamoni et le Président de l'exécutif Gilles Simeoni sont systématiquement portées sur la place publique.
Aux initiatives de l'un répond l'intervention de l'autre dans un ballet qui commence à lasser sérieusement l'opinion.
Le Président de l'Assemblée de Corse, à l'instar de tous ses prédécesseurs, n'a pas de pouvoir en matière de gouvernance, comme le prévoit le statut mais a la volonté et la nécessité d'exister politiquement. Il s'empare donc régulièrement de tous les sujets.
Le Président de l'Exécutif gère les affaires de la Corse, il est le seul à pouvoir prendre des décisions et accepte mal de se voir ainsi aiguillonner.
Un bicéphalisme qui a toujours suscité une concurrence, que ce soit entre Jean-Paul de Rocca Serra et Jean Baggioni, José Rossi et Jean Baggioni ou Ange Santini et Camille de Rocca Serra, mais qui revêt aujourd'hui un signification particulière puisque les nationalistes affichaient leur volonté de changer comportements et pratiques...
Cela resterait anecdotique s'il n'y avait plus sérieusement des oppositions stratégiques sur les alliances futures, sur la manière de gouverner la Collectivité de Corse et sur la gestion de l'île, où de nombreux dossiers ne trouvent aucune solution malgré les promesses faites.
Les nationalistes face aux réalités du pouvoir
La première différence de fond est à la fois tactique et stratégique et relève du rapport de force entre "partenaires". Femu ne cache plus son intention "d'élargir la majorité", entendez "trouver d'autres partenaires" pour constituer une majorité plus large à laquelle s’intégreraient des forces de gauche et de droite.Elle renforcerait son socle politique et par là même relativiserait la présence des deux autres alliés historiques, PNC et Corsica Libera, qu'elle juge parfois encombrant à divers titres...
Une démarche que les intéressés contestent logiquement, craignant à la fois pour leur influence politique et l'abandon de certaines revendications portées par le mouvement nationaliste.
La deuxième divergence relève du mode de gouvernance. Les critiques sont nombreuses sur une concentration et une pratique du pouvoir que Corsica Libera et le PNC jugent inappropriée et non-démocratique.
A ces approches politiques différentes voire opposées, s'ajoutent les difficultés dans la gestion des affaires de l'île.
S'il n'est pas dit que leurs adversaires feraient mieux, ce n'est aux yeux de l'opinion ni une consolation ni une excuse. Pour l'électorat qui leur a confié une mission, ils doivent l'accomplir au mieux et c'est là que le bât blesse. L'heure du bilan n'a pas encore sonné mais le résultat des élections municipales sonne comme un avertissement. Et la sanction qui en a résulté s'explique aussi par l'action de la majorité territoriale...
Une mission confiée par les électeurs
Le dossier des déchets qui ne débouche sur rien depuis des années, les énormes difficultés à faire fonctionner la collectivité unique, l'incapacité à trancher, l'absence de grands projets structurants et le non-dialogue avec l’État sont autant de signaux négatifs perçus par la population. Même si la responsabilité n'incombe pas seulement à la Collectivité de Corse et à sa majorité, c'est elle qui est la représentante et la cheffe de file pour l'opinion.A un an des élections territoriales le revers électoral des nationalistes n'est pas le fruit du hasard ni un épiphénomène. Le nier pourraient les conduire à bien des désillusions