A l'église Saint Jean-Baptiste, comme dans d'autres églises de Corse, la messe de l'Annonciation a été l'occasion de s'associer aux obsèques dYvan Colonna, à Cargese. Nous y étions.
"Dulce et decorum est pro patria mori". "Il est doux et honorable de mourir pour la patrie". Le vers du poète latin Horace résonne d'une manière particulière dans l'église Saint Jean-Baptiste, à Bastia.
A quelques mètres à peine de l'autel, une photo d'Yvan Colonna, encadrée, surplombe un drapeau corse, et fait face aux centaines de gens qui sont venus assister à cette messe de l'Annonciation pas comme les autres...
Conséquences
"La mort, pour les guerriers, est toujours accompagnée d'une certaine gloire. Tout cela est beau, mais l'on oublie parfois les conséquences". Le père Pekle, dans son sermon le promet, il parle de tous les morts, de toutes les guerres, à travers les siècles. Mais les événements des dernières semaines font bien sûr écho à son sermon.
Soyons des artisans de paix, de liberté. Ne soyons pas des apporteurs de mort.
Père Pekle
En chaire, le prêtre prend soin d'ajouter, au moment où des messages à la gloire d'Yvan Colonna fleurissent sur les murs de la Corse : "tout cela est très beau, mais l'on oublie un peu les conséquences. On oublie toutes ces mères, toutes ces épouses, toutes ces femmes qui n'ont jamais vu revenir leurs hommes à la maison."
Le message que veut porter l'église, en s'associant à la douleur d'une partie de la Corse, c'est un message de deuil, bien sûr, mais également d'apaisement, alors que l'île s'est embrasée à plusieurs reprises.
"Il n'est pas question de remettre en cause ceux qui meurent pour la liberté, il n'est pas question de remettre en cause tant de vies données, tant de vies sacrifiées. Mais, ici, unis à tous ceux qui sont à Cargese, soyons des artisans de paix, de liberté. Ne soyons pas des apporteurs de mort, pensons à la douleur infinie de ceux qui restent".
Respect
Dans l'église, dont les bas-côtés sont occupés par toutes celles et tous ceux qui n'ont pu trouver de place, des gens de toutes les générations. Et beaucoup d'élus, et de militants nationalistes de la première heure, parfois réunis au même endroit pour la première fois depuis très longtemps.
L'un d'eux, Guy, commente : "on se devait d'être là, le peuple corse a perdu un vrai guerrier, dans des conditions inacceptables. C'est la moindre des choses". Certains ont du mal à dissimuler leur émotion. Ils n'ont pas pu se rendre à Cargese, et se sentent presque coupables.
Je suis venu par respect. Si on nie ces valeurs-là, on ne comprend rien à la Corse.
Jean-Louis Milani
Il y a aussi les habitués, qui n'ont pas l'habitude de voir leur église aussi pleine pour la messe de l'Annonciation à Marie. Certains ne cachent pas leur irritation, avec l'impression tenace qu'on leur a confisqué leur messe.
Marie-Thérèse, qui prend soin de préciser qu'elle n'est pas nationaliste, grommelle : "le peuple corse rend hommage à Yvan Colonna... Si on n'a pas envie, de lui rendre hommage, on nous met dans le bateau ? "
Mais la majorité comprend la démarche, et s'associe à elle, au-delà des clivages politiques. L'élu de droite Jean-Louis Milani le résume à la sortie de l'église. Pour lui, c'était presque un devoir d'être là. "Je ne suis pas nationaliste mais je suis venu par respect pour l'homme qui est mort, et pour sa famille. Si on nie ces valeurs-là, on ne comprend rien à la Corse".
Il est 16 heures, et sur la place du marché, celles et ceux qui ont assisté à la messe s'apprêtent à retourner au bureau, ou se dirigent vers une terrasse de café. Téléphone portable en main, pour suivre, minute par minute, ce qu'il se passe à Cargese. Avec l'impression d'avoir été un peu là-bas, eux aussi.