En ce lundi de Pâques, Cargèse a célébré la résurrection du Christ selon le rite byzantin. Une tradition qui perdure et se transmet depuis le plus jeune âge.
"Je n’ai pas manqué un lundi de Pâques depuis que je suis né."
Pour Thomas Felappi, il est très difficile de concevoir les fêtes de Pâques ailleurs qu’à Cargèse. À bientôt 23 ans, le jeune homme qui a grandi au village et vit désormais à Paris est rentré exprès dans l’île ce week-end pour célébrer la Pâques catholique selon le rite byzantin.
"C’est une tradition que l’on a depuis l'enfance", souligne-t-il après avoir ôté son aube blanche et sa cape rouge, symbole de la confrérie de Saint Spyridon, du nom de l’église grecque du village. "J’ai grandi entre les deux églises, la latine et la grecque, précise-t-il. Enfant de chœur, on s’habillait pour les deux. Après, au fil des années, on ne s’est plus habillé que pour une seule. Vu que j’avais de la famille côté grec, je me suis dirigé vers cette confrérie-là."
Chez les confrères de Saint Spyridon, on retrouve les descendants des familles grecques du village de Vitylo ayant débarqué à Paomia en 1676 avant d’y fonder Cargèse un siècle plus tard.
À l'origine orthodoxes, ces Hellènes avaient dû adopter la religion catholique en échange du droit de pouvoir rester sur place. Le rite byzantin, lui, a néanmoins perduré au fil des générations.
Zanettacci, Dragacci, Frimigacci, Garidacci ou encore Ragazzacci... Autant de patronymes qui se terminaient jadis par "kis" et qui témoignent aujourd’hui de l’origine de ce village des Dui Sorru à la célébration pascale unique en Corse.
"Avec l'âge, on devient confrère"
Ce lundi, après la messe célébrée principalement en grec ancien par l’archimandrite Antoine Haddad, les fidèles ont cheminé dans les rues du village autour de l'icône de la vierge Marie portée par les confrères.
Annulée ces deux dernières années à cause du Covid, la procession a fait son grand retour au rythme des chants, des cloches des deux églises (latine et grecque) et des salves d’honneur, tirées "à blanc".
"On célèbre la résurrection de Jésus à travers une procession et on tire des salves pour exprimer notre joie qu’il soit ressuscité", explique Jean-Constantin Zanettacci, 39 ans, dont la mère s’occupe de la paroisse de l’église grecque.
"Tout petit, j’étais enfant de chœur, poursuit-il. Ensuite, je suis devenu confrère. Maintenant, je suis ravi de voir que des jeunes qui arrivent veulent rentrer dans la tradition."
C’est le cas d’Alexandre, Gaspard et Dimes. Vêtus de leur tunique de Saint Spyridon, les trois collégiens ont les yeux remplis de fierté au sortir de l'église grecque. "C’était ma première procession en tant que confrère, confie Dimes, 16 ans. J’étais heureux de la faire. Je viens la voir depuis toujours. Mon grand-père y participait également comme je l’ai fait aujourd’hui."
"Moi, j'ait fait le catéchisme depuis tout petit, indique de son côté Alexandre, 15 ans. Ensuite, j'ai été enfant de choeur. Puis, avec l’âge, on devient confrère."
"La plupart des gens de ma famille font partie des tireurs."
Thomas, jeune confrère de 23 ans
Pour devenir "tireur", ces jeunes adolescents devront encore un peu patienter. "Il faut avoir 16 ans et le permis de chasse", précise Éric Capodimacci dont le grand-père a été prieur dans la confrérie.
"La plupart des gens de ma famille ont fait partie des tireurs, prolonge Thomas Felappi, après avoir rangé sa carabine. Du coup, ça se transmet de génération en génération."
Rite byzantin
À Cargèse, l’initiation catholique selon le rite byzantin se fait dès le plus jeune âge. "La différence avec le rite latin se fait déjà au niveau du baptême, indique Éric Capodimacci. Nous sommes baptisés à la manière grecque : c’est-à-dire que l’on fait le baptême et la communion en même temps. Il n’y a pas de première ou de deuxième communion. Tout est fait le jour du baptême, à un an, où l'on est trempé entièrement dans l'eau bénite", souligne celui qui a été baptisé il y a près de 38 ans dans l’église Saint Spyridon.
Ces différences entres les rites latins et grecs suscitent parfois la curiosité jusque sur les bancs de l’école. Comme l’indique Mathieu, élève au collège Saint-Paul, à Ajaccio : "On me pose souvent des questions par rapport au rituel byzantin, car mon collège est de rituel latin, explique-t-il. Parfois, on me demande de filmer les processions à Cargèse pour ensuite montrer à ma classe comment les différents rituels au sein d’une même religion peuvent aboutir à d’autres rituels."
Communion
Malgré des rites différents, "Latins" et "Grecs" ont célébré Pâques en communiant. Ensemble. Comme le veut la tradition à Cargèse lors de la semaine sainte.
"Je pense que tous les Cargésiens se sentent un peu grecs un jour comme aujourd'hui, note Eric Capodimacci, après avoir défilé en tête de procession avec son fils Dariu, âgé de 8 ans. C'est la raison pour laquelle on a réussi à faire tenir cette tradition et à la faire perdurer. Après, c'est surtout nous, au sein des familles, qui répercutons ça sur nos enfants. C'est instinctif et naturel. Pour moi, cette fête représente tout simplement mes origines ; d’où je viens, ce que je fais là..."
La cérémonie - à laquelle participait l’évêque de Corse Monseigneur Bustillo - a une nouvelle fois été l’occasion de réunir des confréries de toute l’île. Certaines sont venues de loin (Brando, Casamaccioli), d’autres de plus près (Vico, Piana, Ajaccio). Et une du même village, soit de l’église de l'Assomption située juste en face de l’édifice grec.
En effet, comme chaque lundi de Pâques à Cargèse, la confrérie Saint Antoine s’est jointe à celle de Saint Spyridon. Là aussi pour perpétuer une vieille tradition…