Parité en politique : “Sans ces lois, les hommes n’auraient jamais laissé la place”

En 1999 débute une série de lois sur la parité en politique. Des dispositions visant à féminiser les organes décisionnaires français. "Mesures équitables et naturelles" pour certains, "inutiles" pour d'autres, ces lois ne semblent que très légèrement participer à un changement de mentalité.

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En 1983, Joselyne Fazi remporte, “de haute lutte”, la mairie de Renno en Corse-du-Sud. Dans la société, l’idée même de parité est encore loin, tout comme dans la tête de la jeune femme fraîchement élue.  

J’avais 32 ans, les hommes qui m’ont placée à la tête de cette liste l’ont fait parce qu’ils pensaient que je pouvais gagner. Je me présentais contre un homme, mais je ne me suis jamais posé de questions. Renno était mon village, il était dans mon cœur, je voulais gagner la mairie et je m’en fichais pas mal d’être un homme ou une femme”, se souvient-elle.  

C’est avec le même état d’esprit que Joselyne Fazi se lance, en 1996, dans la bataille des régionales sur une liste du parti de droite UDF (Union pour la Démocratie Française). Elle remporte un siège. Lors de la mandature de 1998, elles sont trois à découvrir l’hémicycle de l’Assemblée de Corse.  

“Les hommes n’étaient plus les mêmes, ils n’étaient plus dans leur monde” 

La première disposition pour la parité en politique arrive un an plus tard. Les articles 3 et 4 de la Constitution sont complétés par l’alinéa : “La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives.” Une disposition suivie, le 6 juin 2000, par l’adoption de la loi dite sur la parité qui contraint les partis politiques à présenter un nombre égal d’hommes et de femmes aux élections municipales, régionales et européennes. Les listes qui ne respectent pas la parité ne sont pas enregistrées.  

En 2004, année d’élections régionales où cette loi s’applique pour la première fois, 31 femmes investissent l’hémicycle de l’Assemblée de Corse. “Je peux vous dire que les hommes n’étaient plus les mêmes, rit Joselyne Fazi. Attention, durant l’ensemble de ma carrière je n’ai jamais eu aucun problème avec les hommes, il y a toujours eu un respect total. Mais en 2004, ils n’étaient plus dans leur monde. Ils faisaient des sourires, des petites courbettes à tout le monde. 

“La seule façon pour les femmes d’être entendues” 

Actuellement vice-présidente de l’Assemblée de Corse, Nadine Nivagionni effectue son premier mandat de conseillère régionale cette année-là. “Ces listes paritaires ont été mal perçues par les hommes, parce qu’on leur prenait la place. Pour certains, les femmes n’y comprenaient rien, certaines pouvaient être dénigrées. Mais on s’est aussi rendu compte que les femmes pouvaient avoir un raisonnement politique équivalent à celui des hommes. Des hommes, élus depuis des années, n’avaient pas ce raisonnement.” Selon elle, sans ces lois, “les hommes n’auraient jamais laissé la place.” “Sans être féministe, je considère que ce sont de bonnes lois, car c’est la seule façon pour les femmes d’être entendues. 

Une fois l’accès à l’assemblée gagnée, il a fallu “trouver sa place”. Une place que Nadine Nivagionni considère avoir conquise grâce à des années de militantisme. “Je suis d’une génération dans le nationalisme où il y avait un fort engagement politique, avec beaucoup de femmes militantes. J’ai été formée sur le terrain, c’est là que j’ai fait mon apprentissage de la pensée politique. Et nous arrivions avec une légitimité du terrain.” Ainsi, contrairement à d’autres femmes d’autres partis, toutes non-militantes, la vice-présidente de l’Assemblée de Corse estime que “nous connaissions nos lignes.” “Les femmes non-militantes n’avaient pas de connaissances des rouages politiques. Elles ne savaient pas comment se positionner si elles n’avaient pas le conseil de leur président de groupe. 

“Si la parité est une obligation, c’est une erreur” 

Si Joselyne Fazi confirme que les femmes militantes s’en sont mieux sorties que les autres, l’instauration des lois pour la parité en politique lui ont “fait de la peine”. “Pour moi elles ne sont pas nécessaires. Je suis pour la récompense et contre la médiocrité. Je suis pour la méritocratie.” Selon elle, la rare présence de femmes dans les hémicycles était due au fait “que les hommes se sont toujours plus intéressés à la politique."  

Rien n’empêchait les femmes d’en faire. Des femmes, comme moi, qui sont portées par un idéal politique se lancent et ne se posent pas de questions”, précise-t-elle. Pour appuyer ses propos, elle se réfère à Simone Veil. “Elle a été présidente de la commission européenne alors même qu’il n’y avait pas de parité. Beaucoup de femmes comme elles ont peuplé notre histoire. Elles étaient de vraies femmes politiques, amoureuses de la chose publique. 

L’idée d’une méritocratie est aussi partagée par Jean Baggioni. Premier président RPR du conseil exécutif de Corse en fonction entre 1992 et 2004, il décrit la parité comme une “mesure naturelle et équitable en tout domaine.” “La parité n’est pas une obligation, mais c’est d’un intérêt certain. 

Il analyse : “Si la parité est une obligation, c’est une erreur. Car il ne faut pas juger les gens en fonction de leur sexe, il faut les juger en fonction de leurs capacités, de leurs compétences et de l’opportunité qu’il y a leur confier des responsabilités. Dire qu’un homme doit succéder à une femme sur une liste, ou inversement, c’est faire de l’arithmétique et même une présentation géométrique qui n’ont rien à voir avec le bon sens et avec l’intérêt réel que peut présenter une liste. 

Ce qui m’intéresse, c’est la complémentarité des présences.

Jean Baggioni

Selon lui, “la présence des femmes dans une assemblée est souhaitable”. “Elles peuvent même être plus nombreuses que les hommes s’il y a lieu d’en choisir davantage que des hommes. C’est le fait que systématiquement on parle de parité qui me choque. Ce qui m’intéresse c’est la complémentarité des présences.Joselyne Fazi abonde. “Il ne peut pas y avoir une égalité totale entre les hommes en les femmes. Personnellement je pense que je suis complémentaire à l’homme. Mais l’être humain a toujours aimé le combat, alors qu’il faudrait profiter de notre complémentarité. 

“Ce sont les hommes qui continuent de décider de qui va à l’Assemblée” 

Mais la parité a-t-elle mis un terme à l’hégémonie masculine en politique et contribuer à changer les mentalités ? Toutes générations de femmes confondues, non. “Les hommes continuent de mettre qui il veulent, et ils évitent de mettre des femmes qui pourraient les doubler. C’est eux qui décident de qui va à l’Assemblée”, estime l’ancienne maire de Renno. “En tant que femmes, on ne gagne pas facilement ses galons. Il ne faut pas croire, il faut se battre pour être sur une liste. Et ce sont les hommes qui décident de qui montent ou non sur ces listes”, complète Nadine Nivagionni.  

Joselyne Fazi se livre à une confidence. Un jour, par curiosité, elle interroge un de ses collègues : “Comment devient-on ministre ?” La réponse est sans appel : “Il suffit de se trouver dans l’entourage proche de celui qui a gagné.” Avec le recul, elle considère : “Les hommes veulent le pouvoir, et ils ne mettent pas de gens qui pourraient leur tenir la dragée haute. 

Investir les exécutifs 

Les assemblées ouvertes, reste encore aux femmes d’accéder à des postes à responsabilité. Le 31 janvier 2007, une nouvelle loi est adoptée. Elle vise à féminiser les exécutifs locaux en prévoyant l’application de la parité pour l’élection des adjoints et des membres des commissions permanentes et les vice-présidences des conseils généraux.  

16 ans plus tard, selon les chiffres clés 2021 du rapport vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes publié par le ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes, la part des femmes élues à la présidence des exécutifs régionaux est passé de 4.5 % en 2010 à 31 % en 2021. En 2016, 100 % des délégations de vice-présidences aux affaires sociales et santé étaient confiés à une femme, 81.8 % des délégations culture, 18.2 % des délégations coopération/ relations européennes et internationales, 11.1 % des délégations Budget/Finances et 8.3 % des délégations transport.  

Lauda Guidicelli-Sbraggia occupe un des cinq postes confiés à une femme au sein du conseil exécutif de Corse. Depuis 2015, elle est en charge de la jeunesse, des sports, de l’égalité entre les femmes et les hommes, de l’innovation sociale et du handicap. La jeune femme ne se destinait pas à une carrière politique et visait un parcours en psychologie.  

"Elles ont aussi le courage d’assumer de ne plus arriver” 

Tout commence en 2014 quand elle accepte de figurer sur la liste “Inseme per Bastia” aux élections municipales. “Je n’avais pas du tout les lois sur la parité en tête, c’est quelque chose à laquelle je n'ai pas pensé parce que cela faisait partie des fondamentaux de la liste”, soutient-elle.  

Lorsqu’elle entre en politique, la première loi sur la parité fête ses 14 ans. Quand lui est posé la question de son ressenti, les mêmes obstacles se présentent. “Il peut y avoir un sentiment d’illégitimité, mais qui vient des hommes élus vis-à-vis de ces femmes. Ils s’interrogent sur la capacité des femmes plutôt que sur les leurs. Personnellement, je considère que les femmes, en Corse, ne doivent pas se poser la question. Elles ont été élues par le peuple corse, elles sont légitimes et elles participent à l’émancipation et au changement de mentalité."  

Comme l’indiquent les chiffres du ministère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, si les femmes sont entrées dans les exécutifs régionaux, elles semblent souvent cantonnées aux portefeuilles secondaires. Plus vraiment pour Lauda Guidicelli-Sbraggia qui, pour appuyer ses propos, élargit le cadre. “Ça a bougé en Europe, et puis il y a aussi des femmes qui ont accédé à de grosses responsabilités en Nouvelle-Zélande ou en Finlande. Elles y arrivent brillamment parce qu’elles ont plus de détermination, d’envie et de courage. Elles ont même le courage d’assumer de ne plus y arriver, comme en Nouvelle-Zélande. 

23 ans après les premières lois sur la parité en politique, le changement de paradigme n’est pas encore joué en politique. Les femmes interrogées ne se voient pas comme un exemple, mais pensent pour certaines avoir “prouvé qu’elles pouvaient être entendues.” “J’ai le sentiment d’être respectée en tant que femme politique qui connait les mécanismes de l’écosystème politique. Peut-être que ça peut en encourager d’autres”, estime Nadine Nivagionni.

Signe possible que les lignes bougent, Marie-Antoinette Maupertuis a été élue présidente de l’Assemblée de Corse en 2021. Une première depuis la création de l’institution.   

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