Ce vendredi, une version modifiée du plan territorial de prévention et de gestion des déchets doit être examinée lors de la session plénière de l'Assemblée de Corse. Cette nouvelle mouture substitue la création de deux centres de surtri à l'incinérateur mentionné dans la version initiale du plan.
S'agirait-il enfin d'une avancée sur l'un des dossiers les plus épineux de la politique insulaire ? Une version revue et corrigée du plan territorial de prévention et de gestion des déchets devrait être examinée aujourd'hui au cours de la session plénière de l'Assemblée de Corse.
Plusieurs modifications substantielles ont été apportées par rapport à la version initiale du plan, dont l'examen avait été reporté d'un mois par les élus de la majorité territoriale.
Ainsi, alors que celle-ci mentionnait la possible création d'une "unité de valorisation énérgetique" (un incinérateur permettant de produire de l'électricité ou d'alimenter un réseau de chaleur) très controversée, l'Assemblée de Corse privilégie désormais dans cette nouvelle mouture la création de deux centres de surtri et la production de combustibles solides de récupération (CSR).
En effet, l’étude commanditée par l'exécutif sur la création de l'unité de valorisation énergétique aurait mis en évidence de nombreux problèmes, notamment d'ordre financier : sa mise en place aurait ainsi nécessité 4 millions d’euros d’investissement et 18,2 millions d’euros de frais de fonctionnement.
Une note salée, qui serait, selon le Conseil Exécutif, "difficilement supportable" par les contribuables corses.
A la place, le rapport préconise la création de deux centres de surtri, l'un sur le territoire de la CAPA, et l'autre au Nord, dans l'agglomération bastiaise. Leurs dimensions doivent intégrer le principe d'un tri à la source, établi à 60 % du total des déchets ménagers et assimilés (DMA) et hors déchetterie.
L'adoption d'une stratégie claire en matière de gestion des déchets insulaires est devenue un impératif tant économique et écologique que politique, alors que le rapport estime que la production globale de déchets devrait augmenter de 27 % d’ici 2033.
La quantité totale de déchets enfouis dans l'île, estimée à 1 064 850 tonnes en 2018, devrait ainsi atteindre 1 235 700 tonnes en 2027, et 1 347 200 tonnes en 2033.
Renforcement du tri à la source, qualifié d'axe "majeur et prioritaire" par les auteurs du rapport, promotion de la prévention et de l'économie circulaire, priorité donnée au déploiement de la collecte en porte-à-porte et création de centres de tri multifonctions : dans ce rapport condensé, le Conseil exécutif de Corse réaffirme son "attachement" à ces principes fondamentaux, censés guider cette nouvelle stratégie de gestion des déchets.
Un plan qui ne satisfait pas les associations
Autre priorité clairement énoncée dans le rapport, le principe de gestion publique, qui serait selon l'exécutif le plus sûr rempart contre les dérives de toutes sortes, "a fortiori dans un système insulaire" et dans le cadre d’une économie "souvent captive".
Si la compétence de valorisation et traitement des déchets de la majorité des communes insulaires a été transférée au Syndicat de valorisation des déchets de la Corse (Syvadec), sa gestion fait l'objet de débats.
Au premier rang des critiques : les associations de protection de l’environnement et de lutte contre la mafia.
Selon l'association de protection de l'environnement U Levante, la gestion publique des déchets en Corse ne serait pas une gestion directe en régie, comme le pratique un grand nombre de collectivités locales, mais une gestion déléguée de fait à des sociétés privées pour le transport et le traitement des déchets.
Une industrie qualifiée de "très rentable" par l'association, estimée ainsi à plus de 70 millions d'euros par le Collectif Anti-Mafia Massimu Susini.
Dans son plaidoyer "pour une gestion écoresponsable des déchets", publié en réponse au plan présenté par l'exécutif, U Levante estime que cette gestion déléguée encouragerait le transport "maximal et tous azimuts" des déchets en Corse et hors de Corse, et favoriserait la création de centres d’enfouissement, comme celui de Ghjuncaghju, qualifiée de "menace pour l’environnement" par l'association.
L'abandon du projet d'incinérateur, très controversé, ne devrait pas non plus suffire à satisfaire les associations environnementales insulaires, qui, à l'image d'U Levante, voient dans la création d’usines de tri et de valorisation thermique le signe d'une approche "industrielle", incompatible avec une gestion éco-responsable des déchets.
Les Combustibles Solides de Récupération, utilisés en substitution à des énergies fossiles, sont produits par les centres de surtri en récupèrant les matières valorisables encore contenues dans des ordures ménagères résiduelles, et doivent ainsi permettre de limiter les déchets résiduels à enfouir.
Mais dans un communiqué publié vendredi dernier, le collectif Anti-Mafia "Massimu Susini" estime que la production de CSR et leur "valorisation énergétique" ne constituerait en réalité qu'une "incinération déguisée", coûteuse et productrice de rejets toxiques.
"Il y a bien aujourd’hui une volonté affirmée d’aller vers le traitement thermique des déchets, peut-on lire dans le communiqué, dont les conséquences financières seront catastrophiques pour les corses, les effets nocifs pour l’environnement et pour la prévention de la production de déchets."
Dans son communiqué, le collectif dénonce "une imposture" et appelle au retrait du plan, préconisant à la place un tri à la source "très efficace" doublé de plateformes de compostage et de deux centres de tri de nouvelle génération, "voire un troisième pour l’Extrême Sud", gérés par une Société Publique Locale Régionale.
Une approche qui serait garante d’un investissement global "4 fois moins cher, d’un enfouissement final 2 fois moins important et d’un coût global de fonctionnement 2 fois inférieur" par rapport au plan du Conseil Exécutif, et empêcherait aux grands groupes industriels français et insulaires de rafler un marché "très lucratif".
Un examen déjà repoussé
Véritable test pour la majorité territoriale, le plan de prévention et de gestion des déchets devait initialement être débattu à l'Assemblée de Corse les 20 et 21 décembre 2020, mais les trois groupes de la majorité (Femu a Corsica, Corsica Libera et le Partitu di a Nazione Corsa) et François Sargentini, le président de l'Office de l'Environnement avaient finalement décidé de reporter son examen d'un mois.
Les représentants des trois partis avaient alors estimé qu'un "certain nombre" d’orientations nécessitaient des amendements "substantiels", et qu'il était par conséquent "impossible de pouvoir y procéder dans les délais impartis."
Ce report "ubuesque" avait été dénoncé comme un échec manifeste par l'opposition.
Mais, malgré les orientations et les engagements stratégiques énoncés, la nouvelle mouture du rapport n'aborde pas la question des moyens financiers à mettre en oeuvre, et ne fixe pas non plus de calendrier pour l'adoption de ces différentes mesures.
Un flou que l'opposition ne devrait pas manquer de pointer du doigt.
Une crise récurrente
La Corse est confrontée depuis une vingtaine d'années à une crise récurrente, liée à une production de déchets ménagers bien supérieure aux capacités de traitement et d'enfouissement insulaires, très limitées.
Alors que huit installations de valorisation des déchets inertes sont présentes en Corse, il n'existe ainsi dans l'île que deux centres d'enfouissement. Une problématique majeure, alors que, selon le Syvadec, les déchets résiduels (et donc destinées à l'enfouissement) représentent 64% des déchets produits en 2019.
De nombreux efforts resteraient à faire en matière de tri sélectif : selon le syndicat, on ne trierait ainsi dans l'île que 1,5 emballage sur 10, 3 papiers sur 10 et 6 bouteilles de verre sur 10. Si le tri progresse, 70 % des contenus d'une poubelle pourrait donc encore être triée.
Dès septembre 2020, l'unique centre d’enfouissement de Haute-Corse, à Prunelli di Fiumorbu, avait par conséquent quasiment atteint sa capacité annuelle de 43.000 tonnes. Résultat, les déchets de la Corse entière étaient envoyés depuis à Viggianello, second centre d’enfouissement technique (CET) de l’île, en Corse-du-Sud.
Problème, le centre est limité, sur arrêté préfectoral, à une capacité d’enfouissement de 110.000 tonnes par an, insuffisante au vu de la production de déchets en Corse.
La création de centres d'enfouissement supplémentaires fait l'objet de débats houleux depuis plusieurs années, alors que la production de déchets ménagers dans l'île est supérieure de 39 % à la moyenne nationale, établie à 525 kg/an/habitant.
Une tendance expliquée notamment par l'impact du tourisme, qui représente l'équivalent de 25 % d'habitants supplémentaires à l'année.
Dans son rapport, le Conseil Exécutif note cependant que les démarches de valorisation engagées (collectes sélectives, tri des encombrants…) ont permis de réduire de 5 % les quantités enfouies entre 2010 et 2015, alors même que la population a augmenté de près de 30 000 habitants.
Un effort de réduction et de détournement qui devra cependant être poursuivi pour répondre aux obligations de limitation des capacités.
Exportation des déchets, création d'un incinérateur ou enfouissement accru : aucune solution pérenne n'a été trouvée jusqu'à présent pour répondre à cette question, qui empoisonne la vie des Corses depuis une vingtaine d'années.