Dans son édition du 23 octobre, le Canard enchaîné a publié un article indiquant que le conseiller exécutif de l'Assemblée de Corse Alexandre Vinciguerra était "l’élu le mieux rémunéré de France". Le président de l’Agence de développement économique de la Corse (Adec) a répondu via un communiqué.
D’où vient cette polémique ?
"L’élu le mieux rémunéré de France est un nationaliste corse." C’est le titre de l’article du Canard enchaîné paru mercredi 23 octobre. Depuis, il suscite la polémique. Le journal satirique assure en effet que le conseiller exécutif Alexandre Vinciguerra gagnerait 223 259 euros par an. Des émoluments calculés selon le cumul de ses indemnités en tant que conseiller exécutif en charge de l’Agence de développement économique de la Corse (40 080 € euros annuels) et de son activité professionnelle en tant que président du conseil d'administration de la Caisse de développement de la Corse (Cadec) et de Corsabail (121 292 € + 61 887 €).
Selon l’hebdomadaire, l’élu de Femu a Corsica percevrait donc "19 105 euros net par mois". Et le Canard d’ajouter : "Plus que le chef de l'Etat lui-même, et plus que la loi (française) ne l'y autorise. Pour l'ensemble de ses fonctions, un élu local ne peut en effet percevoir "un montant total de rémunération et d'indemnités de fonctions supérieur à une fois et demie l'indemnité parlementaire dite de base (5 931,95 euros brut)". Soit, au 1er janvier 2024, quelque 8 000 euros."
Quelle est la version d'Alexandre Vinciguerra ?
Dans un communiqué publié mercredi en fin de journée, le président de l’Adec et de la Cadec a réagi. Alexandre Vinciguerra a indiqué "faire l’objet d’une campagne intense de dénigrement, notamment sur les réseaux sociaux, provoquée par la parution" de cet article. Il a notamment précisé que "l’article L. 4135-18 du Code Général des Collectivités Territoriales fixe le plafond des rémunérations liées à ses fonctions électives qu’un élu régional (en Corse, territorial) ne peut dépasser. Ce plafond est d’un montant de 9 015€ . Je perçois au titre de ses fonctions électives (conseiller exécutif et président de l’Adec) la somme cumulée de 3 380€ net, soit un montant de 2 631,05€ mensuellement versé, après retenues à la source, très inférieur au plafond fixé par la loi. Je respecte donc strictement la loi de ce premier chef". Concernant son salaire lié à son activité professionnelle, il déclare : "Ma rémunération mensuelle nette au titre de mon activité professionnelle est donc de 7 702,89 € pour la Cadec et de 1 918,01 € pour Corsabail".
Le tout cumulé, il percevrait donc annuellement la somme totale de 13 000 € net par mois. Un salaire conséquent - plus de cinq fois supérieur au salaire moyen en Corse (environ 2 313 € net selon l'Insee) - mais inférieur de 6 105 euros par rapport au calcul effectué par le Canard.
L’élu le mieux rémunéré de France est un nationaliste corse ! En cumulant ses mandats avec des présidences d’institutions locales, Alexandre Vinciguerra a réussi à éviter le plafonnement prévu par la loi… Chaque mois, il empoche tranquillou 19 105€, soit davantage que le… pic.twitter.com/zyq0EJvJHJ
— Le Canard enchaîné (@canardenchaine) October 23, 2024
De quelles données disposons-nous ?
Dans l’article du Canard, il est mentionné qu’Alexandre Vinciguerra "palpe pas moins de 19 105 euros net par mois". L’élu territorial avance donc d’autres chiffres (évoqués ci-dessus, que nous avons pu consulter), relatifs à sa rémunération actuelle et fixe (hors variables et bonus).
De notre côté, nous sommes allés consulter les revenus qu'il a déclarés sur le site de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique. On y voit que pour l’année 2021, le cumul de ses rémunérations s’élève à 107 090 € (72 294 € pour la Cadec et 34 796 € pour Corsabail). Cette déclaration a été effectuée au mois d'octobre 2021 ; les rémunérations mentionnées ne concernent donc pas une année complète. Sur le site de la Haute autorité pour la transparence, ce sont des données globales qui sont affichées. Il est donc impossible de savoir ce qui relève des revenus ou des bonus variables.
Le journal satirique se base sans doute sur les déclarations déposées par Alexandre Vinciguerra auprès de cette même Haute autorité en 2020, une année pleine où il ne siégeait pas encore au conseil exécutif. Pour rappel, il a fait son entrée dans l’hémicycle de l’Assemblée de Corse le 1er juillet 2021, à la suite des élections territoriales du mois de juin précédent. L’année avant d'être élu, il a perçu 183 179 €. Au sujet de cette rémunération, il dit qu’elle "a été fixée par un comité de rémunération composé d’administrateurs de la Cadec, en fonction des moyennes du secteur financier, et est conforme à celle perçue pour ce type de fonctions".
Le communiqué de presse d'Alexandre Vinciguerra :
Rémunération maximum des élus locaux : que dit la loi ?
En France, un élu local ne peut pas recevoir une rémunération mensuelle supérieure à 9 015 € dans le cadre de ses fonctions électorales. Et ce, même s’il détient d’autres mandats électoraux. Ce montant est fixé en pourcentage de celui correspondant à l’indice brut terminal de l’échelle indiciaire de la fonction publique et varie selon l’importance du mandat et de la population de la collectivité. "Les indemnités de fonction des élus sont fixées par l’organe délibérant dans les trois mois suivant son installation. Elles constituent une dépense obligatoire pour la collectivité", indique le site du gouvernement relatif aux collectivités locales. Selon cette même source, à la Collectivité de Corse, le salaire d’un conseiller exécutif équivaut à celui d’un conseiller territorial (2 466, 31 €) majoré de 40% (986,52 €), soit une rémunération de 3 453 € pour chaque élu qui siège au conseil exécutif. Un chiffre quasi équivalent à celui avancé par le Canard enchaîné (3 340 e) et par Alexandre Vinciguerra (3 380 €). Lorsque ce plafond de 9 015 est dépassé, les indemnités font l’objet d’un écrêtement : l’élu local doit alors reverser le surplus perçu à la collectivité.
Pourquoi Alexandre Vinciguerra n'est pas concerné par cet écrêtement ?
Les revenus que perçoit Alexandre Vinciguerra par rapport à sa fonction de président de la Cadec et de sa filiale Corsabail proviennent de deux structures financières agréées à l’actionnariat public et privé. En effet, la Cadec (et donc Corsabail) a plusieurs actionnaires : la Collectivité de Corse (33% et majoritaire), le Crédit coopératif (25,30%), la Caisse des dépôts et consignation (20%), la Caisse d’épargne (15%), la Caisse régionale du Crédit Agricole de la Corse (3%) et le Crédit Mutuel Méditerranéen (3,70%). Le rôle de la Cadec est de financer et d’accompagner les entreprises insulaires.
Si les revenus cumulés à l’indemnité d’élu d’Alexandre Vinciguerra dépassent les 9 015 euros maximum fixés par la loi, il n’est pas concerné par un éventuel écrêtement. En effet, le président de la Cadec et de Corsabail n’est pas obligatoirement un élu ou un représentant d’une collectivité. Cela n’est donc pas en tant qu’élu qu’il perçoit ces deux revenus-là mais dans le cadre de son activité professionnelle. Il a d’ailleurs été nommé président du conseil d'administration de la Cadec en 2016, soit cinq ans avant de devenir conseiller territorial. De la même manière, un élu qui exercerait une profession libérale et qui serait rémunéré au-delà des 9 015 euros ne serait pas non plus sujet à un écrêtement, cette mesure ne concernant que les indemnités en lien avec les mandats électifs.
Présider la Cadec et l’Adec de manière concomitante, est-ce possible ?
Après avoir été nommé directeur de la Cadec en 2010, Alexandre Vinciguerra en est devenu le président en 2016. Concernant l’Agence de développement de la Corse (Adec), il en a pris la présidence le 1er juillet 2021, à la suite de son arrivée au conseil exécutif de l’Assemblée de Corse. Au moment de son élection, s’est alors posée la question de la compatibilité entre son mandat électoral et son activité professionnelle. Alexandre Vinciguerra et le conseil exécutif de Corse avaient alors assuré que ces deux fonctions exercées de manière concomitante étaient "compatibles".
Le 28 octobre 2021, soit près de quatre mois après sa prise de fonction à l’exécutif, une délibération avait été votée à la majorité (32 voix pour sur 63) à l’Assemblée de Corse afin de modifier les statuts de l’Adec, notamment celui concernant le rôle d'ordonnateur jusque-là attribué au président. Parmi les modifications adoptées, l’article 14 stipulait que, désormais, ce statut serait dévolu au directeur général de l'Agence : "En sa qualité d’ordonnateur (trice) de l’établissement public, il (elle) est chargé(e) d’engager, de liquider et ordonnancer les dépenses, ainsi qu’administrer les recettes."
Depuis 2021, le droit de présider à la fois l’Adec et la Cadec n’a pas été officiellement contesté à Alexandre Vinciguerra. Néanmoins, sur un plan politique, le fait que deux entités économiques majeures de l’île soient gérées par la même personne soulève de nombreuses critiques et interrogations, notamment sur les bancs de l’opposition. Sur un plan opérationnel, cette double casquette peur s’avérer contraignante sur certains dossiers où des flux financiers transitent entre les deux structures. Ce qui oblige, dans ce cas précis, le président à ne pas siéger lors des délibérations afin de rester dans les clous de la légalité.
Enfin, en termes d’image, au vu des réactions suscitées par cette affaire sur les réseaux sociaux, la rémunération des élus, et notamment celle relevant de leur activité professionnelle, continue de faire polémique.