Possible visite du pape François en Corse : “La Méditerranée est dans ses gènes et dans son cœur”

Le pape François pourrait se rendre en Corse les 14 et 15 décembre prochains. Un événement que décrypte Constance Colonna-Cesari, auteure et journaliste indépendante spécialiste du Vatican, dans un entretien accordé à France 3 Corse ViaStella.

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Une visite encore non officialisée. Les 14 et 15 décembre prochains, le pape François devrait se rendre en Corse, à Ajaccio.  

Une annonce que ni la mairie, ni l’Église de Corse n’ont pour l’heure confirmée, mais qui suscite déjà un certain engouement.  

Dans un entretien accordé à France 3 Corse ViaStella, l’auteure et journaliste indépendante spécialiste du Vatican, Constance Colonna-Cesari, décrypte cet événement.

 Aviez-vous connaissance de cette visite ? Pensez-vous que l’état de santé du pape le permet ?  

J’ai eu connaissance de cette rumeur. On est tous très excité à l’idée de cette venue. Bien évidemment l’état de santé du pape fait que Rome, par nature, va redoubler de prudence avant de confirmer quoi que ce soit. Ça ne le sera qu’au dernier moment. Ce qui est naturel.  

En novembre dernier, le pape a annulé une importante participation à la COP qui se tenait à Dubaï à laquelle il tenait puisque l’engagement écologique du pape François est connu. Toutes les conditions étaient réunies et puis le pape avait dû renoncer à ce voyage à cause de son état de santé.  

Évidemment, actuellement, le Vatican redouble de prudence avant de confirmer une visite. Cela dit, on en entend parler. Et si l’on réfléchit au type de voyages, de destinations, du pape François tout le long de son pontificat, la Corse c’est logique. Je dirais que la Méditerranée est dans ses gènes et dans son cœur. N’oublions pas qu’il a commencé sa première visite à Lampedusa. 

“Méditerranée dont on ne peut tolérer qu’elle devienne un grand cimetière”, c’est ce qu’il avait dit à Strasbourg lors de sa visite de 2015. Sa visite récente à Marseille, pourquoi pas demain la Corse. La Méditerranée c’est quand même le cœur de la vision des périphéries du pape François.  

J’y crois assez et puis il y a aussi l’occasion d’un colloque sur la piété populaire. C’est quelque chose qui intéresse beaucoup le pape François qui est Argentin mais qui vient aussi de Ligurie par ses grands-parents paternels et sa grand-mère, Maria-Rosa, est une véritable mythologie de la famille Bergoglio. Souvenons-nous, il a eu des gestes de piété populaire comme au cours de la crise du Covid quand il était allé chercher le crucifix de San Marcello qui est un objet de la dévotion populaire du peuple de Rome et qu’il l’avait amené sur la Place Saint-Pierre.  

La piété populaire, et celle de Corse, à mon avis peuvent coïncider. Ça rapproche le pape François de la Corse et donc ça rend pour moi plausible cette visite.  

Le pape François s’est déjà rendu en Sicile, à Malte, en Sardaigne. A-t-il une volonté de mettre en avant les “petits” territoires ?  

Le pape François n’aime pas les grandes capitales arrogantes, riches, au centre de l’Europe. Il a mis évidemment les centres aux périphéries et il met les périphéries au centre.  

Il s’est peu rendu à Paris, on le déplore. Les Parisiens, les Français, ont bien entendu cette phrase qu’il a martelée qu’il ne se rendait pas à Paris mais à Marseille. Ça a déplu à Paris. Jusqu’à peu il n’était pas allé à Bruxelles, pas à Madrid, pas à Berlin, pas à Londres. Ce sont toujours des voyages aux marges de l’Europe. Il a contourné l’Union européenne, il est allé en Bosnie, en Arménie, en Turquie. Partout autour de ce que nous considérons comme des centres.  

Même quand il va à l’Europe, ce n’est pas à Bruxelles, au cœur des institutions européenne qu’il va. C’est à Strasbourg au Conseil de l’Europe. Tout est cohérent, c’est un homme qui aime les marges, les périphéries. Il a fait de ce mot le leitmotiv de son pontificat. Et la Méditerranée est au cœur de ces périphéries et de son Église.  

Le pape aurait décliné l’invitation pour la réouverture de Notre-Dame de Paris. Selon vous pourquoi ?  

Cette rumeur a existé à Paris, très sincèrement j’y croyais moins que la rumeur d’une possible venue du pape en Corse, pour toutes les raisons que je vous ai exposées, de priorités, de besoins qu’il estime. “Est-ce que les gens ont besoin de ma présence ? Est-ce que mon Église sera un hôpital de campagne ?”, c’est ainsi qu’il avait qualifié son Église à l’occasion de son discours d’intronisation. C’est une Église qui doit se déployer là où les peuples ont besoin de sa présence, dans les périphéries géographiques mais aussi existentielles.  

Donc pour tout ça, la réouverture de Notre-Dame c’est un grand événement mais le pape est attendu par ailleurs à un autre grand événement qui se tient à la même période à Rome. Il se déroule à la Basilique Latran, une basilique que le pape aime beaucoup. Il a demandé à y être enterré. Il y a des événements qui peuvent expliquer pourquoi, à la même période il doit être à Rome et il ne peut donc être à Paris au même moment pour assister à un événement dont il se réjouit évidemment mais qui n’est pas au cœur de sa vision de la nécessité de son Église, d’une Église comme un hôpital de campagne.       

Pensez-vous que ce refus de Paris et ce choix de la Corse puissent froisser ?   

Ça peut froisser à Paris parce que les fidèles ont envie de la présence du pape. Et en même temps, le pape a ses priorités, son agenda, il a ses cardinaux. On sait qu’il a créé le cardinal Bustillo et que c’est aussi quelque chose qui compte, une proximité supplémentaire. Ça crée des liens, les cardinaux sont des ministres directs du pape.  

Le sacré collège n’est pas seulement une assemblée qui élira les papes et notamment celui qui succédera au pape François. C’est aussi une assemblée de conseillers, d’hommes qui sont au plus près du pape François. Ça crée des liens supplémentaires et en fonction de ça, ça permet aussi à un pape d’aller plus facilement visiter son ministre, son frère, en l’occurrence le cardinal Bustillo avec qui il collabore à Rome sur des dossiers.  

Donc oui, ça peut être mal pris, on peut comprendre que les Parisiens soient déçus et que les Corses soient heureux. Mais c’est le choix d’un pape, c’est sa vision de l’Église, ça lui appartient.  

Quel rôle a pu jouer le cardinal Bustillo dans ce choix ? Quelle est sa capacité à convaincre le pape ?  

Oui, ils sont en contacts de façon beaucoup plus régulière. Il y aura à Rome, un consistoire le 7 décembre avec des nouveaux cardinaux créés, dont d’ailleurs un cardinal qui la nationalité française et algérienne, le futur cardinal Jean-Paul Vesco qui est l’évêque d’Alger. C’est encore quelqu’un qui représente la Méditerranée. 

On voit bien que ce monde-là intéresse le pape François, lui tient à cœur. Il y a déjà le cardinal Bustillo, le cardinal Aveline, le futur cardinal Vesco, tous ces gens-là vont se retrouver à Rome, ensemble. Parce que quand on est créé cardinal on a des responsabilités à Rome, à l’intérieur de la curie, et donc ça appelle ces gens-là à venir à Rome, à se rencontrer, se retrouver, et donc ça crée des liens évidemment.  

Est-ce que l’on peut envisager que le cardinal Bustillo soit élu pape à l’avenir ?  

Je crois que le cardinal Bustillo commence à être connu à Rome, il ne l’était pas. Donc il faut aussi se familiariser avec la curie. Il faut y rencontrer des gens, il faut y créer des liens. Ces nouveaux cardinaux doivent s’accoutumer à la curie, à cette façon de travailler, à cette culture de la curie.  

Une culture que le pape dénonce parfois. Il a été dur avec les cardinaux de la curie. Je dois dire que la curie avait l’habitude de fonctionner comme un panier de crabes disons-le. En tout cas c’est un grief que lui fait François, il estimait que cette curie romaine était rongée par des réactions de corporatisme, de cléricalisme, c’est un terme qui arrive souvent dans la bouche de François et qu’il dénonce. Il veut modifier la culture de la curie, la mettre au service de l’Église et non pas à son propre service.  

Les cardinaux nouvellement créés doivent connaître, comprendre, ce fonctionnement curial particulier. Et si possible en évitant cette culture du cléricalisme que le pape a essayé de déconstruire. C’est lent et c’est pour ça que quand on dit que des cardinaux comme le cardinal Bustillo, le cardinal Aveline, ne peuvent pas être immédiatement perçus comme papables parce qu’ils ont besoin avant ça de comprendre la curie, de s’y faire connaître, de se faire des réseaux romains parce qu’évidemment on ne peut pas devenir papable du jour au lendemain. Mais quand on est cardinal, évidemment par définition, on devient papable.  

Ce voyage répond à des enjeux en termes d’organisation et de sécurité. Pensez-vous que ce déplacement est réalisable en peu de temps ?  

Oui il n’y a pas de raison. Je pense à un voyage à haut risque que le pape a accompli en Irak en plein Covid alors qu’il y avait des attentats une semaine avant son arrivée. C’était un voyage extrêmement risqué qu’on lui avait déconseillé.  

Normalement il n’y avait plus de voyage à son agenda pendant des mois à cause notamment du Covid. La responsabilité d’aller, pourquoi pas, contaminer des foules que sa venue en Irak allait forcément mobiliser, et responsabilité d’un attentat dans un État qui est fragile ... et bien le pape a accompli ce voyage. La sécurité a été au rendez-vous, donc la Corse je pense que c’est absolument possible.  

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