Les Français étaient appelés aux urnes pour le premier tour de l'élection présidentielle, ce dimanche 10 avril. Emmanuel Macron est arrivé en tête avec plus de 28% des suffrages exprimés. En deuxième position, et donc également qualifiée pour le second tour le 24 avril, Marine Le Pen, avec 23,3%.
Ce n'est pas un retour cinq ans dans le passé, mais presque : comme en 2017, les électeurs ont choisi de qualifier Emmanuel Macron (28,4%) et Marine Le Pen (23,4%) pour le second tour de l'élection présidentielle. Un match retour qui pourrait être cette fois plus serré - l'actuel président de la République avait à l'époque remporté 66,1% des suffrages exprimés, contre 33,9% pour Marine Le Pen -, malgré l'avance confortable du chef de file du parti La République en Marche.
Si les résultats définitifs restent à déterminer, la perspective de ce nouveau duel fait déjà réagir au sein des différentes familles politiques en Corse.
Pour Laurent Marcangeli, "rien n'est joué"
"Je suis inquiet par la situation démocratique de ce pays. Si on additionne certaines voix ça donne le tournis. Je pense que cette élection n’est pas gagnée", tempère Laurent Marcangeli, maire d'Ajaccio et soutien d'Emmanuel Macron.
"Je pense qu’elle demande une pleine mobilisation si l’on veut éviter de basculer dans quelque chose qui n’est pas souhaitable pour la France et pour la Corse. Pas rassurant d’autant que sur Ajaccio, le Pen est en tête avec plus de 10 points d’avance C’était déjà le cas il y a 5 ans. Je soutenais François Fillon et il était déjà derrière", s'inquiète Laurent Marcangeli.
"Je commence à constater que les ajacciens manifestent puissamment leur soutien à Marine le Pen, poursuit le maire de la première ville de Corse. Je voudrais dire aux corses qu’il y a un très fort vote bleu, blanc, rouge. Mme Le Pen, Monsieur Zemmour sont autour de 40-45%, il faut quand même s’interroger sur un certain nombre de choses. Il y a eu des élections territoriales, les nationalistes ont réalisé 68% des voix et aujourd’hui vous avez deux candidats d’extrême droite française… "
"Je demande de nous questionner sur le sens de cette élection, je vois beaucoup de colère, je la comprends dans ma ville, dans mon intercommunalité dans ma région, mais elle s’exprime différemment au fur et à mesure que les élections se déroulent. Et je demande d’analyser les choses finement. Marine Le Pen est devant dans le rural, dans l’urbain et le périurbain. C’est une très belle percée du RN".
Je suis inquiet par la situation démocratique de ce pays
Laurent Marcangeli
Un beau score "pour un président sortant"
Egalement soutien du président sortant, le maire de Bonifacio Jean-Charles Orsucci estime que 28% est "un bon résultat". Le score de Marine Le Pen, considère-t-il, reste néanmoins trop haut. Il appelle de fait "en tant que progressiste" à un rassemblement des forces de gauche au second tour.
Marine Le Pen est arrivée en tête dans sa commune, avec 30,12% des suffrages exprimés, largement devant Emmanuel Macron, 22,38%. Jean-Charles Orsucci regrette ce score, mais estime la tenue d'une campagne pour le candidat LREM "compliquée" à Bonifacio, commune traditionnellement de droite.
Le score de Marine Le Pen est trop important.
Jean-Charles Orsucci
Le Rassemblement National optimiste
François Filoni, représentant local du Rassemblement National, se réjouit du résultat de sa candidate : "Je suis très content. Je voudrais remercier les millions de gens qui ont voté pour Marine Le Pen, et même en Corse, puisque je sais que nous allons beaucoup travailler et y faire des scores extraordinaires."
Concernant l'écart de 4% relevé entre la candidate du Rassemblement National et Emmanuel Macron, François Filoni est optimiste : "Je pense que les réserves du candidat Macron vont s’amenuiser. Les Macronistes ont pris ce qu’ils devaient prendre chez les Républicains et ailleurs. Aujourd’hui commence une nouvelle campagne. Nous allons nous adresser aux électeurs et pas aux autres candidats."
Les gens veulent nous cliver, nous caricaturer. Mais nous, on veut s’adresser directement aux électeurs en leur disant que nous avons un programme pour redresser la France.
François Filoni
Désormais, estime-t-il, "les vraies questions peuvent être posées aux Français. Je pense que les électeurs sont libres. […] Pendant 5 ans, je n’ai pas vu les Girondins en Corse. Je n’ai pas vu amener de la décentralisation ni du pouvoir au plus près des gens. Avec Marine Le Pen, on prend l’engagement. C’est la main tendue qu’elle tend à la Corse. On va discuter avec tout le monde, avec tous ceux qui représentent la société. On veut aujourd’hui non pas vivre face à face mais côte à côte. On veut amener cette sérénité dans le pays."
"Les gens veulent nous cliver, nous caricaturer, poursuit-il. Mais nous, on veut s’adresser directement aux électeurs en leur disant que nous avons un programme pour redresser la France. Il y a un programme qui va s’occuper des 10 millions de pauvres qu’a fabriqués Monsieur Macron. […] Ce soir, je constate qu’Éric Zemmour appelle à voter Marine Le Pen (pour le second tour, ndlr). Je m’en félicite. Nous avons nos différences mais je pense que les urnes ont tranché sur celles-ci. On a une réponse sociale à apporter au pays. Nous sommes prêts. En face de chaque dépense, nous avons une recette."
Je peux vous dire qu’Éric Zemmour appelle à voter Marine Le Pen sans états d’âme
Olivier Battistini
Joint par téléphone, l'universitaire Olivier Battistini, soutien d’Éric Zemmour, estime de son côté que "l'échec" n'est pas le sien ou celui du candidat qu'il a accepté de suivre "mais celui de la France". "C’est pour cela que mon âme saigne et que je ne vous cache pas être très malheureux. Mais je suis convaincu que, d’autre part, c’est le serment des confrontations de demain."
Lui qui rappelle avoir appartenu "aux Horace, c’est-à-dire à un groupe de lettrés autour de Marine Le Pen il y a longtemps", glisse n'avoir "jamais trahi le Front National". "J’avais l’impression que mes idées étaient plutôt représentées par la candidature d’Éric Zemmour. Mais je peux vous dire qu’Éric Zemmour appelle à voter Marine Le Pen sans états d’âme."
La droite face à un "échec cuisant"
Jean-Jacques Ferrara, sénateur Les Républicains de la 1ère circonscription de Corse-du-Sud, considère que dans ses élections, Valérie Pécresse, qui décroche 4,78%, "n'est pas uniquement en cause".
"Elle a peut-être été mal conseillée, épaulée… Elle garde toute mon estime, mais c'est aujourd'hui un échec cuisant. Là ça fait quelque fois que l'on se plante et il va falloir que l'on passe à autre chose. Il en va de l'avenir de notre parti. Il va aussi falloir en tirer les conséquences car notre ligne politique ne séduit plus du tout et ce depuis un moment. Je pense qu'on a souffert de certains archaïsmes. Je pense que Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon ont fait une campagne remarquable, ils ont su parler aux gens. Pour Les Républicains, ce soir, c'est un naufrage."
Le sénateur estime désormais qu'il faudra "en tirer les conséquences". Au point peut-être de devoir refonder le parti : "Si nous arrivons à nous refonder pour poursuivre l'aventure LR, si ça ne me convient pourquoi pas, sinon, j'irai là où me porte ma conscience et mes convictions."
Pour Les Républicains, ce soir, c'est un naufrage
Jean-Jacques Ferrara
Le 24 avril prochain, il ne "s'abstiendra pas. J'ai un choix à faire entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen et je ne ferai aucune recommandation, les gens sont libres. Mon choix se portera vers Emmanuel Macron parce qu'il a 5 ans de plus d'expérience à la tête de la France en cette situation de crise même si sa politique ne me convient pas du tout."
François-Xavier Ceccoli, président des Républicains de Haute-Corse, "le vote utile a fonctionné. C'est une lourde défaite qui impact durablement le parti. Il va sans doute falloir se poser la question d'une refondation."
Le problème des Républicains, analyse-t-il, "c'est qu'il n'y a plus de marque, comme Jean-Luc Mélenchon est une marque, Emmanuel Macron est une marque. […] Donc je crois que c'est aussi l'échec des gens qui ont entouré Valérie Pécresse. Je pense aussi que nos électeurs veulent une simplification, notre tendance au sein du parti peut aller du centre gauche jusqu'à la droite, il faut clarifier le message. Les gens au second tour ont un message clair, le nôtre est un peu confus."
Notre tendance au sein du parti peut aller du centre gauche jusqu'à la droite, il faut clarifier le message.
François-Xavier Ceccoli
Une gauche qui paie ses divisions
Du côté de la gauche, également exclue du second tour, les déceptions sont nombreuses.
Pour Robin De Mari, représentant de la France Insoumise en Corse, si les presque 22% obtenus sont un beau score, "c'est sa troisième participation et on voit qu'on progresse à chaque élection, ce qui veut dire que nous arrivons à convaincre", il reconnaît des regrets : "cette fois, cela n'a pas été assez. On peut se dire que si certains électeurs à gauche n'avaient pas choisi certains autres candidats cela aurait pu marcher, mais cela veut aussi que nous n'avons pas réussi à les convaincre."
Concernant une possible consigne de vote pour le second tour, Robin De Mari précise qu'il y aura un vote proposé aux adhérents sur plusieurs hypothèses, à savoir un vote pour Emmanuel Macron, l'abstention ou encore le vote blanc. "Après quoi on laissera le libre choix", indique-t-il.
On peut se dire que si certains électeurs à gauche n'avaient pas choisi certains autres candidats cela aurait pu marcher.
Robin De Mari
Leslie Pellegri, secrétaire régionale pour Europe Ecologie Les Verts parle elle d'une campagne "compliquée", en raison d'un contexte national et international particulièrement chargé, "la guerre en Ukraine", notamment. "Il y a aussi eu ce sentiment de faire un vote utile pour que la gauche soit présente au second tour" qui a pu impacter et réduire les votes pour Yannick Jadot (4,63%).
"C'est un score décevant, on ne peut pas le nier, surtout après les résultats obtenus aux Européennes, avec de grandes villes remportées par les écologistes. Si on fait le cumul de toutes les voix à gauche, on voit qu'il y avait de la place pour la gauche au second tour, et en tant que femme de gauche je ne peux que le regretter. La gauche doit porter le message écologiste, et dans la situation dans laquelle nous nous trouvons on sait qu'il faut vraiment passer à l'action climatique."
Aujourd'hui et au soir de cette élection, conclut-elle, "Jean-Luc Mélenchon est objectivement le leader de la gauche, les électeurs ont parlé." Pas question pour l'heure néanmoins d'un ralliement automatique derrière le candidat la France Insoumise pour les législatives : "Il faut que chacun puisse défendre ses idées, et je pense que les écologistes sont capables d'avoir un groupe au Parlement."
Pour le second tour, Leslie Pellegri l'annonce cependant clairement : "Je voterai Emmanuel Macron, comme il y a cinq ans".
Si on fait le cumul de toutes les voix à gauche, on voit qu'il y avait de la place pour la gauche au second tour, et en tant que femme de gauche je ne peux que le regretter.
Leslie Pellegri
Michel Stefani, secrétaire régional du PCF accuse le résultat du candidat communiste, Fabien Roussel, 2,28%. "Il a beaucoup parlé du pouvoir d'achat, du travail, de la santé, du logement social, de ce qui fait la vie quotidienne des Français et des Françaises. Moi, ce qui m'inquiète ce soir, c'est que nous voyons que les élections présidentielles sont devenues une machine [qui attaque] le pluralisme et donc en partie, la démocratie".
"Notre position est claire, reprend-t-il, jamais nous ne nous resignerons à ce que l'extrême-droite puisse arriver à la présidence. On ne fait pas le jeu de Macron, nous allons nous battre et nous appelons les autres forces de gauche à se réunir pour faire en sorte pour qu'aucune voix de gauche n'aille vers l'extrême droite, et pour se préparer pour les législatives."
Jamais nous ne nous resignerons à ce que l'extrême-droite puisse arriver à la présidence.
Michel Stefani
Michel Stefani estime pour autant que le cumul des voix de la gauche, ce soir, à 28%, "est en dessous de ce qu'on peut espérer pour jouer un rôle, notamment au second tour. Il faut reconstruire une gauche qui réponde aux attentes sociales et populaires."
Core in Fronte pointe un "vote de défoulement"
Enfin, le leader indépendantiste de Core in Fronte qui a appelé au boycott de l'élection présidentielle "ne reconnait pas la Corse dans ce vote (Le Pen, ndlr)".
"Je considère que c’est peut-être un vote de défoulement où il n’y a pas de logique politique fondamentale par rapport à la Corse. Aujourd’hui, par contre, il y a plus de 10% d’abstention de différence par rapport à la France continentale sachant que la Corse a toujours voté bien au-dessus de la France. Cela veut dire que le vote indépendantiste est aujourd’hui resté à la maison".
Je pense qu’on est dans une très grande schizophrénie.
Paul-Félix Benedetti
"Cela m’inquiète et j’ai presque honte d’être un spectateur. J’aurais presque voulu être un acteur mais un acteur pour empêcher le vote. Parce qu’à un moment donné, quand on est sur de tels votes de rupture, sur des logiques politiques qui sont extrêmes, c’est à se demander quel est le problème fondamental en Corse pour qu’un électeur qui, sur d’autres élections, se comporte de manière différente en votant patriotiquement corse et va voter aujourd’hui patriotiquement français. Je pense qu’on est dans une très grande schizophrénie", analyse Paul Félix Benedetti .
Et de conclure : "Nous, la responsabilité qu’on a, c’est peut-être de ne pas avoir été assez incisifs pour diaboliser les votes extrêmes ; on a laissé faire." Quant au second tour, "entre le chantre de la finance et de la mondialisation et la championne des stigmatisations, des extrêmes et du repli sur soi, je crois que le mieux, c’est de ne pas y participer et de les laisser se départager".