Processus d'autonomie de la Corse : "Un marchandage compliqué s'annonce", estime le politologue André Fazi

Alors que le processus de Beauvau a pris fin lundi 11 mars, André Fazi, maître de conférences en science politique à l'Université de Corse, décrypte les enjeux et le contenu du projet de réforme d'autonomie de la Corse.

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France 3 Corse : Le processus de Beauvau s'est achevé lundi 11 mars, avec un texte qui n'est pas unanime mais très largement majoritaire. Peut-on pour autant parler de réussite pleine et entière pour les nationalistes ? 

André Fazi : Je ne le crois pas, étant donné que plusieurs de leurs revendications essentielles sont exclues dans le projet d'écriture constitutionnelle. En revanche, d'un point de vue plus politique, on peut considérer que beaucoup de monde ne croyait pas à l'accord entre les trois groupes nationalistes, et ils ont pourtant réussi à s'accorder et à s'attacher le soutien de la moitié de la droite, qui plus est, celle qui soutient le président Macron. De ce point de vue là, on peut parler plutôt de réussite. Après, où ira ce projet d'écriture constitutionnelle ? Aujourd'hui, il est bien difficile de le dire.

Reconnaissance d'une communauté et non d'un peuple, réaffirmation par Gérald Darmanin du refus de la co-officialité et du statut de résident... Au-delà du symbole et de la forme, quel est le véritable impact sur le fond ?

La notion de peuple a une connotation politique beaucoup plus forte. Un peuple est théoriquement appelé à avoir des droits nationaux et les exercer.

Pas une communauté ?

Une communauté, symboliquement, considérant les crispations identitaires que connaît la France depuis une vingtaine, voire une trentaine d'années, c'est quelque chose d'assez majeur, et qui, d'ailleurs, suscite beaucoup de réactions très négatives au niveau national.

Le pouvoir législatif figure finalement avec un encadrement unique du Conseil d'État en amont, puis du Conseil constitutionnel en aval. N'est-ce pas là le plus grand succès ? 

Le texte dont j'ai eu connaissance explique que la Collectivité de Corse "peut être habilitée" à fixer les règles. Et ce “peut être habilitée” veut dire que normalement le Parlement et le gouvernement auront une très large marge de manœuvre pour refuser ou accepter partiellement les demandes de l'Assemblée de Corse.

Si tel était le cas, l'efficience serait remise en cause ? 

Oui. Je pense qu'il vaut mieux avoir un pouvoir d'adaptation libre qu'un pouvoir de substitution de la règle nationale mais qui ne peut s'exercer qu'après un encadrement préalable politique, par une Assemblée nationale et un Sénat qu'on sait guidés par des considérations partisanes et un intérêt secondaire pour la Corse. Il n'empêche que même si tel devait être le cas, on pourrait imaginer assez facilement que l'Assemblée de Corse pourrait être habilitée à modifier la fiscalité des successions ou peut-être consacrer le mode d'enseignement immersif, qui a été pour le moment constitutionnellement exclu. Une telle réforme ouvrait tout de même quelques possibilités. Mais l'expérience des départements région d'outre-mer depuis 2007, est plutôt négative à ce sujet-là. 

Le texte va maintenant passer entre les mains du président de la République, puis du Sénat et de l'Assemblée nationale. N'y a-t-il pas un risque que le processus s'arrête dans les prochains mois ou que le texte soit édulcoré voire vidé de sa substance ?

Il était évident dès le départ qu'il sera très difficile de convaincre la majorité sénatoriale, et plus particulièrement sa composante majoritaire qui est Les Républicains. Dès le début, le président Larcher et ses troupes, dont Bruno Retailleau, ont avisé leur hostilité à la notion de pouvoir législatif régional ainsi qu'à celle de communauté historique et culturelle de la Corse. 

Le plus important, c'est tout de même que la Collectivité de Corse "peut être habilitée" à fixer des normes.

André Fazi

Un travail de lobbying va être mené par les élus corses auprès des députés et des sénateurs. Peut-il être suffisant pour convaincre, notamment lorsque l'on sait que la culture politique française est marquée par le centralisme et le jacobinisme ?

Ce centralisme et ce jacobinisme sont toujours à géométrie variable. Une collectivité aussi petite que Saint-Barthélémy, avec 10 000 habitants, a son code de l'énergie, son code de l'environnement, son code de l'urbanisme, son code des contributions. Sauf que c'est dans l'Atlantique, à 8 heures d'avion, et que donc personne n'en a cure. En revanche, pour la Corse, dès qu'il y a une véritable exception à l'exercice des pouvoirs normatifs, tout le monde monte sur les tables. Mais il y a quelque chose qui est un peu artificiel. Je ne méprise pas les difficultés, ni la symbolique unitaire qui a cours en France depuis la Révolution, il n'empêche que cette symbolique unitaire, lorsqu'il s'agit des Outre-mer, on passe largement outre.

Le risque de contagion à d'autres régions peut être aussi un obstacle majeur. Le président de la région Bretagne demande lui aussi des compétences supplémentaires. 

C'est un risque. C'est quelque chose qui est très étudié en sciences politiques, sans conclusion définitive. Ce qu'on peut dire tout de même, c'est que la Corse a deux caractéristiques majeures exceptionnelles : elle est une île et les nationalistes ont réuni 68% des voix. Je ne crois pas qu'en Bretagne ce soit le cas.

Les domaines de compétences ne figurent pas dans le texte constitutionnel, tout a été renvoyé à la loi organique. N'y a-t-il pas un risque de travailler pendant des mois, voire des années et de se retrouver finalement avec une coquille vide ?

Ce risque existe toujours dans les négociations institutionnelles avec des acteurs qui sont libres, comme la majorité sénatoriale qui, en plus, voudra négocier probablement des aspects de la future loi sur le droit du sol, qu'elle voudrait étendre au-delà de Mayotte. C'est un marchandage compliqué qui s'annonce et on pourrait perdre beaucoup du point de vue des pouvoirs normatifs de l'Assemblée de Corse. Mais je crois que le plus important, c'est tout de même que la Collectivité de Corse "peut être habilitée" à fixer des normes. Ce “peut être habilitée”, représente une équivoque, une hypothèque très lourde.

Retrouvez l'intégralité de l'entretien réalisé par Pierrick Nannini et Guillaume Leonetti :

durée de la vidéo : 00h04mn51s
Autonomie : Entretien avec Andria Fazi ©P. NANNINI - G. LEONETTI / FTV

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