Rapport de la commission Colonna : vers un nouveau dépôt de plainte de la famille

La commission parlementaire chargée d'enquêter sur les conditions ayant mené à l'assassinat d'Yvan Colonna à la prison d'Arles a rendu son rapport ce mardi 30 mai. Un document qui pointe notamment une série de "défaillances" et d'erreurs commises au sein du centre pénitentiaire d'Arles et de la part des autorités, analysé avec attention par les avocats de la famille Colonna.

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Près de 16 mois après l'assassinat d'Yvan Colonna, et alors que l'enquête judiciaire suit toujours son cours, une nouvelle plainte sera-t-elle déposée face aux défaillances de gestion et de surveillance du centre pénitentiaire d'Arles ?

Les différents conseils de la famille du détenu corse indiquent ce mercredi 31 mai y réfléchir très sérieusement. La raison : la publication, hier, du rapport de la commission parlementaire chargée d'enquêter sur les conditions ayant mené à l’agression mortelle d'Yvan Colonna par un codétenu le 2 mars 2022.

En plus de confirmer "que le sort d'Yvan Colonna, le fait qu'il ait été maintenu sur le continent, notamment sous le statut de DPS [détenu particulièrement signalé], reposait sur une motivation politique et non juridique, et donc arbitraire", le rapport pointe ainsi  "des défaillances extrêmement graves, une responsabilité accablante" de l'administration carcérale, remarque Maître Emmanuel Mercinier-Pantalacci, avocat de Ghjuvan-Battista Colonna, fils aîné du détenu.

Des dysfonctionnements, et même des "dissimulations" que les divers conseils étudient désormais de concert, afin de déterminer "si oui ou non, des infractions nous apparaissent caractérisées. Si tel est le cas, nous déposerons probablement une plainte pénale entre les mains du procureur", indique l'avocat. Des propos confirmés par Me Sylvain Cormier, avocat du fils et des parents d'Yvan Colonna, qui précise des suspicions de la part des conseils d'une ou plusieurs "tentatives de disparition de preuves", au cours de l'enquête.

Franck Elong Abé était-il un indicateur de l'administration pénitentiaire ?

Les deux avocats s'accordent à le dire : le rapport, long de 218 pages, est le fruit d'un travail "exigeant" et "de qualité" mené par la commission parlementaire. Mais l'un comme l'autre émettent une interrogation, si ce n'est un franc regret : l'hypothèse de Franck Elong Abé comme taupe de l'administration pénitentiaire, à priori écartée.

Pour appuyer sa décision, le rapporteur se base sur les auditions menées au fil des séances de la commission. Une conclusion dont les conseils indiquent en l'état se dissocier. "Je considère cela comme très étonnant, car cette hypothèse selon laquelle cet homme aurait été une source de renseignement permet d'expliquer de façon rationnelle et cohérente toutes les mansuétudes dont il a bénéficié", souligne Me Mercinier-Pantalacci. "Or, pour l'écarter, le rapporteur se fonde exclusivement sur une déclaration du représentant du renseignement pénitentiaire, qui expose que non, cet homme n'était pas une source de renseignement."

"Cette hypothèse selon laquelle cet homme aurait été une source de renseignement permet d'expliquer de façon rationnelle et cohérente toutes les mansuétudes dont il a bénéficié"

Me Mercinier-Pantalacci

Un choix qu'il juge pour le moins surprenant pour deux principales raisons : "Premièrement, s'il y a bien une personne dont la parole n'est pas nécessairement crédible, c'est le renseignement pénitentiaire. Parce qu'évidemment, ils ne sont pas les mieux placés pour faire cet aveu, compte tenu de leur responsabilité qui en résulterait. Deuxièmement, poursuit-il, en l'espèce, il est établi par le rapport que lorsque le représentant du renseignement pénitentiaire a été auditionné pour la première fois par la commission d'enquête, il a dissimulé à celle-ci avoir en sa possession des écrits d'un agent de surveillance qui avait entendu trois détenus discuter, parmi lesquels le meurtrier, qui avait dit "Je vais le tuer"."

Me Mercinier-Pantalacci l'admet : il n'a pas la preuve, aujourd'hui, que Franck Elong Abé était un indicateur. Mais il insiste : il n'est pour autant "pas du tout convaincu par la réponse négative qui est faite par le rapporteur."

Des SMS polémiques et la continuité d'un traitement "anormal" accordé au dossier Colonna

Concernant les messages polémiques qui auraient, selon le président de la commission parlementaire, Jean-Félix Acquaviva, été échangés les 10 et 11 mars 2022 entre deux préfets en activité, Me Cormier confirme espérer l'ouverture, à minima, d'une investigation sérieuse par le ministre de tutelle. "Les propos tenus par des préfets en exercice affirmant que « l’autre détenu a fait ce que l’état aurait dû faire depuis longtemps » reviennent à revendiquer ou à tout le moins légitimer l’assassinat d’Yvan Colonna", constate-t-il.

Me Mercinier-Pantalacci se montre lui moins optimiste. "Au risque de choquer ou surprendre, je n'ai aucun espoir que cela soit traité avec objectivité et en application du droit par les plus hauts responsables de l'Etat. Ce n'est pas comme cela que ça va se passer, ce n'est pas comme ça que ça s'est passé, et ce n'est pas comme cela que ça se passera à l'avenir."

Pour cause, l'avocat voit dans ces correspondances un signe de plus du traitement particulier accordé aux dossiers "de cette nature". "Toute personne connaissant la façon dont est traité - j'ouvre les guillemets - "l'antiterrorisme" - je ferme les guillemets - en Corse par l'Etat français ne peut pas être surprise."

"Vous ne pouvez pas demander à une victime de juger elle-même le prétendu auteur de l'assassinat et de décider elle-même du sort qui va être celui de la personne ayant été condamnée pour ces faits."

Me Mercinier-Pantalacci

Preuve en est, appuie-t-il, le traitement depuis des années du dossier d'Yvan Colonna par "le directeur de cabinet du président de la République française, qui se trouve être l'ancien préfet de Corse" - Patrick Strozda a exercé les fonctions de préfet de Corse de 2011 à 2013 -. "La préfectorale est juge et partie dans ce dossier. Et quelles que soient les qualités intrinsèques qui seraient éventuellement celles des préfets, ils ne peuvent évidemment pas ici être objectifs, rationnels, et enclins à appliquer le droit. C'est normal. Vous ne pouvez pas demander à une victime de juger elle-même le prétendu auteur de l'assassinat [du préfet Erignac en 1998, ndlr], et de décider elle-même du sort qui va être celui de la personne ayant été condamnée pour ces faits. Et c'est pourtant ce qui se passe dans ce dossier depuis  15 ou 20 ans."

Une décision qui "ne pouvait aboutir qu'à des résultats aussi dramatiques que ceux que nous observons désormais", conclut Me Mercinier-Pantalacci.

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