Au lendemain du rejet des deux motions de censure, dont l’une présentée par le groupe Liot, la situation politique du pays est plus que jamais incertaine. Cet épisode d’extrême tension peut-il peser sur les discussions entre Paris et la Corse ? Les réactions politiques.
Lundi 20 mars, les deux motions de censure présentées à l'Assemblée nationale se sont soldées par un échec. Il s'en est fallu de peu, pourtant, pour que le texte présenté par le groupe Libertés Indépendants Outre-mer et Territoires (Liot), auquel appartiennent les trois députés nationalistes, soit adopté. Neuf voix seulement auront manqué.
"Tremblement de terre"
Pour Michel Castellani, joint par téléphone lundi 20 mars, à l’issue du vote, l’épisode a été vécu comme "un tremblement de terre". "Sur une loi aussi importante, arriver à un résultat moitié-moitié, avec une assemblée cassée en deux, et la moitié du groupe républicain qui a voté notre motion, ce n'est pas rien", analyse-t-il.
Le député de la première circonscription de Haute-Corse estime que le gouvernement Borne doit désormais s'atteler à "renouer le dialogue social, et à atténuer les dissensions dans le pays. Il faut rendre au parlement son rôle et sa dignité, on ne peut pas continuer à nous siffler hors-jeu à coup de 49.3".
"Le message va t-il être entendu ?"
Pour son collègue de Corse-du-Sud, Paul-André Colombani, c'est également une victoire politique. "À neuf voix près, on considère que c’est comme si elle était votée", indique t-il.
Pour autant, son analyse reste teintée de pessimisme. "Nous ne pensions pas que la motion allait échouer de si peu. Si nous l'avons portée, ce n'est pas pour mettre le désordre, mais c’est parce que nous trouvions la réforme injuste socialement, économiquement. Nous voulions aller au bout pour la contester. Le message va t-il être entendu ? On le verra dans l’allocution du président, mais l’hypothèse la plus probable est celle d'un : circulez, il n’y a rien a voir."
Crise politique
Cette séquence s’affirme désormais comme une crise politique majeure. Malgré le rejet de la motion de censure, c’est un échec consommé pour le gouvernement. Ce qui pose la question de la suite du quinquennat, et particulièrement des futures réformes envisagées par le président de la République Emmanuel Macron. Dans ces conditions, le projet de réforme constitutionnelle, dans lequel la Corse devait être intégrée, prend des contours incertains.
L’épisode pourrait par ailleurs laisser des traces. Avec, d’un côté, les pressions dont l’Exécutif de Corse et les députés disent avoir fait l’objet de la part du gouvernement. Et, de l’autre, le dépôt de la motion de censure du groupe LIOT, très peu apprécié par l’Elysée. De quoi égratigner encore un peu plus un climat de confiance déjà bien entamé entre la Corse et Paris.
L'édito de Jean-Vitus Albertini
Pour autant, le député nationaliste Jean-Félix Acquaviva se dit toujours "disponible pour le dialogue". Interrogé sur l'éventualité de voir compromis le processus de discussion, suite à cet épisode, il déclare : "Si l'on dit par là qu'il faut faire un chantage au dialogue parce que nous avons un point de vue de fond sur la réforme des retraites, et alors que la réforme des retraites ne faisait pas partie des transactions dans le cadre de ce dialogue, […] ça serait quelque peu cavalier."
Pour le parlementaire Liot, la "menace" du gouvernement d'interrompre le dialogue ne serait qu'un "bluff de circonstance, en tout cas nous le souhaitons". Et de poursuivre : "C’est peut-être le fait d’avoir cédé à la tension du moment, mais ce qui compte c'est de reprendre le dialogue à l'aune de ces nouvelles situations. Ce que nous souhaitons, c'est un accord politique. S'il y avait eu accord politique qui garantissait l'intérêt social des Corses, peut-être que nous aurions fait un pas de coté sur la motion de censure tout en étant contre la réforme des retraites."
"C'est la vie politique"
Sans rien nier des pressions, Paul-André Colombani ne dit pas autre chose. "C’est la vie politique. On va tous reprendre nos esprits. Je ne crois pas une minute que le processus de discussions puisse pâtir de cet épisode. Les problèmes dans la majorité ne peuvent pas aboutir à une mise en danger du processus. Ceux qui ont pu dire cela pensent avec un logiciel claniste", affirme t-il.
De son côté, le président du groupe Horizons Laurent Marcangeli se dit serein concernant la reprise du dialogue. "Moi, je défendrai la poursuite du dialogue. Je ne suis pas favorable au fait de le rompre au prétexte que mes trois collègues qui siègent aux groupe Liot ont voté la motion de censure parce que la Corse, elle mérite qu'on s'occupe d'elle et elle mérite que ce dialogue continue d'être mené", a t-il indiqué.
Pour le député de Corse-du-Sud, il n'y a pas de "volonté de représailles de la part du gouvernement". Et d'ajouter : "Tout à l'heure, la Première ministre est venue à s'exprimer devant mon groupe et dans un aparté, elle m'a dit qu'elle comptait également me parler prochainement de la Corse, donc il n'y a pas de raison aujourd'hui qui justifierait qu'on abandonne le dialogue qui a commencé entre le gouvernement et les élus de la Corse".
Un gouvernement en sursis ?
Le processus de discussions est donc désormais tributaire de l’évolution de la situation politique nationale. Avec beaucoup d’interrogations : le gouvernement Borne est-il en sursis ? Gérald Darmanin restera t-il ministre de l’Intérieur et donc l’interlocuteur privilégié de la Corse ? Le président de la République finira t-il par prononcer la dissolution de l’Assemblée nationale ? Tout cela reste, pour l’heure, en suspens.
Emmanuel Macron avait fixé comme objectif un projet pour la Corse ficelé pour le 14 juillet, il est désormais plus probable qu’il soit renvoyé aux calendes grecques.