Dans le cadre de notre programmation #80ansdelalibérationdelacorse, dernier rendez-vous ce mercredi à 20h45 avec un documentaire inédit de Frédéric et Niagara Tonolli intitulé "Matricule 31000, le courage des ombres"... L'histoire d'héroïnes, souvent anonymes, qui ont donné parfois jusqu'à leur vie pour la Liberté...
Si certaines Résistantes déportées sont passées à la postérité, telles Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, entrées au Panthéon en 2015, d'autres ont souvent été "oubliées par l'histoire"...
Elles étaient mères, jeunes-filles, Résistantes et communistes pour la plupart... Leur « crime » : avoir dit non à la barbarie nazie. Seul train de françaises non-juives envoyé vers le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, "le pays d’où l’on ne revient pas". 230 femmes déportées, un matin de janvier 1943, par le convoi dit des « 31000 », en référence au matricule qui sera tatoué sur leurs bras...
La politique d'extermination du régime d'Hitler ne faisait pas de différence entre hommes et femmes, même si les premiers étaient évidemment plus nombreux, car pour la plupart soldats prisonniers... Le nombre des femmes déportées n'est pas connu de façon précise, de par l'absence de registres complets. Il varie en fonction des sources, des prisonnières pour la plupart. Selon les estimations des historiens, elles seraient néanmoins plusieurs centaines de milliers...
Le documentaire que vous allez voir demain soir s'inscrit dans notre collection "À Doc Ouvert".
Avant la diffusion, Stéphane Usciati reçoit Marie Drucker, qui est "la voix" du film, mais aussi à l'origine du projet, et De Gaulle Eid, co-producteur, pour évoquer la genèse du tournage. Vers 21h40, retour en plateau pour une évocation de cette sombre période...
Transmission d'informations, presse clandestine, tractage, transport d'armes, mais aussi des "opérations spéciales", de l'espionnage à l'assassinat, elles sont impliquées au même niveau que les hommes. Elles font preuve d'un dévouement et d'une témérité que l'on n'aurait pas imaginé, parfois au détriment de ceux qui leurs sont les plus chers, leurs maris et leur enfants...
Si le courage est le maître-mot de cette période, c'est aussi la solidarité qui unira ses femmes tout au long de la seconde partie... En 1942, pressées par la Gestapo, les brigades spéciales françaises procèdent à une arrestation de masse : 1500 personnes sont capturées et emprisonnées. Parmi elles, un groupe de femmes, appartenant au même réseau, est transféré à la prison de la Santé. Elles s'appellent Charlotte, Simone, Marie, Madeleine, Christiana ou Danielle... Danielle, c'est Danielle Casanova, un leader, une inspiration pour la majeure partie d'entre elles...
En janvier 43, après un séjour au Fort Romanville, c'est le départ pour l'Allemagne, en chantant, vers un destin effroyable dont elles n'ont peut-être pas encore pris la mesure. 231 femmes, au milieu de près de 1500 hommes...
C'est le premier convoi de ce type, car les déportées sont habituellement des Juives, des Roms, des homosexuelles ou tout ce qui peut être considéré comme "indésirable au régime"... Le récit des survivantes, raconté dans des lettres ou par la voix de leurs enfants et petits-enfants, témoins de l'horreur et de la barbarie allemande, nous plonge dans l'effroi... Les prisonnières étaient soumises à la faim, aux maladies, à des travaux forcés éreintants, le tout dans un climat de maltraitance et de violence qu'on a aujourd'hui peine à imaginer... Point culminant de l'horreur, elles étaient également l'objet de tortures, d'expériences médicales de scientifiques nazis, ou encore de violences sexuelles... Beaucoup ont péri, dont leur "âme", Danielle, emportée par le typhus en mai 43, mais une sororité à toute épreuve et une formidable envie de vivre seront plus forts...
En avril 45, dans des camps de travail comme Ravensbrück, où la majeure partie d'entre elles ont été déplacées, quelques mois après l'arrivée des troupes russes en Pologne et la libération des prisonniers à Auschwitz, elles ne sont plus que 49 rescapées sur les 231 déportées du groupe initial, à l'arrivée de la Croix Rouge suédoise... Peut-on parler de libération ? Pas vraiment, car on ne sort pas indemne de ces camps de la mort, dont elles garderont une trace indélébile...
Pour elles, en plus de toutes ces épreuves, un autre combat commençait alors, celui de la reconnaissance...
Auschwitz, Ravensbrück et Bergen-Belsen, des noms devenus tristement célèbres, mais qu'on se doit de ne pas oublier. Ce documentaire, poignant et touchant, est en fait plus que cela : il est essentiel, car le devoir de mémoire concernant cette époque est primordial, et des écrivains et réalisateurs, dont des Corses, se sont penchés sur ce sujet difficile (voir dernier paragraphe).
"ITV réalisateur", 3 questions à Frédéric Tonolli...
Comment avez-vous été amené à travailler sur ce film ?
Ce film est d'abord pour moi un cadeau. Lorsque Marie Drucker me contacte pour me demander de réaliser ce film qu'elle appelle déjà "Le courage des ombres", je ne saisis pas encore toute l'ampleur du projet, mais j'accepte pour elle, avec qui j'avais déjà travaillé, et que j'apprécie. Je reprends alors le pré-scénario qu'elle avait travaillé en compagnie de Fanny Germain, et je commence un long travail de documentation et de recherche pour une approche un peu nouvelle...
Pour traiter et raconter cette histoire de femmes, j’ai demandé l’aide de ma fille Niagara. Il me fallait quelqu’un de confiance, et un regard féminin pour m’épauler.
La lecture de l'œuvre de Charlotte Delbo, qui est un peu la biographe du "convoi des 31000", m'a bouleversé et inspiré... Avec l'aide d'Yves Jegouzo, fils d'une des déportées, j'ai pu accèder aux archives de l'association "Mémoire vive", des textes et photos qui ont fait également avancer mon travail. En Corse, j’ai eu la chance de rencontrer Isaline Almaric-Choury, qui m'a embarqué, avec tout son enthousiasme, sur les traces d’un formidable personnage, sa tante, Danièle Casanova. Elle va me confier ses extraordinaires lettres, qui vont servir, avec les écrits de Charlotte, à l’armature du film...
Qui est l'auteur des illustrations magnifiques que l'on retrouve tout au long du documentaire ?
Les rares photos en ma possession, qui me venaient des familles et de l'association, ne pouvaient suffire au film. Pour soutenir la narration, la vidéo étant trop onéreuse, j'ai décidé d'utiliser des illustrations. Elles se devaient "de tenir" une forte émotion, tout en restant simples au niveau de la fabrication. J’ai la chance d’être, depuis de longues années, ami avec un artiste corse originaire de Venaco, Charlie Sansonetti, spécialiste chevronné de l’animation. Il a le talent de pouvoir "remettre en vie les scènes manquantes », ce que je recherchais. À partir des photos des visages et des décors tirés d’archives, le plus dur, encore une fois, était de trouver une réalisation simple, mais avec une forte charge émotionnelle et narrative.
Au final, on peut dire que le film à une forte consonance corse avec le personnage central, la grande Danièle Casanova, puis l’aide passionnée de sa nièce Isaline Almaric-Choury, les dessins de Charlie Sansonetti, et l’apport final d’un producteur Corse, De Gaulle Eid, et de France 3 Corse, qui nous ont permis de "boucler" le film. J'ajouterai également que les seules scènes extérieures du film ont été tournées en Corse, à Piana....
Quelle est pour vous l'importance du devoir de mémoire, et de la "transmission" de ces périodes sombres de l'Histoire aux nouvelles générations ?
La question est toujours un peu la même : "pour qui et pourquoi faisons nous un film ?" . Je ne sais toujours pas y répondre… Pour moi c’est un acte d’amour, un geste citoyen, et bien entendu mon boulot. Un travail qui est aussi ma vie, un acte de transmission, de partage…
Dans un premier temps je pense que ce film est d’abord un hommage au courage et à la force de ces femmes, une façon de les remettre au centre de l’histoire, elles qui n’étaient souvent vues "qu’aux marges". Deuxièmement, c’est aussi un moyen d’offrir un cadeau à leurs enfants, que pour certaines elles n’ont pas vu grandir, de leur rendre d'une certaine façon un héritage. Et si en dernier lieu, ce film et l’histoire de ces femmes peut-être vu par des jeunes générations, j’espère qu'il leur montrera que courage, amour, partage, sonorité et camaraderie sont de formidables qualités qui ouvrent beaucoup de possibles…
"Matricule 31000, le courage des ombres", un documentaire inédit de Frédéric et Niagara Tonolli, à découvrir demain mercredi à 20h45 sur ViaStella.
Sur le même sujet, "Résistantes corses déportées", le Documentaire de Jackie Poggioli
durée de la vidéo : 00h02mn48s
Résistantes corses déportées, un documentaire de la collection "Ghjenti"
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©France 3 Corse ViaStella
En Corse, celle que l'on peut considérer comme une référence sur le sujet, se nomme Jackie Poggioli. Elle s'est penchée sur cette thématique des femmes, de la guerre et de la déportation à plusieurs reprises, tout récemment encore d'ailleurs avec son documentaire "Sureddi d'armi" (disponible en replay ici), qui raconte l'histoire de 7 femmes corses engagées dans l'armée. Certaines d'entre elles ont été envoyées dans les camps. En 2015, le documentaires" Résistantes Corses déportées", constituait un premier hommage à 18 Résistantes corses, dont le parcours avait été mis en lumière grâce à un minutieux travail d'investigation, notamment à partir d’archives du Ministère de la Défense, de sources familiales et de témoignages de proches.
Il y est bien sûr question de Danielle Casanova, la plus célèbre des Résistantes insulaires, mais également d’autres femmes corses, moins connues, présentées dans leur incroyable lutte contre la sauvagerie des nazis.
Ce documentaire remarquable a été projeté à l’Assemblée Nationale en janvier 2016, grâce à l’inititiative de membres des familles de ces femmes courageuses, et de représentants d'associations d'anciens combattants.