Semaines de la santé mentale en Corse : "les plus vulnérables ne doivent pas renoncer à leurs droits"

Dans le cadre des Semaines d’information sur la santé mentale, une conférence sur l’accès au droit des personnes vulnérables a eu lieu ce vendredi à Ajaccio. Elle était notamment animée par Patricia Jacques, directrice juridique du conseil départemental de l'accès au droit de Corse-du-Sud (CDAD 2A).

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Du 4 au 17 octobre, les Semaines d’information sur la santé mentale se déroulent dans l'île. Coordonnée par l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (IREPS Corse), la manifestation s'organise autour de vingt actions. L'une d'elles a eu lieu vendredi 15 octobre à Ajaccio. Dans la permanence Stella Maris de la Falep, quartier des Cannes, environ trente personnes ont assisté à une table ronde. Animée par Patricia Jacques, directrice juridique du CDAD 2A, et par Félix Squarcini, délégué du Défenseur des droits en Corse-du-Sud, celle-ci avait pour thème l’accès au droit des personnes vulnérables.

Dans l’assistance, outre des acteurs sociaux, médicaux, institutionnels et associatifs, on retrouve aussi des personnes fréquentant la permanence Stella Maris. Parmi leurs interrogations, beaucoup concernent "les longues démarches administratives" à effectuer pour bénéficier des droits sociaux. "Ces personnes y renoncent souvent alors qu’elles en ont le droit", relève Patricia Jacques qui était justement là pour rappeler quels sont les outils pour prévenir et lutter contre les discriminations. Au sortir de la conférence, la directrice juridique de l’accès au droit de Corse fait le point sur la situation.  

France 3 Corse : À chaud, que retenez-vous de cette conférence ?

Patricia Jacques : Je retiens qu’il est intéressant de faire réagir les professionnels pour qu’on ne se défausse pas tout le temps sur le système, et pour montrer qu’ils sont acteurs et qu’ils ont aussi un impact et un rôle dans le travail qu’ils font. Un travail qui s’effectue surtout en réseau par rapport à d’autres partenaires et pas de façon isolée. Le fait que chacun témoigne de ses problématiques permet ensuite une analyse commune afin de trouver des solutions pour optimiser et facilité l’accès aux droits des usagers, et en particulier des personnes vulnérables qui ont droit à cette égalité de traitement. L’intervention du Défenseur des droits, Félix Squarcini, est donc essentielle sur la santé mentale. Les échanges étaient fructueux. Même s’il y avait à peine un peu moins de monde que l’an passé, cela montre que le sujet est d’actualité et très important pour tous les acteurs.

Quelle est votre mission en tant que directrice juridique de l’accès au droit en Corse-du-Sud ?

Mon rôle est de donner les outils aux personnes afin qu’elles connaissent leurs droits mais aussi qu’elles puissent les exercer en étant accompagnées par des professionnels du droit (avocat, notaire, et huissier). Comme l’a expliqué Félix Squarcini, on doit montrer qu’avant le juge, qui est le dernier recours, il y a des interlocuteurs qui peuvent apporter leur aide par le biais de la conciliation ou de la médiation. Notre but est de mettre les usagers en position de choisir et non pas de subir.

Vous assistez, sans faire de l’assistanat ?

Exactement. Nous donnons l’outil à la personne afin qu’elle soit actrice de ses droits en bénéficiant d’un accompagnement ponctuel ou davantage suivi. Mais c’est elle qui agit et exerce. Cela la responsabilise et la valorise également. Au lieu qu’elle dise "vous faites pour moi", nous l’accompagnons et lui donnons les moyens de faire.

Lors de la conférence, vous avez souligné que "la forme devait primer le fond". Qu’entendez-vous par là ?

La forme n’est pas plus importante mais elle précède le fond. C’est un préalable fondé sur le principe d’égalité de traitement du citoyen devant la loi que de suivre ce parcours souvent vécu comme un parcours du combattant par les personnes vulnérables ; ce qui les conduit souvent à un renoncement du droit. C’est terrible de constater qu’avec tous les outils et les acteurs mis en place dans les politiques publiques, on a toujours beaucoup de personnes qui renoncent à leurs droits car elles trouvent que c’est très compliqué.

Plusieurs remarques sont allées dans ce sens. Un monsieur, souffrant de dépression, a déclaré "il y a tellement de papiers à remplir qu’on finit par laisser tomber". Une phrase qui revient souvent à vos oreilles ?

Oui, surtout au niveau administratif.  On le voit dans les droits sociaux. Le Défenseur des droits a d’ailleurs rappelé une chose importante : lorsqu’on fournit des documents justificatifs pour monter un dossier donnant accès à des droits sociaux, il est important de connaître la loi. Certaines règles ont une valeur supérieure, et il faut savoir que ce que la loi n’oblige pas, un texte de valeur légale inférieure ne peut pas y obliger. C’est valable dans le cas des pièces justificatives à fournir. Les personnes donnent les pièces volontiers, même celles qu’elles n’ont pas à fournir. Parfois, on les leur redemande en disant "on ne les a plus, redonnez-les s'il vous plaît", ce qui est  très contraignant. On est justement là pour replacer et vérifier le respect du droit au niveau constitutionnel. Le Défenseur des droits est bien placé pour replacer la hiérarchie des normes et la faire respecter par tout le monde, y compris par les services publics.

En un an et demi de pandémie, le Covid a-t-il engendré des demandes spécifiques et plus nombreuses ?

On a surtout eu des demandes dans le cadre d’entretiens individuels. Il est encore trop tôt pour en parler dans un cadre collectif car il faudrait avoir plus de recul pour analyser. Pour un juriste, il est clair que l’État de droit est questionné. On est certes dans une situation exceptionnelle, mais on est beaucoup interrogé sur l’opposabilité de certaines restrictions comme le pass sanitaire et surtout l’obligation vaccinale. À titre individuel, on est souvent interrogé sur ces thèmes-là, et on répond non pas sur une position mais sur une analyse juridique.

L’idée est d’avoir un lieu de proximité qui fait office de guichet unique avec des agents formés.

Patricia Jacques

D’après les chiffres de 2020, plus de 93.000 dossiers ont été traités par les Défenseurs des droits l’an passé en France. De votre côté, quels sont les domaines dans lesquels vous intervenez le plus souvent ?

On peut dire qu’il y a trois thèmes qui reviennent de façon récurrente et arrivent toujours en tête : le droit de la famille en premier, puis le droit du logement et celui du travail. Après, il y a bien sûr le droit rural, celui de l’urbanisme. Cela dépend des endroits. Mais ces trois droits-là restent des problématiques récurrentes.

Certains intervenants ont évoqué le fait d’être parfois "baladés d’un guichet à un autre" lors de leurs démarches. Vous avez alors parlé des Maisons France Services. La Corse-du-Sud en compte actuellement 9 et bientôt 14 en 2022. Quel est leur rôle ?

C’est un dispositif porté par la préfecture sur des lieux précis afin de faciliter les démarches, notamment dans le rural. L’idée est d’avoir un lieu de proximité qui fait office de guichet unique avec des agents formés. Cela permet de réduire la fracture numérique qui, là aussi, est vécue par certaines personnes vulnérables ou en situation d’isolement comme une difficulté supplémentaire. Le but est donc d’apporter une réponse globale et d’éviter les renvois de guichet à guichet. Ce qui peut décourager les gens et les empêcher ensuite de ne pas aller au bout de leurs démarches. De plus, pour les accompagner, il y a aussi le 3039, un numéro gratuit d’accès au droit destiné à renvoyer les personnes vers le point de justice le plus proche de chez elles.

Depuis 2006, une fois par mois, vous tenez une permanence d’information et d’orientation juridique à l’agence Stella Maris de la Falep. En quinze ans, quelle est l’évolution majeure que vous avez constatée auprès des personnes vulnérables et en situation précaire ?

Au départ, le directeur de la Falep de l’époque était assez pessimiste sur la fréquentation de cette permanence sans rendez-vous. Puis, progressivement, grâce au gros travail de réseau des personnels de la Falep, les personnes en situation de détresse ou d’exclusion sont d’abord venues me rencontrer ici avant de revenir me voir spontanément au tribunal, là où j’ai mon bureau. Le tribunal, qui pouvait apparaître comme un endroit anxiogène, ne l’était alors plus pour ces personnes-là. C’est ce qu’on appelle le retour au droit commun. C’est comme dans les vases communicants : il y a un peu moins de monde ici, à la permanence, car les gens viennent ensuite au tribunal, dans un lieu d’accueil généraliste qui n’est pas réservé à une catégorie spécifique de public.

Assurer la permanence reste néanmoins une nécessité ?

Absolument. Car d’autres gens viennent. Ça ne s'essouffle pas et ça prouve qu’on répond aux besoins car sinon les gens ne viendraient pas vers nous. Car l’accès au droit va dans les deux sens : quand les personnes ne viennent pas spontanément, on va vers elles. Et quand elles viennent vers nous spontanément, je pense que c’est un signal positif.

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