L'anorexie, la boulimie ou encore les crises hyperphagique : en France, ce sont près d'un million de personnes qui souffrent de troubles du comportement alimentaire. Une maladie qui peut profondément affecter leur santé, et constitue même la deuxième cause de mortalité chez les jeunes de 15 à 24 ans. Témoignages.
Restreindre ses apports caloriques journaliers, jusqu'à ne plus manger du tout, ou à l'inverse, avoir des frénésies alimentaires, et engloutir des tiroirs entiers de nourriture en l'espace de quelques minutes...
En France, on estime que les troubles du comportement alimentaire, ou TCA, concernent près d'un million de personnes, dont la moitié qui ne seraient pas diagnostiqués. Ces troubles, qui apparaissent généralement à la puberté, peuvent avoir de graves conséquences sur la santé physique et mentale des personnes malades.
Anorexie mentale, boulimie, hyperphagie boulimique : ce 2 juin, journée mondiale de sensibilisation aux TCA, quatre jeunes femmes qui en ont souffert ou en souffrent encore ont accepté de témoigner de leur quotidien, des débuts de leur maladie à leur lutte pour s'en sortir aujourd'hui.
Léandra Bastianelli, 23 ans
J'ai 13 ans quand je commence à être obsédée par mon poids. Je suis alors harcelée au collège, et ça impacte énormément mon estime de moi. Au-delà de l'aspect physique, même en terme de personnalité, je n'ai plus du tout confiance en moi, et je me remets en permanence en question.
Rapidement, je n'arrive plus à me regarder dans un miroir par honte de moi-même, je n'arrive plus non plus à trouver comment m'habiller pour me sentir à peu près bien. Tout cela se transforme en un cercle noir : je fais une dépression, et je ne sors même plus de chez moi.
Dès lors, je commence à alterner des phases où je m'affame, en essayant de laisser passer le plus de temps sans possible sans manger, ou juste une pomme et un œuf dans la journée, et d'autres où je mange normalement, mais en compensation je fais du sport à l'excès.
Après cette période-là, je déclenche ensuite des crises d'hyperphagie, qui se manifestent surtout la nuit : je peux manger des quantités énormes, comme deux paquets de chips, un paquet entier de biscuits, je mélange le sucré et le salé, il n'y a pas de limite, et la seule chose qui peut vraiment m'arrêter, c'est une crise de foie.
Et puis l'anorexie et l'hyperphagie se mélangent, et je deviens boulimique. Je fais des crises alimentaires, et puis je me fais vomir ou je fais du sport à outrance pour compenser. C'est difficile d'expliquer comment je me sens pendant ces instants-là. Pendant mes phases de boulimie, j'ai comme l'impression d'être vide, et pendant celles d'hyperphagie, je ressens enfin quelque chose, la nourriture agit comme un calmant et permet de m'apaiser.
"Je peux manger des quantités énormes, comme deux paquets de chips, un paquet entier de biscuits, je mélange le sucré et le salé, il n'y a pas de limite, et la seule chose qui peut vraiment m'arrêter, c'est une crise de foie. "
En 2014, j'ai 14 ans, et je quitte le domicile de mes parents pour rejoindre un internat, ce qui me permet de camoufler beaucoup plus facilement mes troubles alimentaires. Comme c'est cantine matin, midi et soir, je peux sauter les repas sans que ce ne soit trop facilement repéré. À 16 ans, j'emménage avec mon premier petit copain, et je continue de dissimuler mes habitudes alimentaires. Mon poids, lui, fait le yo-yo depuis des années : je peux passer de 55 à 72 puis 60 kilos en l'espace de quelques mois, voire quelques semaines.
Mes proches savent que je suis obsédée par mon corps, mais ils ne se rendent pas compte d'à quel point, ni des habitudes malsaines que j'ai développées vis-à-vis de la nourriture. Pourtant, cela impacte énormément ma vie sociale : aux repas de famille par exemple, comme celui de Noël, où on mange beaucoup et en de grosses quantités, je suis obligée de trouver des excuses pour m'éclipser rapidement et trouver un moyen de me faire vomir, en partant dans un champ, en faisant comme si je sortais fumer... Je me sens très honteuse dans ces moments-là, mais c'est plus fort que moi.
Aujourd'hui, et après 10 années de combat, je me considère enfin guérie. Ma dernière crise d'hyperphagie remonte à octobre dernier, je n'en ai pas eu depuis. J'ai fait un énorme travail sur moi-même, je me suis mise au sport, j'ai changé d'hygiène de vie, je fais de la musique, et ça m'a vraiment aidé à sortir de tout cela.
J'ai récemment posté mon histoire sur les réseaux sociaux, mes proches l'ont lue et sont tombés des nues, m'ont demandé pourquoi je ne leur en avais jamais parlé avant. Je ne regrette pas de ne pas l'avoir fait à l'époque, mais je conseillerais vraiment à des personnes qui souffrent aujourd'hui de TCA de se confier. Parce qu'on ne se rend pas compte, parfois, du mal qu'on se fait à nous-même.
Je ne sais pas si je serais susceptible, un jour, de replonger. Je ne le pense pas. Mais je sais que j'ai toujours un petit démon dans la tête qui tourne un peu. Je reste obsédée par mon corps. Dès que je passe devant un miroir, je suis obligée de m'examiner sous tous les angles. Mais je suis enfin en paix avec mon apparence, dans le sens où je ne me considère pas parfaite, mais j'aime mon corps, je le respecte, et je ne veux plus lui faire subir ce que je lui ai imposé pendant des années.
Vanina Sciaretti, 29 ans
Tout commence l'été de mon passage de la 4e à la 3e. J'ai 14 ans, je ne me sens pas bien dans ma peau depuis des années, et je décide de perdre un peu de poids. Je commence par faire attention à ce que je mange, et je réussis à perdre 5 kilos. Et puis je me dis qu'après tout, je peux continuer encore un peu, et je décide de réduire mes repas.
En l'espace de deux mois, je finis par ne plus manger qu'un repas par jour, le soir. À ce moment-là, j'ai le sentiment d'avoir le contrôle sur quelque chose - je me rends compte aujourd'hui que ce n'était pas le cas du tout, tout l'inverse -.
En six mois, je passe de 50 kilos pour 1m64, à 38 kilos. Mon médecin m'impose de reprendre deux kilos sans quoi il m'hospitalise, et j'y parviens. Mon année de seconde se passe relativement bien. Et puis je replonge. En terminale, je tombe à 34 kilos. Je suis renfermée sur moi-même, je mange peu, je fais beaucoup de sport et je travaille énormément.
Après le baccalauréat, j'essaie de faire médecine. Mais je suis trop fatiguée, je n'ai pas assez d'énergie, et je ne parviens pas à suivre le rythme. J'arrête mes études, et je pars à Aix-en-Provence l'année suivante pour suivre une licence de psychologie. Mais là encore, au bout d'un an, je replonge dans l'anorexie.
C'est toujours par vague : certains moments ça va mieux, d'autres plus du tout. Quand je reprends du poids, ce n'est jamais de manière saine, c'est toujours à la suite de crises d'hyperphagie, qui font que je ne me sens pas mieux dans mon corps, au contraire.
"Au plus fort de la maladie, je pouvais me peser jusqu'à 10 fois par jour, et je vérifiais tout le temps que mes os sortaient, je les touchais, et c'était gratifiant, ça me rassurait quelque part."
Et puis autour de 2017, vers mes 22 ans, j'ai une sorte de déclic. Je rencontre mon compagnon actuel, et je décide de faire en sorte que ça aille mieux.
Aujourd'hui, mon rapport à la nourriture a totalement changé : je mange ce que je veux, je ne fais plus forcément attention à tout. Au plus fort de la maladie, je pouvais me peser jusqu'à 10 fois par jour, et je vérifiais tout le temps que mes os sortaient, je les touchais, et c'était gratifiant, ça me rassurait quelque part. Désormais, je ne me pèse plus, et j'accepte mon corps comme il est.
Je n'ai jamais réussi à revenir à 50 kilos. Mais j'en fais 47 aujourd'hui, j'ai donc quasiment repris mon poids de forme. Je me sens en meilleure santé, mais mes TCA ont quand même grandement impacté mon corps : j'ai les gencives fragilisées, j'ai perdu la moitié de ma masse capillaire, et je n'ai longtemps plus été réglée. Encore aujourd'hui, mes cycles de menstruation ne sont pas réguliers. Mais je suis beaucoup moins fatiguée et je me sens beaucoup mieux au quotidien.
J'ai essayé, avec une psychologue, de comprendre la raison de mes troubles alimentaires. Je pense que dans mon cas, c'était directement relié au fait que je me suis toujours sentie inférieure aux autres, un peu trop grosse - même si ce n'était pas le cas -, et finalement ces restrictions alimentaires me procuraient un sentiment de contrôle. Je ne peux pas dire qu'elles m'ont donné confiance en moi, puisqu'il y avait le regard des gens qui pouvait être terrible, ces gens qui se retournent sur vous parce que vous êtes trop maigre. L'anorexie a beaucoup impacté ma vie sociale aussi. Au quotidien, je me sentais tellement incomprise que je ne voulais plus voir personne.
Aujourd'hui, je me considère guérie. Mais je pense que ces troubles, on les garde à vie. Ce rapport à la nourriture, il y a des moments où je n'y pense plus du tout, et d'autres, quand ça ne va pas, où ça revient, et là c'est plus difficile. Je pense qu'on n'en sort jamais complètement. Ça reste toujours une part de nous, et on apprend à vivre avec.
Aurélie Fabiani, 25 ans
Depuis que je suis toute petite, j'ai toujours été complexée par mon corps. J'étais un peu en surpoids, rien d'énorme, mais ça a pu être très compliqué par période, notamment durant mes années collèges et lycée, où j'ai été la cible de moqueries.
À partir de mes 15 ans, j'essaie de mincir, mais sans vraiment y arriver. Je me lance dans le premier programme que je trouve sur Internet, je le suis pendant deux semaines, et puis je craque, puisqu'il n'est pas du tout adapté à mes besoins, et c'est un cercle vicieux en continu. J'y parviens finalement à mes 20 ans, âge auquel je commence à m'intéresser à la nutrition, et où je rencontre mon compagnon actuel. Je perds 17 kilos seule. Je suis fière, j'ai confiance en moi, je me sens super bien dans mon corps.
C'est aussi à cette période-là que je me découvre une passion pour la musculation. J'y vais six fois par semaine, et je me donne rapidement un objectif : participer à une compétition de bodybuilding. Pour ce faire, je fais appel à un préparateur sportif. Et là, ça ne se passe pas bien du tout. Ses programmes alimentaires ne me conviennent pas du tout, j'ai tout le temps faim. Il me fait faire du vélo à jeun le matin, puis m'autorise quelques féculents au petit-déjeuner, et après c'est du poulet et des légumes seulement, midi et soir, en toutes petites quantités.
Je lui dis que ça ne me suffit pas, que je suis obligée de faire des écarts et d'augmenter mes portions, mais lui me répond uniquement d'arrêter de me plaindre. En 2019, je ne participe finalement pas à ma compétition, lui ayant estimé que je n'étais pas prête mentalement. C'est une grosse déception pour moi, je prends ça comme un échec personnel. Et puis viens mars 2020, le début du confinement, et tout déraille.
Je n'ai plus accès à ma salle de sport, je ne peux plus aller travailler, et je me retrouve seule chez moi avec mes placards remplis. D'un coup, je commence à faire des crises boulimiques, à manger des quantités énormes chez moi, en pouvant passer du pot de Nutella aux olives puis aux bonbons et au pain, et ainsi de suite. Je vis déjà à l'époque avec mon compagnon, mais lui continue à travailler en présentiel. Comme j'ai honte, j'attends qu'il soit parti et d'être seule pour avoir des crises alimentaires. Le matin, je n'ai qu'une hâte : qu'il parte travailler pour que je puisse manger. Je pouvais aussi me lever en pleine nuit, à 4h du matin, pour dévorer un paquet entier de biscottes avec du beurre et de la confiture, trempées dans un bol de lait.
"Le matin, je n'ai qu'une hâte : qu'il parte travailler pour que je puisse manger."
Les premières semaines, j'essaie de compenser ces excès caloriques par du sport et de l'exercice. Mais rapidement, je lâche complètement prise et je ne fais plus rien du tout. Résultat, entre mars et juin 2020, je prends 15 kilos. Mon corps change drastiquement. J'ai très honte, mais mon compagnon ne me dit rien, ne me fait pas de commentaires. Quand je revois ma famille, par contre, c'est différent : mon père, après trois mois sans m'avoir vu, me dit que j'ai doublé de volume. C'est très douloureux.
À partir de juin, je reprends enfin mon travail dans l'hôtellerie-restauration. Mes crises s'espacent un peu plus : je passe d'une par jour à trois grosses crises par semaine. Elles peuvent m'arriver même en dehors de chez moi : je travaille en tant qu'hôtesse pour les petits-déjeuners dans un établissement d'Ile-Rousse, et je peux souvent repartir avec des restes, comme par exemple 10 pains au chocolat, des crêpes, d'autres viennoiseries... Le temps de rentrer chez moi, à Calvi, j'ai déjà tout mangé dans la voiture. Je suis comme dans un état second dans ces moments-là, dans un certain déni aussi de ce que je suis en train de faire.
Jusqu'à la fin de l'année 2020, je prends encore 5 kilos supplémentaires, et puis j'ai un déclic, notamment en regardant des photos de moi avant et après prise de poids. Je suis dégoûtée par moi-même. Je fais quelques rechutes, et puis je décide d'enfin lâcher prise sur mon alimentation, en me laissant manger à ma faim et en retrouvant le plaisir de manger, et je finis par perdre mes 20 kilos au bout de 7 à 8 mois. Ça a pris un peu de temps, mais c'est durable : je ne les ai pas repris depuis.
Surtout, je commence en 2021 à suivre des formations en diététique et nutrition, puis sur les troubles du comportement alimentaire, et je deviens coach nutritionniste et sportive. L'an dernier, j'ai accompagné 300 personnes pour les aider à développer de bonnes habitudes alimentaires et sportives. Mon objectif maintenant, c'est de faire en sorte, à mon échelle, que chacun puisse avoir accès à des bons conseils, plutôt que des mauvaises informations délivrées par de mauvaises personnes, qui peuvent finalement vous faire beaucoup de mal, comme cela a pu m'arriver.
Laura*, 29 ans
Petite, je suis une enfant gourmande. Je n'ai pas d'embonpoint, mais j'aime beaucoup manger, tout en gardant un rapport sain avec la nourriture. Jusqu'à mes 15 ans, âge auquel je suis agressée. J'en sors indemne, mais cela me déclenche des grosses angoisses, surtout nocturnes ou quand je suis seule.
Pour me calmer, je me retrouve à 23h, une fois que tout le monde est couché, à engloutir tout ce qui me passe sous la main. Je mange mécaniquement, comme pour combler un vide.
Je fais attention à prendre uniquement des produits dont on ne se rendra pas compte de leur absence, comme des paquets de gâteaux ou des conserves de maïs, et mes parents ne s'aperçoivent de rien. Les crises se font par période : quand tout va bien, elles disparaissent, et dès que j'ai une contrariété, elles peuvent me saisir tous les soirs, pendant des semaines à la suite.
Forcément, cela a des répercussions sur mon apparence : je prends une vingtaine de kilos. Je vis très mal le changement de ma silhouette, de svelte à plus enrobée. Je ne m'accepte plus physiquement, je n'ose plus trop aller à la plage et me mettre en maillot, je mets des vêtements plus amples pour me camoufler... Je finis par refuser certaines sorties, faute de savoir comment m'habiller pour être à l'aise. Et à force de trouver des excuses, je ne sors plus du tout, je me renferme chez moi. Pareil pour la salle de sport : paradoxalement, j'ai honte d'y aller.
"Je me retrouve à 23h, une fois que tout le monde est couché, à engloutir tout ce qui me passe sous la main. Je mange mécaniquement, comme pour combler un vide."
Je continue des années comme cela, même une fois en couple puis mariée. Mon époux ne me juge pas, il comprend que c'est un stress et que j'en ai besoin.
Pendant 15 ans, je continue comme ça sans comprendre que je souffre de TCA. Je ne l'ai finalement découvert il y a quelques mois : nous sommes fin 2022, et je décide de prendre un coach sportif. Elle me demande si ça m'arrive de grignoter, et je lui explique que oui, le soir, puis je lui raconte tout. Et là, elle me dit que ce que je fais, c'est de l'hyperphagie.
Pour la première fois, à presque 30 ans, je peux enfin mettre des mots sur ces crises que je traîne depuis l'adolescence. Et ça me fait beaucoup de bien, parce que je comprends que je ne suis pas la seule dans ce cas, à manger jusqu'à m'en dilater l'estomac, qu'il y en a d'autres comme moi, et qu'il y a des moyens de s'en sortir.
Aujourd'hui, ça va mieux. Faire du sport et changer d'hygiène de vie m'ont beaucoup aidé. J'accepte désormais mon corps comme il est, je reprends le contrôle de mon alimentation. Le soutien de mon mari, à toutes les étapes, m'a beaucoup aidé. J'ai le sentiment de vraiment pouvoir aller de l'avant maintenant.
(*le prénom a été modifié)