Alors que la Russie a lancé une "opération militaire" en Ukraine, les expatriés assistent impuissants et à distance à la détérioration de la situation dans leur pays. En Corse, Elena Simutenkova-Simeoni et Mykola Vorobei ne cachent pas leurs inquiétudes.
Assise sur le canapé de son appartement, situé au sein d'une résidence de San-Martino-Di-Lota, Elena Simutenkova-Simeoni actualise, inlassablement, le fil de ses réseaux sociaux. Depuis les petites heures du matin, et l'annonce du lancement d'une "opération militaire" russe par Vladimir Poutine dans son pays ce jeudi 24 février, cette Ukrainienne n'a pas quitté son téléphone des yeux.
"Je suis abonnée sur Instagram à plusieurs comptes qui postent beaucoup de photos et d'informations sur ce qui se passe, où on peut voir les dégâts causés par les bombardements, notamment", souffle-t-elle, en faisant défiler les nombreuses publications. "Et j'appelle aussi beaucoup ma famille et tous mes amis qui sont là-bas".
Arrivée en France il y a de ça 9 ans, et installée en Corse depuis juin 2021 avec son époux, Elena Simutenkova-Simeoni souffre aujourd'hui plus encore qu'à l'habitude de la distance, au commencement d'une guerre à l'issue plus qu'incertaine. "C'est difficile d'être ici et de voir toutes ses souffrances, tout ce qui se passe là-bas, en sachant que les gens qu'on aime y sont sans possibilité d'être à leur côté", admet-elle, très émue.
Pour l'heure, ses proches "vont bien". "Ma mère se trouve dans ma ville natale, à 200 kilomètres de Kyiv, et ma cousine, qui fait ses études dans la capitale, est en chemin pour la rejoindre. Elle fait le trajet en voiture depuis ce matin, parce qu'en ce moment, les trains c'est très compliqué. Donc je prends des nouvelles pour savoir où ça en est, si elles se sont bien retrouvées." Elena Simutenkova-Simeoni reste néanmoins très préoccupée : "Je ne peux pas me dire que mes proches sont en sécurité, simplement parce qu'il n'y a plus personne en sécurité, en ce moment, en Ukraine."
Ses yeux vert pâle embués de larmes, la jeune femme raconte s'être réveillée dans un état de "sidération". "Je me suis dit : ça y est, le dictateur a franchi le pas. On s'y préparait, en tant qu'Ukrainiens, mais on ne s'attendait pas à ce qu'il aille vraiment jusque-là. C'est effrayant. Et aujourd'hui, je pense que toute personne lucide comprend bien que ce n'est pas uniquement une attaque contre l'Ukraine qui est en train d'avoir lieu, mais c'est l'attaque de la démocratie dans toute l'Europe et dans le monde entier, c'est une attaque contre la démocratie."
"La guerre n'a pas commencé ce matin"
A quelques kilomètres de là, dans sa maison à Ville-di-Pietrabugno, Mykola Vorobei, 34 ans, ne cache pas non plus sa "peine" et son inquiétude face à cette "attaque surprise" russe. Installé en Corse depuis l'adolescence, lui aussi multiplie les coups de fils depuis le début de la journée pour prendre des nouvelles de sa famille.
Certains résident au centre de l'Ukraine, aux abords de Dnipro, comme sa tante : "Je l'ai eue au téléphone ce matin. Elle est évidemment sous le coup du choc et de la panique, parce qu'elle a entendu très tôt dans la matinée le bruit des bombes s'abattre pas loin de sa ville. Elle me dit que ça fait peur, que c'est bien la guerre." D'autres, de sa branche maternelle, habitent plus proches de la frontière. Pour tous, "c'est une situation très compliquée. Alors à distance, on essaie de leur apporter tout notre soutien moral, de leur porter toute notre attention et notre amour."
Dans un accent ukrainien discret, le trentenaire le rappelle : cette guerre, "elle n'a pas commencé ce matin. Les premières tensions remontent à 2014." Plus qu'un conflit entre l'Ukraine et la Russie, Mykola Vorobei estime aussi voir se dérouler des règlements de comptes entre nations parfois bien éloignées de son pays d'origine.
"Il y a des camps comme l'OTAN [alliance de pays d'Europe et d'Amérique du Nord, ndlr], et des camps comme la Russie, qui défendent chacun leur intérêt. Mais aujourd'hui, je me pose la question des intérêts d'un pays aussi lointain que les Etats-Unis pour l'Ukraine, pays frontalier de la Russie. Ce que je vois, c'est qu'à cause de ces guéguerres, pour certaines menées à 6000 kilomètres du domicile [des combattants, ndlr], ce sont des vrais peuples, des vrais gens qui souffrent au milieu."
"Aujourd'hui c'est l'Ukraine, mais demain, ça pourra tout aussi bien être les pays à côté"
Elena Simutenkova-Simeoni et Mykola Vorobei partagent le même voeu d'une sortie diplomatique de ce conflit. Mais la jeune femme insiste : il est selon elle désormais essentiel pour l'OTAN de "passer aux actes" et prendre clairement des actions.
"On reçoit beaucoup de soutiens moraux, et on l'apprécie beaucoup, mais ce dont on a besoin maintenant, c'est de soutiens concrets. Depuis des semaines, des mois, tous les signes étaient au rouge, tout le monde s'attendaient à une telle attaque, à l'échelle internationale, c'était presque acquis, mais personne n'a rien fait, ou pas grand chose. Désormais, il est déjà tard, nous avons des gens blessés, d'autres qui ont perdu la vie. Mais il n'est pas encore trop tard."
"Il faut que la population, que les Corses, prennent conscience de la gravité de la situation, conclut Elena Simuntenkova-Simeoni. Aujourd'hui c'est l'Ukraine, mais demain, ça pourra tout aussi bien être les pays à côté, la Moldavie, la Géorgie... Personne ne sait quelle est la vraie intention de ce dictateur [Vladimir Poutine, ndlr], mais je pense que tout le monde est déjà conscient qu'il n'aura pas de limites si on ne l'arrête pas."