Territoriales 2021 en Corse : Jean-Christophe Angelini, le troisième homme

Rupture du contrat Pè a Corsica oblige, Jean-Christophe Angelini conduit sa propre liste aux Territoriales. Dans cette campagne, le maire autonomiste de Porto-Vecchio est parvenu à rassembler au-delà de sa famille politique. Une force pour ses partisans, une faiblesse pour ses adversaires.

À le regarder serrer des mains et discuter dans les rues d’Ajaccio, on se dit que Jean-Christophe Angelini est né pour ça : faire de la politique. En ce 7 juin 2021, le maire de Porto-Vecchio est en campagne pour les Territoriales dans la Cité impériale. Mais à voir le nombre de personnes qu’il salue et avec lesquelles il converse, sourire aux lèvres, aux abords de la place du Diamant, on en oublierait presque qu’il est le premier magistrat d’une ville située de l’autre côté du sud de la Corse, à 150 kilomètres. « Vous savez, j’ai passé énormément de temps à Ajaccio, nous confie-t-il entre deux discussions. J’y ai gardé beaucoup d’habitudes et beaucoup d’amis. Depuis 2015 et notre accession aux responsabilités, j’y ai quasiment été à demeure jusqu’à ce que je devienne maire de Porto-Vecchio en juin 2020. »

Un an plus tard, revoilà Jean-Christophe Angelini sur la ligne de départ d’un nouveau scrutin. Le contrat Pè a Corsica ayant fait long feu, le leader du Partitu di a Nazione Corsa (PNC) conduit sa propre liste « Avanzemu pè un populu vivu ! » pour ces Régionales des 20 et 27 juin prochains. Une élection où il fait office d’outsider, Ipsos le créditant de 11% des intentions de vote derrière Gilles Simeoni et Laurent Marcangeli.

 

Pour Jean-Christophe Angelini, c’est une première en tant que tête de liste aux Territoriales. Jusqu’à présent, il faisait cause commune avec Femu a Corsica dans la course à la Collectivité de Corse. Une campagne en solo qui n’inquiète guère Jean-François Casalta, neuvième sur la liste "Avanzemu !". « Depuis tout jeune, situe le conseiller territorial sortant, Jean-Christophe a toujours su rassembler les hommes et les femmes derrière lui, avec la vision de faire avancer les choses pour cette terre qu’il aime tant. »

La liste qu’il a constituée accrédite la thèse défendue par l’avocat ajaccien : des historiques du PNC y côtoient des personnalités de droite comme le maire de Sartène, Paul Quilichini, d’autres étiquetées plus à gauche comme Joseph Mattei, premier magistrat de Monticellu. En septième position, Tony Poli a lui délaissé le groupe Andà per dumane de Jean-Charles Orsucci pour rallier le maire de Porto-Vecchio.

Il a une certaine habileté politique

Camille de Rocca Serra, ancien maire de Porto-Vecchio

Proches et adversaires reconnaissent au conseiller exécutif sortant une certaine « capacité à savoir constituer son équipe ». « Il aurait fait un très bon sélectionneur de foot », confie Antoine Lastrajoli, son ami d’enfance également conseiller municipal à Porto-Vecchio. Du côté de ses détracteurs, en revanche, cette posture fait grincer quelques dents : « Un coup il s’allie avec la gauche, un coup avec la droite. Là, c’est les deux en même temps », lâche un électeur porto-vecchiais.

« Il a une certaine habileté politique, reconnaît son vieil adversaire de droite Camille de Rocca Serra. Il a fait des alliances d’abord avec la gauche, puis avec les indépendantistes, et là avec des nationalistes et des gens de droite. À un moment donné, le grand écart peut faire mal aux adducteurs. » Et le conseiller municipal d’opposition et ancien maire de la Cité du sel d’ajouter : « Comme le nationalisme corse, Jean-Christophe Angelini est fait de multiples facettes. »

Un adolescent engagé

Qualité pour les uns, défaut pour les autres. L’homme ne laisse pas indifférent. Son comportement non plus : « sympathique, souriant, détendu et dynamique », pour certains. « Trop politicien et calculateur » pour d’autres. Fraîchement élu maire de Porto-Vecchio, Jean-Christophe Angelini avait alors réagi à ces critiques devant notre caméra : « Je suis conscient moi-même de renvoyer parfois une image qui conforte cette hypothèse selon laquelle, chez moi, tout ne serait que politique. Et je n’en suis pas très heureux parce que ceux qui me connaissent vraiment savent que ce n’est pas vrai. »

Son combat politique, il l’a d’abord mené dans son adolescence porto-vecchiaise. « Déjà au lycée et même au collège, je me rappelle des premiers blocages devant les entrées des établissements pour défendre la langue ou les prisonniers, rembobine Antoine Lastrajoli. Il est là depuis le début. Il a toujours réussi à réunir les hommes. C’est un meneur, quelqu’un qui a ses idées, mais qui fonce et qui fédère. Il sait s’appuyer sur les compétences des uns et des autres. »

Une méthode qu’il mettait déjà en pratique à la fac de Corte. Étudiant en droit, il dirigeait également la Consulta di i Studienti Corsi. « Il avait déjà le don de savoir mettre les bonnes personnes à la bonne place », souligne un ancien camarade de promo. C'est aussi l'époque des premières rivalités, notamment avec Jean-Félix Acquaviva, alors leader du syndicat Ghjuventù Paolina. Avec le député proche de Gilles Simeoni, la relation ne s'est pas réchauffée avec le temps.

D’un an son aîné, Jean-François Casalta militait déjà à côté de Jean-Christophe Angelini sur le campus : « Je suis peut-être un peu subjectif car Jean-Christophe est mon ami depuis 25 ans, admet le conseiller territorial sortant, mais on lui fait confiance naturellement. Sur le plan humain, il a toujours été avec les personnes qui l’entourent d’une correction absolue. Quand vous êtes quelqu’un de digne, soucieux des autres, respectueux, et un homme de bonne volonté, il y a de fortes chances que vous le soyez aussi en politique. »

"Bia è manghja pulitica"

Son parcours dans la mouvance nationaliste se fera en prônant l’abandon de la violence. Il quittera notamment Corsica Nazione à la suite de l’assassinat de Robert Sozzi en juin 1993. Dans la foulée, il intègre l’UPC avant de participer à la création du PNC et d’en devenir le secrétaire général en 2002. « Bia è manghja pulitica », glisse Jean-François Casalta pour souligner la passion et l’investissement de son ami. Un engagement de toujours qui ferait presque passer Jean-Christophe Angelini pour un vieux routier de la politique insulaire, à seulement 45 ans : « Ce qui est paradoxal, relève Antoine Lastrajoli, c’est qu’il incarne la jeunesse alors que ça fait 30 ans qu’il milite. Jeune, il était déjà déterminé. Il voulait atteindre ses objectifs mais toujours dans le dialogue. »

En 2004, à 29 ans, son entourage n’est pas surpris de le voir siéger dans l’hémicycle au côté d’Edmond Simeoni. « Quand il rentre à l’Assemblée, en tant que benjamin de la mandature, je me dis que c’est normal, poursuit le conseiller municipal porto-vecchiais. Les proches, nous savions pertinemment qu’il allait faire carrière là-dedans. » Sans toutefois exposer sa famille, mettant un point d’honneur à ne pas mélanger vie publique et vie privée. « Il préserve beaucoup sa femme et ses deux enfants, confirme Antoine Lastrajoli. D’ailleurs, vu le rythme de croisière qu’il s’impose, très effréné, son épouse est un soutien indéfectible, avec une patience énorme. Son temps libre, Jean-Christophe le passe en famille. Il ne l'utilise pas pour avoir une activité autre ou un hobby

Parmi ses passions, le cinéma, la bande dessinée et la littérature, notamment Patrick Modiano. « Il aime bien pousser la chansonnette aussi, ajoute notre interlocuteur. Plus jeune, il avait formé un groupe avec Don-Mathieu Santini. »

"Il a été persévérant"

Originaire de Casinca et issu d'une famille qui gère une entreprise de fruits et légumes, il a fait de Porto-Vecchio son fief politique. Avec l’ambition d’en devenir le  premier magistrat. Entre 2001 et 2020, il s’y prendra à quatre reprises pour conquérir ce bastion dirigée par la droite depuis plus de 90 ans. « Les échecs réguliers et récurrents aux municipales ont été parfois quelque chose de compliqué, surtout celui de 2014, avoue Jean-François Casalta. Cependant, il a toujours su affronter les victoires comme les défaites de manière digne et sans jamais se décourager, ni baisser les bras. » « Il a été persévérant, il a mis 20 ans, note Camille de Rocca Serra. Je lui reconnais un certain sens tactique. On n‘arrive pas là par hasard. Mais il y a aussi une forme d’opportunisme, ce qui n’est pas forcément suffisant pour créer une adhésion à soi. »

Après s’être allié à la gauche en 2014, le leader du PNC s’appuie sur le soutien de Corsica Libera en 2020, tout en séduisant les acteurs économiques de l’extrême sud de l'île. Ce qui donne du grain à moudre à ses adversaires concernant ses convictions. Lui s’en défend : « Si j’avais choisi, comme tant d’autres, une autre famille politique que celle qui correspond à mes convictions, j’aurais pu être beaucoup plus tôt, avec d’autres, à l’exécutif ou dans une majorité municipale, à Porto-Vecchio ou ailleurs », faisait-il remarquer l'an passé sur notre antenne.

Divergences politiques ou querelle d'ego ?

A l’instar de Laurent Marcangeli, sa première victoire électorale a pour théâtre les Cantonales de 2011. Un premier revers infligé à la droite « rocca serriste » porto-vecchiaise. Le second arrivera neuf ans plus tard, avec la prise de la mairie. Entre-temps, Jean-Christophe Angelini a siégé au conseil exécutif dès 2015 sous la bannière Pè a Corsica, devenant le président de l’Agence de développement économique de la Corse (Adec). « Il a pu tisser des liens avec pas mal de chefs d’entreprise, relève un observateur. C'est quelqu'un qui a une très bonne connaissance des dossiers. »

Depuis, le contrat Pè a Corsica a volé en éclats. "Angelinistes" et "Simeonistes" se renvoient la faute de la rupture. Sotto voce, on évoque aussi une querelle d’ego et de leadership entre les deux figures du nationalisme dit modéré. « Dès que Gilles et Jean-Christophe ont commencé en politique, on n’a pas arrêté de les comparer, se rappelle un électeur porto-vecchiais. À chaque fois, je pensais à la fameuse phrase de Chirac : « il n’y a pas de place pour deux crocodiles mâles dans le même marigot. » » « Pour moi, prolonge un sympathisant autonomiste, cela s’est joué en 2014. Gilles gagne à Bastia et Jean-Christophe perd à Porto-Vecchio. Là, ça a créé un premier décalage. »

J’ai mal vécu, comme beaucoup d’autres, ces épisodes qui nous ont conduit à nous diviser et nous opposer

Jean-Christophe Angelini

S’ensuivront d’autres épisodes comme la création du groupe PNC à l’Assemblée de Corse en 2018, concrétisant une première grosse division au sein de Pè a Corsica. Sans oublier le soutien de Gilles Simeoni à Don-Mathieu Santini aux dernières municipales de Porto-Vecchio. « J’ai mal vécu, comme beaucoup d’autres, ces épisodes qui nous ont conduit à nous diviser et nous opposer », a confié le leader du PNC, mardi soir, sur le plateau du débat organisé par France 3 Corse.

Dans ce scrutin des Territoriales, Jean-Christophe Angelini apparaît comme le troisième homme. Il sait qu’il lui faudra faire un gros score au soir du premier tour pour pouvoir peser au second. Seul ou avec ses anciens alliés de Pè a Corsica ? Il se murmure qu’une alliance serait mal embarquée. « Attendons les résultats du premier tour, tempère Camille de Rocca Serra. En revanche, je pense que cette campagne et le reste va permettre de le positionner sur l’échiquier politique. Il y a des moments où je me dis qu’avec Gilles Simeoni, ils n’ont pas la même vision mais, en même temps, ils arrivent à se retrouver ensemble sur certains sujets. » Manière de rappeler, peut-être, que Jean-Christophe Angelini reste avant tout nationaliste corse.

 

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