Le terrorisme est protéiforme, n'épargne aucun pays et reste difficile à identifier. Ni l'ONU, ni la Cour pénale internationale n'ont réussi à inscrire une définition précise de ce fléau, acceptée par tous, tant ses modes opératoires et ses objectifs divergent. Retour sur les rouages géopolitiques du terrorisme international des années 70 dans le magazine "Democratia" ce mardi 23 janvier à 20h45 sur ViaStella.
En Europe de l'Ouest, dans les années 70, la naissance de groupuscules ultraradicaux va marquer une rupture car l'idéologie qui les anime devient mondiale. Quel est le point commun entre la FAR (fraction armée rouge) en Allemagne, l'armée rouge au Japon, les brigades rouges en Italie ou encore le FPLP palestinien (Front Populaire de Libération de la Palestine) ? Ces mouvements révolutionnaires d'extrême gauche ont tous basculé dans le terrorisme pour lutter contre un ennemi commun : l'impérialisme mondial représenté par la toute-puissance des Etats-Unis. On assiste alors à des rapprochements idéologiques entre les pays, qui mènent à des actions ultra-violentes, à fort retentissement médiatique. C'est le cas de l'attentat de l'aéroport de Tel Aviv le 30 mai 1972, qui fera 26 morts, dont des enfants, et 80 blessés. Derrière cet événement dramatique, il y a les fédayins palestiniens et, plus surprenant, l'intervention de l'armée rouge japonaise ! L'histoire de cette association d'envergure, c'est le fil rouge du documentaire "Liban Rouge : des kamikazes au pays des Fedayin", réalisé par Julien Meynet.
"Révolutionnaires de tous pays, unissez-vous !"
En 1972, l'attentat de l’aéroport de Tel-Aviv est le 1er acte kamikaze au Moyen-Orient. Les images du massacre tournent en boucle sur les chaînes de télévision du monde entier. Tous les regards se tournent vers le Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP) dirigé par Georges Habache. Il est accusé désormais de frapper aveuglément les civils israéliens. Pourtant, les auteurs de cet attentat viennent d’un pays bien plus lointain : Le Japon. Depuis plusieurs mois, de nombreux combattants de l’Armée Rouge Japonaise, pourchassés dans leur pays, ont rejoint le Liban pour s’engager aux côtés de leurs frères d’armes du FPLP. Les intérêts convergent : la lutte sera menée à la fois contre l’État d’Israël et son allié Américain.
Parmi eux, une jeune femme de 24 ans, Fusako Shigenobu, fondatrice de l'Armée Rouge Japonaise. Elle veut mettre en place un front armé pour enclencher une révolution mondiale. Fini les détournements d'avion qui n'ont que peu d'impact, place à la radicalisation. Pour organiser une action d'ampleur en Israël, elle fait venir le jeune militant Kozo Okamoto, en prétextant de le faire travailler sur le tournage d’un documentaire au titre évocateur : "FPLP, Armée Rouge Japonaise, déclaration de guerre mondiale". Ce sera, côté terroriste, le seul survivant de l'attaque du 30 mai 1972. Lors de son procès devant un tribunal Israélien, il déclarera avec arrogance "Nous croyons que le massacre d'êtres humains est inévitable. Nous devons préparer la création du monde de l'Armée Rouge et nous aimerions prévenir la terre entière que nous abattrons quiconque marche avec la bourgeoisie".
L'attentat de Tel Aviv fait coïncider plusieurs facteurs, qui définissent une nouvelle forme de terrorisme. Son objectif est de tuer des civils aveuglement et indifféremment en multipliant les attentats suicides. Son retentissement est mondial et il matérialise la possibilité d'unir les forces de militants de différents pays pour une cause supérieure à celle de la politique d'un Etat.
"Si tu veux contrôler un ennemi, arme-le !"
Les Etats sont aussi au cœur de la tourmente terroriste, entre répression et compromission. C’est le cas de l’Italie qui a longtemps nié l’existence d’un accord secret avec le Front Populaire de Libération de la Palestine. Anna Francesca Leccia a enquêté sur cette histoire. Dans son documentaire "Lodo à l’italienne : L’alliance illicite", à voir également dans Democratia ce mardi 23 janvier à 20h45, elle analyse les événements qui ont entraîné l'enlèvement, puis l'assassinat d'Aldo Moro, ministre des Affaires étrangères de 1971 à 1974 en Italie. Il a été l'acteur principal de la signature de l'accord "Lodo Moro" ou "Lodo d'intelligence".
Le 17 décembre 1973 à l’aéroport de Roma Fiumicino, un commando palestinien incendie un Boeing américain. Bilan : 34 morts et 11 otages qui seront libérés quelques jours plus tard au Koweit. Les terroristes, quant à eux, ont disparu. Derrière cet attentat, il y a le "Lodo Moro". Après avoir déjoué une attaque le 5 septembre 1973, le gouvernement italien, en la personne du ministre des Affaires Étrangères Aldo Moro, trouve un arrangement militaire et politique avec le FPLP. Dans cet accord inavouable, d'un côté, l’Italie garantit aux Palestiniens la liberté de passage des armes et des explosifs sur son territoire national. De l’autre, les Palestiniens s'engagent à épargner le pays des actions qu’ils devaient mener à l’international. L'Italie soutiendra même la reconnaissance d'Arafat sur la scène internationale, tout comme l'invitation du leader palestinien aux Nations Unies.
Aldo Moro est enlevé le 16 mars 1978. Pendant sa détention, il écrira de nombreuses lettres aux membres du gouvernement italien pour leur demander de céder aux revendications des Brigades Rouges. Dans ses missives, il fait clairement allusion à l'accord secret passé avec les Palestiniens. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les Brigades Rouges ! Le gouvernement italien ne cède pas et Aldo Moro est assassiné le 9 mai 1978. Cet épisode met fin à l'alliance entre l'Italie et la Palestine. S'ensuivent des représailles sanglantes : l’attentat à la gare de Bologne du 2 août 1980, attribué à des militants d’extrême droite, pourrait être en réalité une vengeance palestinienne ; l'attaque contre la Grande Synagogue de Rome le 9 octobre 1982 ou encore le mitraillage de passagers israéliens à l'aéroport de Rome le 27 décembre 1985. Rendue publique en 1990 lorsque les lettres d'Aldo Moro ont été publiées, cette affaire très sensible n’a toujours pas révélé toutes ses zones d’ombre...
Si aujourd'hui plus que jamais, les Etats se mettent en ordre de marche pour lutter contre le terrorisme, ils sont très souvent impliqués politiquement dans son organisation. Le terrorisme a évolué, on passe de revendication politique ou économique qui vise à se libérer d’un système qui prédomine à la toute-puissance d’une religion. Mais le fondement reste le même et la mécanique aussi !