Ce jeudi, Philippe Pujol, journaliste et prix Albert Londres en 2014, sort son premier roman. Un western corse au coeur de l'"Alta Rocca".
Quel est votre rapport avec la Corse ?
Ma mère est corse, du village d’Aullène dans l’Alta Rocca. J’y suis toujours allé, à minima un mois d’été, et j’ai toujours baigné dans une ambiance familiale "très corse" avec mes oncles et tantes. C’est paradoxal, j’ai un rapport très affectueux à la Corse sans y vivre, et un rapport encore plus affectueux à mon village. Pour moi la Corse, c’est Aullène, c’est mon centre du monde. Pour moi la Corse, c’est la montagne, et pas la mer. Je pense que chaque individu possède plusieurs identités. Moi, j’ai cette identité corse, héritée de ma mère, qui fait que j’ai une compréhension naturelle des us et coutumes, de la manière de parler, de se comporter ici. Et c’est une richesse. Par exemple, je suis convaincu que raconter des histoires, j’en ai fait mon travail, c’est un héritage corse. Il y a un art de la narration particulier ici, les corses racontent très bien les histoires. Je pense que ça a façonné ma manière de parler et d’écrire.
Racontez nous l’intrigue de ce premier roman ?
C’est un western dans la Corse du XIXe siècle. Une histoire familiale. Deux frères pourchassés. L’un choisit d’entrer en résistance et de rester en Corse. L’autre part à l’aventure jusqu’aux Etats-Unis. J’ai essayé d’explorer cette dualité : la résistance et la conquête. Plus généralement, la Corse se prête au genre du western, pour les décors, les personnages et même cette intrigue familiale. Si on prend le nom de cette région : Alta Rocca, ça sonne comme un western. Mais je voulais aussi que ce roman soit ancré dans une réalité. Donc il y a un mélange d’invention totale, de faits divers d’époque que j’ai extrapolé et d’un fond historique réel pour lequel j’ai fait de vraies recherches.
Est-ce que la géographie de la Corse est favorable à l’écriture d’un western ?
Oui, mais pas seulement. Ce qui m’a poussé à choisir ce genre, c’est l’intrigue. Une montagne à défendre face à des oppresseurs, la résistance, un endroit pauvre où on se dispute le peu de biens disponibles. C’est en ce sens que ça devient un western. Et, dans l’attitude des personnages aussi. Dans ce roman, ils ont un sens de l’honneur particulier, une propension facile à la violence et surtout un art de la politique. Et je pense qu’en Corse, cet art de la politique est très prégnant, depuis les figures historiques comme Pasquale Paoli ou Napoléon. Et dans les westerns, il y a toujours ce personnage : un peu shériff, un peu chef de village, qui me fait penser à cet art de la politique. Après, c’est vrai, quand j’étais enfant, j’imaginais déjà un western dans ce décor du plateau du Coscione.
Pourquoi avoir choisi, pour la première fois, d’aller vers le roman ?
J’ai eu envie d’explorer l’identité corse à travers certaines notions. Par exemple, pourquoi y’a t-il autant de fatalité dans le caractère corse ? Ou encore, qu’est-ce qui fait un peuple ? Comment définir un peuple ? Qu’est-ce qui fait sa spécificité ? Le rôle des femmes en Corse m’a aussi beaucoup intéressé. Ce retrait apparent, alors qu’elles ont un rôle primordial dans la construction politique du foyer et du territoire. Et j’ai voulu explorer toutes ces notions à travers des genres littéraires : le drame et l’épique. Parce que je trouve ces genres intrinsèques à l’histoire corse. Une histoire dure, triste et belle à la fois. Dans le fait d’être Corse, il y a une puissance dramatique, dans le sens noble. Et en ce sens, c’est un roman très politique. J’ai essayé d’explorer tout cela : la violence, la politique, les légendes qui construisent une identité. Mais, cette fois, je l’ai fait par l’intermédiaire du romanesque.
Vous avez fait des recherches historiques, comme une base pour votre travail ?
Oui, j’ai voulu être vraisemblable, pas réel. Donc il a fallu faire un travail de recherche pour explorer de façon fidèle les notions évoquées. Mais l’essentiel du travail, c’est la narration. Ce n’est pas un objet journalistique, c’est vraiment un roman. Mon travail s’est concentré sur l’intrigue, les personnages et le style. Je suis dans le style le plus poétique que je puisse produire. J’ai imaginé chaque scène comme pouvant être adapté en film. Dans la manière d’écrire, c’est très différent du journalisme. Le journaliste doit retranscrire une réalité brute. Pour ce roman, mon objectif est littéraire avant tout. Je voulais explorer une réalité corse par des techniques et des mécanismes d’écriture.
En plus de cette sortie littéraire, vous publiez également une série de podcast sur l’identité corse, dès le 15 juin.
Oui, c’est un tout autre travail, cette fois ancré dans le réel. C’est un documentaire sonore. Un parcours à travers la Corse, au cours duquel je me pose la question : “qu’est-ce que l’identité corse ?” Je suis parti d’un constat, les clichés qui m’agacent profondément chaque fois que j’évoque mes origines. Il faut l’admettre, parfois certains sont eux-mêmes les artisans de ces caricatures. Et parfois, la caricature devient une réalité dans l’imaginaire populaire. Après avoir fait ce constat, nous sommes partis avec Anne-Sophie Lebon, à la rencontre de personnages à travers la Corse. Et le résultat ? Il n’y pas une seule identité corse. Partout, il y a des spécificités : dans les accents, les physiques, les mentalités. Et encore une fois, c’est un objet très politique. Je suis fasciné par cette volonté des corses de vouloir garder leurs racines et d’y trouver ce qui va permettre d’avancer, de se projeter vers l’avenir. Je pense que toutes ces notions sont le résultat d’un immense brassage, la Corse est au coeur de la Méditerranée. Et je trouve que c’est une force.
Pour votre podcast, vous êtes partis "Par iStrada", sur la route, en hiver. Pourquoi ?
J’ai voulu sortir de la carte postale. Une carte postale c’est à la fois beau et sans intérêt. Ca ne suffit pas. En été, la Corse est une industrie où on vend une Corse factice. Mais ce n’est pas spécifique à la Corse, c’est pareil à Marseille ou même en Bretagne. Avec l’hiver, toute cette théâtralisation disparaît. Les gens retrouvent leur vie quotidienne, normale. Les rencontres sont plus sincères, plus authentiques. Et puis, j’avais envie de parler d’un territoire rude, plus vrai. La Corse en hiver, c’est la Corse sans son maquillage estival. Et elle est encore plus belle et plus intéressante. Donc c’est un documentaire sonore qui se complète très bien avec le roman.