Crise sanitaire. "Je ne pouvais pas rester dans mon canapé" : des jeunes bénévoles s'engagent auprès des plus pauvres

La crise sanitaire fait basculer de nombreux Français dans la pauvreté, parfois extrême. Face à ce chaos social, les jeunes s’engagent, en grand nombre, pour aider les plus pauvres. Certain.es consacrent des soirées à des maraudes auprès des sans-abris, avec l'Ordre de Malte. 

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"Quand le premier confinement est arrivé, je ne pouvais pas rester dans mon canapé, je devais agir. Ma colocataire, infirmière, partait au front tous les matins.  Je suis jeune et en pleine forme. J’ai besoin de me sentir utile, sinon je dépéris. J’avais envie d’aider mon pays." A 26 ans, Juliette Niclas est commerciale dans une start up de l’économie solidaire. En mars dernier, cette jeune femme pétillante se retrouve au chômage partiel, et décide de s’engager dans le bénévolat : " l'après-midi, je travaillais au service des achats de l'hôpital Cochin, pour remplacer le personnel victime du covid. Et le soir, j’ai commencé à faire des maraudes alimentaires avec l’Ordre de Malte, association dans laquelle je m'étais déjà engagée il y a deux ans."

Prendre soin des sans-abris, avec l’Ordre de Malte

Il est 19 heures, ce soir de décembre, à Paris. Le siège de l’Ordre de Malte est plongé dans l’obscurité. Seule une lueur apparaît. La jeune bénévole prépare la mission, dans un minuscule local : "on fait chauffer quatre thermos pour  distribuer des boissons chaudes et les soupes. On a des invendus de supermarchés et des dons d’entreprises, de quoi distribuer cinquante repas par soir. L’Ordre de Malte œuvre, dans toute la France, pour secourir, soigner et accompagner les personnes les plus fragilisées par la maladie, l’âge, le handicap, la pauvreté et l’exclusion. Je me retrouve dans leurs valeurs. Et cette association, reconnue d'utilité publique, a les moyens de ses ambitions", explique Juliette, en remplissant une glaciaire de sandwiches, de salades et de yaourts. 

La jeune femme est devenue cheffe d’équipe, et n’a jamais cessé les maraudes : " j’en fais une à deux par semaine. Parfois, j’ai la flemme de sortir de chez moi le soir, en plein hiver, mais il y a de plus en plus de gens dans la rue ! "

Pour l’accompagner ce soir, trois autres jeunes bénévoles arrivent : Emma, 21 ans, élève ingénieure, Louis, 27 ans, chef de projet dans une entreprise, et Thiebault, 25 ans, étudiant en géologie : "je suis bénévole à l'Ordre de Malte depuis 2019 comme secouriste et, pendant le premier confinement, une amie m'a incité à m'engager dans les maraudes pour répondre aux besoins alimentaires criants des SDF."

Des jeunes de plus en plus solidaires envers les plus pauvres

La crise sanitaire a engendré une explosion de la précarité. Face à cet effondrement social, 78% des 16-24 ans se déclarent prêts à s’engager pour aider les personnes en situation de pauvreté, selon un sondage Ipsos pour le Secours Populaire de septembre 2020.

L’Ordre de Malte, lui, enregistre une augmentation de 25 % des jeunes bénévoles, depuis le début de l’épidémie. Des étudiant.e.s, ou jeunes actifs, qui ont moins de trente ans : " quand la crise sanitaire surgit, ils se retrouvent  sans cours, ou à distance, sans stage, au chômage partiel, ou au chômage tout court. Et soudain, dans les rues désertées, certain.es d’entre eux ouvrent les yeux sur une réalité qui leur saute au visage, sur des personnes sans-abris qu'auparavant, ils croisaient, sans les voir", explique Armand de Vial, responsable des jeunes à l’Ordre de Malte

Un immense élan de solidarité inédit est né, en mars dernier : "ils nous écrivent pour venir aider les plus fragiles. Ils s'engagent via le bouche à oreille. Ils sont touchés par la précarité croissante, veulent aider, mais pas derrière un ordinateur. Ils veulent être acteurs, au contact des personnes. C’est leur façon de lutter contre la crise sociale." Les jeunes ont notamment remplacé les retraités, personnes à risque, qui ne sont plus autorisés à faire des maraudes.

Un repas, et un moment d’attention salutaires 

Chaque soir, comme dans 12 autres villes de France, une à deux équipes sillonnent un secteur différent de Paris. Pour l’équipe de Juliette, direction les 16e, 17e et 18 e arrondissements.  

A bord de la camionnette, l’équipe emporte nourriture et boissons, ainsi que des kits d'hygiène : savons, brosses à dents, dentifrice, gel hydro-alcoolique, et parfois des sacs de couchage, selon les dons. 

Assise à l’avant de la camionnette, côté passager, c’est Juliette, en tant que cheffe d’équipe, qui guide Louis, au volant : "On va commencer par Auteuil". Elle connaît les grands boulevards, les avenues où s'installent les personnes qui vivent dans la rue, les carrefours d'échanges où ils espèrent croiser des gens. Louis roule très doucement. Et les regards des quatre équipiers scrutent avec une extrême attention chaque trottoir, chaque place : "dans les quartiers chics et Paris sud, il y a beaucoup de SDF qui sont là depuis longtemps. Et dans les quartiers nord, ce sont plutôt des gens issus de l’immigration. On évite les gares car on se fait piller le camion en dix minutes. Et la vocation de la mission c’est d’aller voir les gens isolés."

Depuis le début de l'épidémie, les maraudes alimentaires sont devenues encore plus essentielles à la survie des sans-abris. Quasiment vitales. Beaucoup de gens télétravaillent, sortent moins, payent en carte bleue, ne donnent plus de pièces aux sans-abris, et ne prennent plus le temps de parler avec eux, par peur des risques de contamination du Covid. Conséquence inévitable : La détresse des personnes de la rue s’accentue.

"Là bas, il y a une personne !" lance Thiebaut. Juliette s’avance vers un homme emmitouflé sous des couvertures : "bonjour c’est l’Ordre de Malte, ça va? Est-ce qu’on peut vous proposer un thé ou un café quelque chose à manger?". "Vous avez des nouilles ?", demande-t-il. "Non on n’en a pas mais on a des soupes, qui  sont plutôt bonnes!" répond Juliette avec un sourire généreux. "Et des yaourts et des biscuits ça vous dit ?" poursuit la jeune bénévole. "D’accord d’accord", répond l'homme fatigué.  

La conversation s’engage : "Vous avez des duvets? Non pas ce soir, désolée. Comment vous vous appelez ? Sur l'honneur Arnaud Leblanc. Moi c’est Juliette".  Juliette qui confie : "Parfoiscertains n’ont pas mangé depuis deux jours. Ces maraudes, c’est une façon de leur apporter un peu de bonheur, à un moment. J’ai la chance d'être née dans une famille avec moyens. Tout le monde n’a pas cette chance."

 

Chaque personne est prise en charge par un binôme, question de sécurité : "Monsieur, est-ce que vous voulez aussi des carottes?" lui propose Thiebaut. "Ah oui c’est top. Vous avez des couverts ou on vous en apporte?".  L’homme, le regard souriant de gratitude, lui répond : "Meilleur il n’y a pas plus que vous". Et il ajoute du bout des lèvres : "ça fait plaisir de voir des personnes..." Juliette revient avec un café : "et voilà! On les valorise, on leur montre qu'on s'intéresse à eux, on leur  sourit. Plus on fait de maraudesplus on se rend compte que ces gens, on les déshumanise ! Ils sont devant les magasins et les gens les rejettent. Ils sont marginalisés. C’est important  de les réhumaniser! "

"Beaucoup nous disent qu’ils se retrouvent très seuls", explique Thiebaut.  Alors on  parle un peu avec eux." Dix minutes , c’est le temps passé, en moyenne, avec chaque sans-abri : "mais il n’y a pas de règle, quand on te raconte une histoire et que tu vois que c’est important on n’interrompt pas la personne. Et si elle n’a pas envie de parler, on le respecte", précise Juliette. Et la maraude se poursuit, en quête d’autres sans-abris.

"Bon Arnaud, on va te souhaiter une bonne soirée", conclut-elle, avec bienveillance, avant de remonter à bord de la camionnette, avec toute l’équipe.

De nouveaux sans abris, victimes de l'effet domino de la crise sanitaire

Depuis le début de la crise sanitaire, on voit beaucoup plus de personnes précaires dans la rue", déplore Juliette. Il n’existe aucun chiffre fiable concernant le nombre de sans-abris en France, depuis 2012. Mais, dans certains quartiers de Paris, l'Ordre de Malte a augmenté de près de 30 % le nombre de ses petits déjeuners servis aux sans-abris : "on voit beaucoup de gens victimes d’une spirale infernale, de l’effet domino de la crise sanitaire. Avant, c'était des gens qui s’en sortaient avec des petits boulots, mais ils vivaient à la limite du seuil de pauvreté. Depuis la crise, ils ont perdu leur emploi précaire, et n’ont plus les  moyens de payer leur logement. Ils se retrouvent soudain dans la rue, obligés de demander de l’aide."  

Et si pendant le premier confinement, les hôtels ont été réquisitionnés pour accueillir les personnes vivant dans la rue, ce n’est plus le cas. Et les foyers d’hébergement d’urgence sont saturés. Ce qui explique l'augmentation des personnes qui se retrouvent dans la rue, comme cet homme qui aborde la maraude, en demandant un café : "aujourd’hui c’etait une journee de merde. Les gens étaient un peu cons. Ils disaient que je nuisais à l'atmosphère… J'ai tout eu...pourtant je ne demande rien, je suis là, sur mon matelas, mais je ne fais pas la manche…"

"Certains nous racontent comment ils ont sombré pendant le premier confinement, d’autres parlent de leur ressenti de la situation politique."  explique Thiebaut. L’homme semble content de ce moment de partage : "je suis de l’Oise, j'avais ma propre entreprise de carrosserie et peinture. Pendant trois ans, je n’ai pas pris de salaire pour que l’entreprise se développe. Le premier confinement, c'était compliqué. On n’ avait pas beaucoup d’aide et mon associé , le peu d’argent qu’on avait mon associé a fait n'importe quoi avec...et je me suis retrouvé à la rue."

Puis, avec un sourire discret, il partage aussi, ses bonnes nouvelles : "dans quelques jours, j'aurais un toit, dans un foyer chrétien et jusqu’au 31 mars. C’est uniquement un hébergement la nuit, et un dîner. Mais avec une douche", poursuit l'homme, un peu gêné,"car en ce moment, je me nettoie avec des lingettes, c'est pas top." Actuellement, à Paris, les bains-douches publiques ne sont pas tous ouverts, et à des horaires restreints. Un problème sanitaire crucial pour toutes les personnes qui vivent dans la rue. 

 

La rue, seule issue, pour pouvoir se nourrir

Il est 22 heures. En chemin, l’équipe s’arrête devant trois personnes allongées sur des matelas sous le auvent d'une grande enseigne . Deux d’entre eux dorment : "on ne les réveille pas. C’est déjà assez dur de s’endormir dans la rue", confie Juliette. Le troisième est assis, emmitouflé avec des habits chauds, regardant son téléphone mobile : "beaucoup ont un travail mais pas suffisamment d’argent pour avoir un logement", explique Thiebaut. 

"La technologie, poursuit Juliette, c’est important pour qu’ils puissent recevoir de l'aide. Du coup, dès qu’ils ont un peu de sous, ils s'achètent un téléphone. Si vous cherchez du travail et que vous n'avez aucun numéro pour être joint, c'est compliqué". Thiebaut revient avec un café. C’est tout ce que l’homme lui a demandé. 

Un peu plus loin, l’équipe aperçoit une femme. Certes beaucoup moins nombreuses que les hommes, elles font aussi partie des sans-abris, en tout cas, des personnes victimes d'une très grande précarité. Odette est assise sur un siège pliant, la main sur son caddie, devant un magasin d’alimentation : un site stratégique. Elle sourit en voyant arriver l’équipe de la maraude et entame la conversation avec Thiebaut et Emma : "je suis là depuis un mois. Cela me convient bien. Les gens me donnent à manger, quand ils vont faire leurs courses. Moi je ne suis pas à la rue, j’ai un logement  mais question finance, je ne touche presque rien. J’ai 70 ans, je suis retraitée et comme je n’ai pas beaucoup travaillé, je touche des clopinettes. Je viens dans la rue pour manger."

Emma lui apporte une salade, quelques biscuits, et un café : "vous avez mis du sucre, s'assure la femme en souriant , car sinon c’est pas bon ! Je suis gâtée ce soir. Vous êtes les troisièmes après la Protection civile !"

 

Des livreurs de repas affamés 

Paroxysme d’une société de consommation qui s’emballe, les coursiers font désormais partie des  nouveaux pauvres.Ils sont des centaines à sillonner les villes de France, en scooter, à vélo, à des cadences infernales, pour tenter d'améliorer leur salaire de misère. Ils apportent des repas à domicile et  pourtant, un grand nombre d’entre eux n’ont souvent pas les moyens de manger à leur faim :  "souvent, quand on s’arrête avec notre camionnette, ils viennent nous voir pour nous demander de manger. Il y en a plein qui dorment dans la rue. C'est un fléau !" déplore Juliette. 

Des maraudes alimentaires et médicalisées dans 13 villes de France

Depuis le début de la crise du Covid, les maraudes alimentaires de l’Ordre de Malte prennent une dimension sanitaire et médicale  : "lors du premier confinement, explique Armand  de Vial, responsable des jeunes de l'ordre de Malte, les hôpitaux étaient engorgés, les médecins de rue débordés, les sans-abris n’osaient plus appeler à l’aide.  Et de nombreuses associations fermaient leurs portes faute de bénévoles, la plupart retraités, donc à risque. On a réalisé que si on n’allait pas les voir, personne ne le ferait. On a donc lancé des maraudes alimentaires médicalisées, à Paris et dans 12 autres grandes villes."

Soli’Malte est un nouveau concept de service embarqué, sanitaire et social, conçu comme un « tout en un » offrant aux personnes précaires, là où elles se trouvent, des repas, une écoute, des gestes de premier secours sanitaires, un kit d’hygiène de base et si nécessaire une orientation vers les prises en charge de proximité : logement, santé, douches…  

Des secouristes participent désormais aux maraudes, comme Louis et Thiébaut. Ils ont pour mission de veiller de près sur la santé des sans-abris : "on a un sac avec du matériel pour prendre la pression artérielle, la  saturation en oxygène, et le pouls. Avec le Covid, on fait très attention. Si on est amené à prélever des constantes, on prend toutes les précautions, on met des lunettes, des gants, et on désinfecte tout a la fin." 

Au cours de la maraude, les deux jeunes secouristes s’approchent d’un homme, assis sous un abri. Ils remarquent immédiatement qu’une de ses jambes, qui dépasse d’un pantalon déchiré, est abimée et déformée. L’homme explique que c’est une ancienne fracture mal remise, mais refuse d’aller à l'hôpital : "dans ce cas, explique Thiebaut, il ne s'agit pas de premiers secours. On ne peut rien faire. On intervient uniquement quand l’état d’une personne nécessite une intervention urgente. Si il est trop dégradé, ou que la personne présente les symptômes du covid, on prévient les secours". Et parfois, c’est salutaire intervient Juliette : "un jour,  on est tombés sur un SDF en train de faire un infarctus. La secouriste de l'équipe a pu diagnostiquer le problème. Et ils ont pu l’emmener à l'hôpital. On lui a sauvé la vie !"

"On aide les personnes, et on soulage les pompiers car on renforce leurs effectifs. C’est gratifiant de se savoir doublement utile", explique Thiebaut. Comme lui, 80 % des secouristes de l’Ordre de Malte sont des jeunes. Depuis la crise sanitaire, ils sont de plus en plus nombreux à vouloir passer leur brevet. Association agréée de sécurité civile, l'Ordre de Malte est débordé par les demandes de formation. 

Déterminés à poursuivre un engagement solidaire 

Il est 23 h 30,  la fin de la maraude approche : "on va rentrer tranquillement et on distribuera les derniers repas sur le chemin du retour", dit doucement Juliette à ses coéquipiers. En près de quatre heures, Juliette, Emma,Thiebaut et Louis, ont pris soin et distribué des repas à 35 personnes. Les regards sont fatigués.

Mais chacune de ces soirées passées au chevet de personnes en détresse, en cette période de chaos, les confortent dans leur engagement solidaire : "pendant les maraudes, moi  je reçois autant que je donne. Je fais de superbes rencontres, de personnes magnifiques, qui te renvoient des sourires. Et quand je me couche , je me dis que j’ai fait quelque chose de bien dans la journée." 

"La crise sanitaire et économique, confie Thiebaut, me renforce dans ma volonté de ne pas perdre le caractère social des relations. On peut, tous à sa manière, aider quelqu’un de vulnérable, gratuitement". 

Et Juliette de conclure : "Tu donnes de toi, tu sors de ta zone de confort, tu t’oublies pour les autres. C’est d’autant plus important pendant cette période de crise. Car je pense que cela va durer longtemps. Et il va y avoir de plus en plus de gens dans le besoin... Et plus on est nombreux, plus on peut offrir de repas aux gens dans la rue." 

Grâce à l’afflux des bénévoles, l’Ordre de Malte a multiplié par trois le nombre de ses maraudes, depuis le début de la crise sanitaire. Pour la période des fêtes, l’association lance un nouvel appel aux jeunes, pour aller à la rencontre des personnes isolées et leur offrir “un moment chaleureux, leur richesse, leur temps et leur énergie”.

 





 

 

 

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