Depuis mars dernier, la loi reconnaît la pleine citoyenneté à toutes les personnes protégées par une tutelle : des handicapés mentaux et psychiques pour la plupart. Jusque là, leur droit de vote était soumis à une décision du juge.
Rachel est autorisée à voter depuis sa majorité. Mais ce n’est pas le cas, pour de nombreuses personnes déficientes mentales. Beaucoup sont placées sous tutelle.Il faut respecter le droit de vote des personnes porteuses d’un handicap mental. Ils ont une responsabilité citoyenne.
Historique: le droit de vote pour tous
Les personnes placées sous tutelle, sont pour une grande part, des personnes atteintes de handicap intellectuel ou psychique et des personnes âgées. Elle ont le droit de voter, depuis seulement 2005. Mais jusqu’en mars dernier, le juge des tutelles pouvait les priver de ce droit.La France compte aujourd'hui 385 000 majeurs sous tutelle. Parmi eux, 275 000 ont été radiés des listes électorales depuis 2009.
Lors des élections européennes, dimanche prochain, pour la première fois, ils vont tous pouvoir voter.
En mars dernier, la loi pour la réforme de la justice leur a accordé la pleine citoyenneté. Sophie Cluzel, Secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées justifie cette décision : "Nous mettons fin à la plus cruelle des discriminations qui imposait aux personnes de démontrer leur capacité à exercer un droit à la fois inconditionnel et inaliénable."
Une décision juste selon Isabelle André, directrice d’un foyer d’hébergement et d'un atelier de jour pour personnes atteintes de déficiences intellectuelles de l’APEI, dans la région dieppoise :
On parle de l’inclusion des personnes handicapées. Elles ne doivent donc pas être écartées du droit de vote.
A 48 ans, Gauthier a enfin le droit de voter!
"Avant j’avais envie de voter. Et j’étais triste de ne pas pouvoir voter". Sa voix est hésitante et émouvante. Sous tutelle depuis sa majorité, Gauthier Roussel est porteur de la trisomie 21. Il a 48 ans. Et le juge des tutelles ne l'avait jamais autorisé à voter. Dimanche prochain est un grand jour pour lui:C’est la première fois que je vote. Je suis très content.
Il ne semble pas bien connaitre les différents candidats, et les idées qu'ils défendent. Mais il sait que les écologistes existent, et il y a des sujets qui le préocupent particulièrement :
"Ce qui me touche le plus, c’est les abeilles. Il y a des agriculteurs qui mettent des pesticides dans les champs et les abeilles vont sur les fleurs pour récupérer le pollen. Il ne faut pas que les agriculteurs mettent des pesticides."
Gauthier n'a pas encore fait son choix. Dimanche, il ira voter avec ses parents, dans l’Eure, en Normandie. C’est un jour historique pour lui:
Je vais mettre un petit papier pour choisir un candidat. Et je serai comme tout le monde.
Parents et éducateurs : un rôle d’éclaireur
Les parents ont un rôle d'éclaireur primordial. C'est à eux qu'incombe la responsabilité de guider leurs enfants handicapés vers la citoyenneté."Rachel sait ce que voter signifie. On le lui a expliqué. Elle fait la différence entre les types d’élections présidentielles ou municipales", confie Fabienne, mère de la jeune femme porteuse de trisomie 21."
Comme elle ne sait pas bien lire, elle s’informe sur les programmes des candidats sur facebook, et youtube.
"Rachel en discute avec nous, en famille et aussi au sein de groupes de parole dans son centre d’accueil de jour pour handicapés."
Comme les parents, les éducateurs ont aussi un rôle important à jouer:
"Pour être apte à voter, il faut avoir conscience de son acte", explique Nathalie Tavernier, chef de service d'un institut medico éducatif qui accueille des adolescents et jeunes adultes déficients mentaux, dans les Yvelines : "dans notre IME, on leur apprend ce qu’est la citoyenneté, un Président de la République, des ministres, des députés, et quels sont leurs rôles, ce qu’il décident. A partir du moment où elles en sont conscientes, ces personnes peuvent voter."
Pour Isabelle André, directrice du foyer d’hébergement de l’APEI de Dieppe,
il faut éclairer le jugement des personnes handicapées pour leur permettre d’avoir leur opinion. Sinon cela n’a pas de sens.
"Notre travail de citoyen valide est de leur donner des clés, employer les bons mots, pour leur permettre de comprendre les programmes et se forger une opinion."
Une conscience politique à leur échelle
Rachel est très fière de voter, d’avoir sa carte d’électeur "marquée république Française". Quand elle l'a reçue, elle l’a tout de suite mise dans son portefeuille. C’est important pour elle d’avoir les mêmes droits que ses frères et sœurs, et elle a sa propre vision des programmes politiques, explique sa mère Fabienne Bahin :
"Quand Rachel écoute les professions de foi des candidats, elle est touchée par des choses essentielles pour elle. Si un candidat ne dit rien sur les personnes porteuses de handicap, elle ne votera pas pour lui." Lors des dernières élections présidentielles, Rachel a disposé sur une table tous les programmes des candidats et quand elle a vu celui de Marine Le Pen, elle l’a mis à la poubelle...
Pour Nathalie Tavernier, chef de service d'un institu médico-éducatif, "les personnes atteintes de handicap mental n’ont pas le même ressenti que les autres."
Ils votent davantage à travers un prisme social. Ils cherchent la justice et l’équité.
Selon les parents et les éducateurs, les personnes handicapées mentales peuvent avoir une conscience politique à leur échelle, et ils sont heureux de participer au jeu démocratique.
"Certes, ces personnes ont des difficultés de compréhension, explique Céline Simonin, chargée des affaires internationales de l’UNAPEI, principale fédération associative de défense des personnes handicapées, "mais bien accompagnées, elle peuvent avoir accès a des prises de décisions, être capables de faire des choix pour leur vie."
"Certaines personnes handicapées ne comprennent pas tout, et vont tout de même voter, confie Nathalie Tavernier. " C’est aux parents et aux éducateurs de juger s’ils sont aptes à aller voter."
Fabienne prend le temps d'éclairer Rachel sur les programmes des candidats, les enjeux de chaque scrutin. Mais ce n'est pas toujours aisé :
"Les élections européennes lui paraissent compliquées. C’est difficile de lui expliquer."
Si elle ne se décide pas elle-même, en tant que maman responsable. Je ne l’emmènerais pas voter.
Pas plus influençables que d’autres
Les personnes atteintes de handicap mental peuvent-elles être victimes d’influences lors de leur vote ? Oui bien sûr, répond Fabienne Bahin, la maman de Rachel, "tout comme des lycéens influencés par des profs, les personnes âgées dans les Ehpad, pas plus que les autres. Comme pour toutes les personnes vulnérables, on doit être attentif à eux, en respectant leurs différences."Certains n’ont pas une conscience politique propre, et peuvent changer d’avis sous l'influence de n'importe qui, selon Nathalie Tavernier:
Mais c’est important qu’ils participent à la démocratie car ils appartiennent à la société.
"Il y a un danger, si la personne est mal intentionnée. Mais ces gens on les retrouve à tous les niveaux."
La plupart des personnes handicapées intellectuelles votent souvent, comme leurs parents ou comme leurs éducateurs, à l'instar de Rachel. Lors des élections présidentielles, elle a été influencée par ses éducateurs. Elle a voté pour un candidat, qui ne correspondait pas du tout aux opinions politiques de ses parents. Mais sa mère Fabienne reste vigilante. Elle tient son rôle d'éducatrice citoyenne avec sa fille :Je dis toujours à Rachel que c’est elle seule qui doit décider de son choix politique.
Des gardes-fou contre les influences
Pour que ces personnes handicapées puissent voter, sans risquer d'être influencées, des mesures de protection ont été prévues : les procurations aux salariés des associations qui prennent en charge ces personnes sous tutelle, et aux tuteurs, ne sont pas autorisées.Des messages simplifiés
Comme elle ne sait pas bien lire, avant de partir voter, Rachel regarde bien les bulletins des candidats, pour ne pas se tromper. C'est compliqué pour elle. Fabienne, sa mère, regrette qu’en France, sur les bulletins de vote, les candidats ne soient pas représentés par des dessins, comme dans d’autres pays.Parents et associations sont unanimes : pour que ces personnes puissent exercer pleinement leur droit de citoyen, il faut les accompagner.
L’UNAPEI, principale fédération associative de défense des droits des personnes handicapées préconise des mesures concrètes :
- des informations claires et compréhensibles de l’inscription sur les listes électorales au bureau de vote.
- des bulletins de vote avec des photos.
- la sensibilisation du personnel des bureaux de vote et des services électoraux.
- une signalétique simplifiée dans les bureaux de vote.
- la possibilité de se faire aider dans l’isoloir par un.e ami.e ou un membre de la famille.
- des programmes politiques et professions de foi faciles à lire et à comprendre ( falc) : une méthode européenne qui rend les informations plus claires.
Une partie des candidats des élections européennes se sont prêtés à cet exercice.
Paris ouvre la voie
La mairie de Paris a ouvert la voie. Elle a mis en place un dispositif pour faciliter l’accessibilité des élections aux personnes handicapées : une signalétique adaptée pour qu'elles soient plus à l’aise le jour du vote.Des vidéos faciles à comprendre
Pour rendre les droits et démarches accessibles aux personnes handicapées, Nous Aussi, association française des personnes handicapées intellectuelles a réalisé, avec l’appui de l’UNAPEI, des vidéos faciles à comprendre pour expliquer simplement les enjeux des élections européennes.Les textes ont été écrits et lus par des personnes handicapées intellectuelles : qu’est ce que l’Union européenne, comment elle fonctionne, à quoi sert le Parlement européen, et comment marchent les élections européennes.
Ces vidéos sont diffusés sur la chaîne youtube de l’association "Nous Aussi" et repris par le bureau du parlement européen en France.