Peut-on arrêter l'alimentation et l'hydratation de Vincent Lambert ? La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) se prononce ce vendredi sur le sort du tétraplégique dans un arrêt qui fera date, mais qui pourrait ne pas marquer l'épilogue de cet imbroglio judiciaire et familial.
Le sort du trentenaire, victime d'un accident de la route en 2008 qui a provoqué des lésions cérébrales irréversibles, est suspendu à cette décision depuis près d'un an. Son épouse veut qu'il puisse "partir" dignement, mais ses parents s'opposent farouchement à ce qu'ils qualifient d'"euthanasie déguisée".
Pourquoi la Cour de Strasbourg a-t-elle été saisie ?
Ce sont les parents de Vincent Lambert, avec une de ses soeurs et un demi-frère, qui l'ont saisie il y a près d'un an. Ils contestent une décision du Conseil d'Etat en faveur de l'arrêt de son alimentation et de son hydratation artificielles, estimant qu'elle violerait son droit à la vie et constituerait une torture.Cette décision médicale correspond au souhait de son épouse, Rachel Lambert, soutenue par cinq frères et soeurs. Refusée par un tribunal administratif mais validée par le Conseil d'Etat, la CEDH l'avait suspendue, le temps de se pencher à son tour sur l'affaire.
Au terme d'une procédure accélérée par rapport à ses standards, c'est sa formation la plus solennelle, la Grande chambre, qui dira vendredi si la France a violé ou non les droits de l'Homme.
Quelle serait la conséquence d'une condamnation de la France ?
Il faudra examiner les termes précis d'une condamnation pour en évaluer les conséquences, soulignent les avocats des protagonistes. Mais si la Cour invalide l'arrêt du Conseil d'Etat, l'alimentation et l'hydratation de M. Lambert ne pourraient logiquement pas être arrêtées. "Cela se terminerait là", résume l'avocat de son épouse, Me Laurent Pettiti.Les juges trancheront un cas spécifique, "mais inévitablement, en se prononçant sur la décision prise dans l'affaire Lambert, la Cour va aussi évaluer la loi Leonetti", qui fixe depuis 2005 le cadre de la fin de vie en France, explique Nicolas Hervieu, juriste en droit public et spécialiste de la CEDH. Et ce alors que le débat parlementaire est toujours en cours sur les évolutions à apporter à cette loi.
L'arrêt Lambert sera également scruté dans les 46 autres Etats membres du Conseil de l'Europe, dont la CEDH est le bras judiciaire. Il "a vocation à devenir un véritable point de référence juridique sur la fin de vie en Europe", pronostique M. Hervieu.
Une non-condamnation mettrait-elle fin à l'affaire ?
L'arrêt de la Cour sera définitif: il ne pourra pas faire l'objet d'un recours. Mais si la France n'est pas condamnée, les parents Lambert feront tout de même valoir qu'une nouvelle décision médicale est nécessaire. La précédente décision "a été prise par un médecin et ne peut être mise en oeuvreque par ce médecin", qui n'est plus en fonction au CHU de Reims où Vincent Lambert est hospitalisé, estime l'avocat des parents, Me Jean Paillot.
Une nouvelle décision serait alors susceptible de faire l'objet de nouveaux recours.
Dans cette éventualité, l'avocat de l'épouse de Vincent Lambert voit "mal comment un juge administratif irait contre une décision de la Cour européenne
et du Conseil d'Etat". "Nous avons des éléments nouveaux à faire valoir" sur l'état de santé de Vincent, rétorque Me Paillot.
Dans quel état se trouve Vincent Lambert ?
"Vincent a recommencé à déglutir, cela ouvre la possibilité de s'alimenter", avance l'avocat des parents. Il "n'est pas en fin de vie, il est handicapé", martèle sa mère, Viviane Lambert, qui demande le transfert de son fils de 38 ans dans le service spécialisé d'un établissement proche de Strasbourg, quiaccueille des personnes à la conscience altérée. Le Dr Bernard Jeanblanc, responsable de ce service, est catégorique: "Pour l'avoir vu récemment, Vincent n'est pas en état végétatif, mais en situation d'état pauci-relationnel", un degré de conscience permettant des interactions avec son environnement.
Selon l'expertise réalisée à la demande du Conseil d'Etat, Vincent Lambert se trouve pourtant dans un état végétatif irréversible et son maintien artificiel
en vie relèverait d'une "obstination déraisonnable", compte tenu des souhaits, rapportés par sa femme, qu'il aurait exprimés avant son accident.