Rund Um. Il y a 30 ans ouvraient les premières écoles bilingues d'Alsace, les écoles ABCM (Association pour le bilinguisme en classe dès la maternelle). Portées par des groupes de parents motivés, elles ont dû faire face alors à l'opposition à peine voilée de l'Education nationale et de beaucoup d'élus alsaciens. Ces péripéties font l'objet d'un livre écrit par un ancien professeur de français et de latin, Richard Weiss, cheville ouvrière de ces premières écoles bilingues allemand-français.
"Quand les parents viennent pour inscrire leurs enfants dans nos écoles bilingues, ils croient que ces écoles ont toujours existé. Mais pas du tout!". Richard Weiss s'en amuserait presque. C'est oublier que les premières écoles bilingues associatives ont été créées de haute lutte.
Tout commence en 1990, dans la banlieue de Colmar. Richard Weiss a deux garçons et déjà un long parcours de militant pour la culture et la langue alsacienne. L'enseignant de français et de latin est détaché depuis quelques années par l'Education nationale pour superviser le réseau d'enseignement LCR, Langue et culture régionales, dans l'académie. En 1990, il fait partie d'une délégation d'Alsaciens qui est reçue au pays basque .
C'est l'occasion de découvrir les écoles Ikastolak Seaska, des écoles associatives qui pratiquent le basque en immersion depuis 1969. Ce voyage est une véritable révélation pour tous les participants: "C'est ce que nous voulons pour nos enfants!" Aussi dit, aussi tôt fait. Richard Weiss et d'autres parents d'élèves organisent des réunions dans les villages, rencontrent des maires enthousiastes. Habitant Colmar, Richard Weiss espère alors pouvoir créer une école bilingue dans sa ville mais c'est sans compter sur l'opposition du maire de l'époque, Edmond Gerrer. Pour ce dernier "l'alsacien n'est qu'un dialecte et n'a pas sa place en classe!" et "l'allemand est une langue étrangère". La délégation de parents reçue par le maire de Colmar, tombe des nues.
Loin de se laisser aller, les parents se tournent vers d'autres mairies: Ingersheim et son adjoint au maire Gérard Cronenberger leur ouvrent grand les bras. La première école maternelle ABCM ouvrira ses portes à la rentrée 1991 avec 7 enfants dont le fils de Gérard Weiss. Idem à Saverne grâce à l'appui du maire Adrien Zeller et à Lutterbach grâce à Roger Winterhalter.
"J'ai eu des lettres anonymes. On nous disait que nous apprenions la langue des nazis aux enfants", raconte celui qui a rassemblé ses souvenirs dans un livre intitulé "Quand je serai grand, je serai bilingue". Pour Richard Weiss et ses comparses, la création des écoles ABCM a été une lutte, loin d'être terminée. "En France, dès que vous voulez enseigner une autre langue que le français, il faut s'attendre à tout moment à des chausse-trappes". Et elles n'ont pas manqué au cours des années: intimidation de l'Education nationale, procès... Richard Weiss en fait le récit dans son livre. Il cite des noms d'élus ou d'inspecteurs de l'Education nationale qui s'étaient donnés pour mission d'entraver le développement des premières écoles bilingues.
Ironie de l'histoire, à la faveur d'un changement de recteur, l'Education nationale change de braquet et crée son propre réseau d'écoles bilingues publiques en Alsace en 1992. "L'Education nationale avait sans doute peur que trop d'enfants quittent le système classiques pour aller vers les écoles ABCM!", ironise Richard Weiss.
Depuis le modèle de classes bilingues du type ABCM a essaimé. 12 établissements existent dans la région. Certains expérimentent depuis quelques années le système immersif: rien que de l'alsacien et l'allemand jusqu'au CE1. Une école en en cours de création à Schoenau.
Aujourd'hui retraité, l'ancien président du réseau ABCM reste actif et surveille ses écoles comme le lait sur le feu. "La récente décision du Conseil constitutionnel qui a déclaré anti-constitutionnelle la loi Molac sur l'immersion dans les écoles, nous fait craindre une nouvelle menace pour nos écoles". Son livre est le récit de cette lutte qui continue. Il est aussi le récit d'un engagement sans faille de Richard Weiss pour sa langue maternelle.
"Quand je serai grand, je serai bilingue, "Wenn ich einmal gross bin, werde ich zweisprachig sein!", Richard Weiss, Editions Yoran, 14 euros