Guide nature, Bernard Wentz de Heiligenstein (Bas-Rhin) se définit comme un "passeur d'émotions". Son plus grand plaisir est d'entraîner des petits groupes à la découverte de la faune, la flore et l'histoire locale.
Ils sont une bonne demi-douzaine, bonnes chaussures au pied et sac sur le dos. Prêts au départ. Principalement des jeunes retraités des environs de Barr, qui connaissent déjà Bernard Wentz, et n'hésitent pas à repartir avec lui dès qu'il propose une virée.
Cette fois, il envisage une balade "rund um" (tout autour de) Heiligenstein, sa commune d'adoption. Il y a plus de trente ans que ce Haut-Rhinois a posé avec bonheur ses valises sur les terres du Klevener. Car il ne cesse de s'émerveiller devant la variété des paysages qui l'entourent, la diversité des plantes et la richesse de la faune sauvage. Et ce qu'il observe, il adore le partager avec tous ceux qui acceptent de le suivre.
Le départ est donné près de la salle polyvalente de Heiligenstein. Si le temps est dégagé, elle offre une vue magnifique sur la plaine d'Alsace et la cathédrale de Strasbourg. "Ici, à 280 mètres d'altitude, on est déjà deux fois plus haut que la cathédrale" précise le guide, avant de donner le top départ.
Mais le bel élan ne dure pas. Après quelques centaines de mètres à plat, en forêt, Bernard Wentz stoppe déjà la petite troupe en lui demandant le silence. Pour mieux faire connaissance avec la gent ailée qui peuple le lieu, et se présente par son chant. "Tourterelle… merle noir… pic… " Et l'oiseau qui fait "zip zap, zip zap. On dirait qu'il compte de l'argent. On l'appelle le Pouillot véloce."
Déjà, la discussion s'engage. Une participante se souvient que sa mère lui faisait écouter un oiseau qui chantait "d'Zitt isch do, d'Zitt isch do" ("Le temps est revenu" ou "c'est la saison"). "C'est la mésange !" assure immédiatement le guide qui, quelques pas plus loin, désigne au groupe trois beaux chênes centenaires.
Comprendre le pourquoi et le comment
"On part souvent avec Bernard, assure François Jehlé, l'un des participants. Il y a toujours plein de choses à voir et à entendre. Il faut être curieux, et Bernard l'est. Il veut toujours comprendre le pourquoi et le comment. Et comme il a énormément de connaissances, il nous transmet beaucoup de choses."
Professionnellement, après des études en agronomie, Bernard Wentz a principalement proposé des formations pour des agriculteurs et des vignerons. Les coteaux couverts de vignoble, que le chemin longe au sortir de la forêt font aussi partie de son élément naturel.
Il désigne une grande feuille un peu semblable à de la rhubarbe : "C'est de la bardane, "Glätte", ses fruits collent aux vêtements." Il cueille un peu de houblon sauvage, et faut passer une fleur de valériane "l'herbe à chat", pour que le groupe puisse sentir son odeur très particulière.
Puis il fait halte devant un splendide buisson de sureau en fleurs. "Il est grand temps de les cueillir si vous voulez encore faire du "Hexebumbes" ("mousseux de sorcière")" lance-t-il.
Une recette traditionnelle qu'il fait tous les ans : fleurs de sureau bien parfumées laissées à macérer quelques jours dans de l'eau froide, "avec beaucoup de jus de citron et 20 grammes de sucre par litre d'eau." Puis le mélange filtré est mis en bouteilles bien fermées, et "grâce aux levures de la plante, la fermentation s'opère toute seule."
"Je suis tombé dans la nature comme on tombe dans un ruisseau, affirme Bernard Wentz. A l'âge de 4 ans, j'étais déjà en forêt. Et actuellement, je suis dehors presque chaque jour. Ce qui me plaît, c'est de voir constamment quelque chose de neuf, et de comprendre comment toutes ces choses sont reliées… les fleurs, les insectes, et le reste (…) Et plus on sait, plus on veut savoir, c'est infini."
Histoires, légendes et anecdotes
Un peu plus loin, un lieu-dit, Truttenhausen, lui permet un plongeon historique : "C'était un prieuré, détruit au moment de la guerre des Paysans, en 1525, raconte-t-il. A l'époque, c'était leur quartier général".
Il oscille avec aisance entre anecdotes historiques ou légendaires, informations détaillées sur la faune et la flore, blagues de potache et détails scientifiques. Lors de certaines haltes, il tire de son sac des cailloux ou des pommes de pin, pour faire toucher du doigt la richesse géologique du secteur, ou la variété des conifères qui y croissent.
Près de la ferme de Truttenhausen, accompagné de l'ancien fermier, il n'hésite pas à affronter un jeune taureau mécontent, afin de rabattre tout son troupeau de génisses depuis le fond du pré jusque vers la clôture. Car ce sont des vaches d'une race rare, originaire de l'île de Guernesey, et il souhaite que son groupe de randonneurs puisse les admirer de près.
Puis la petite troupe s'engage à nouveau dans le sous-bois. Et après dix bonnes minutes de grimpette, atteint le sommet d'un monticule, couvert d'un grand pré. D'ici la vue est imprenable. Au loin, des collines bleutées, et la silhouette du Haut-Koenigsbourg.
"Ici on est sur le Moenkalb, explique Bernard Wentz. Un nom bizarre. Certains disent que ça viendrait de "moine" (Mönch) et de "veau" (Kalb), d'un moine de Truttenhausen qui aurait perdu son veau. Mais selon Marianne Hickel, historienne, ce serait un dérivé de "mons kalbus", (mont chauve). Car autrefois, il n'y avait pas de forêt ici." Une théorique que lui-même estime très plausible, puisque la forêt actuelle, constituée "de châtaigniers, et derrière de pins douglas, n'est pas une forêt naturelle. Tout a été planté."
"Bernard sait tout sur tout, lance Jacqueline Maninchedda, participante à la balade. Fleurs, plantes, faune. lune, soleil, il a toujours des choses à raconter sur tout. Et la nature procure beaucoup d'émotions, on voit de belles choses, qui valent de l'or."
Une pause méritée
Après une dernière grimpette, c'est l'heure de la pause. Dans une jolie gloriette en bois, une table et des bancs attendent la petite troupe. Bernard débouche son "Hexebumbes", une participante propose du kéfir de sureau, et bien sûr, il y a un peu de klevener. Antoine Fernex, le fermier, prépare des tartines pour tous avec le beurre d'un jaune intense, presque safrané, de ses vaches. Et chacun se régale.
Mais après, pas question de faire la sieste. La balade reprend, en descente, cette fois. Sur un pré, à découvert, Bernard Wentz va cueillir une sauge des prés, et demande à sa troupe de "faire l'abeille" avec des "bzz". Et sur ce fond sonore, il introduit une petite tige dans la fleur, pour montrer comment, par un ingénieux système de balancier, la plante parvient à plaquer ses étamines sur le dos de l'insecte venu butiner, et donc lui refiler du pollen.
Un peu plus loin, dans la dernière partie boisée, le groupe tombe en arrêt devant trois étranges étoiles de mer aux longues tentacules rouges, posées sur la mousse. "C'est un Anthurus d'Archer, assure immédiatement Bernard Wentz. Un champignon, originaire d'Australie et de Nouvelle Zélande, qui sent la charogne, pour attirer les mouches avec son odeur." Cette pieuvre végétale aurait été "amenée jusqu'ici par l'armée australienne en 1914-18", ou serait arrivée "dans des colis de laine."
Dernière halte du parcours : le Rosenberg, un plateau surplombant le village, et qui offre un magnifique panorama. Voici un siècle, une petite roseraie y avait été aménagée. Longtemps à l'abandon, ce jardin ouvert à tous retrouve vie depuis cinq ans, grâce à un couple de bénévoles, Simone et Jean-Marie Schaeffer.
"On plante ici tout le surplus de notre propre jardin, explique Simone Schaeffer. On entretien ce site avec beaucoup de joie. C'est notre hobby, notre salle de jeu, et nous avons de belles surprises avec les insectes, les papillons et les oiseaux. Et si des touristes passent, nous leur montrons les villages alentour, la cathédrale au loin, le massif du Kaiserstuhl (Bade-Wurtemberg) et la Forêt-Noire."
Le petit groupe de randonneurs s'élance avec plaisir dans le jardin, pose des questions sur les plantes, admire la vue. Puis Bernard Wentz donne le départ, pour redescendre tranquillement vers Heiligenstein.
Cette virée, proche de chez lui, est l'une de celles qu'il affectionne. Mais elle n'est pas la seule. "J'ai aussi beaucoup de contacts dans le Palatinat ou dans les Vosges, sourit-il. J'aime aller partout." Voici deux semaines, il s'était rendu en Camargue, observer les oiseaux. Et ces prochains jours, il va s'extasier devant les orchidées sauvages du côté de Soultz-les-Bains (Bas-Rhin).
Mais s'il est chez lui, il accepte volontiers de partir pour la journée avec de petits groupes qui le sollicitent. Et d'emmener les amis des amis. Il suffit de le lui demander. S'il a le temps, il ne refuse jamais.