Accueillir des personnes qui ont fui leur pays où elles étaient en danger. C'est la raison d'être de l'association Casas depuis quarante ans. Au fil des ans, certaines de ses actions ont évolué, mais l'esprit profondément humain de l'association reste inchangé.
Martine Dumoulin, bénévole à Casas, reçoit pour la deuxième fois une jeune femme originaire d'un pays de l'Est, venue chercher refuge en France. Les deux heures d'entretien se déroulent avec l'aide d'une interprète.
"Je m'occupe d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont fait une première demande d'asile à l'OFPRA (Office français pour la protection des réfugiés et apatrides) et ont eu une réponse négative explique Martine Dumoulin. Alors ils peuvent faire un recours, c'est-à-dire raconter à nouveau leur histoire, mais devant un tribunal, la CNDA (cour nationale du droit d'asile)."
Ce dossier à destination de la CNDA doit être encore plus étoffé que celui refusé par l'OFPRA, mieux argumenté, avec de nouveaux éléments, de nouvelles preuves. Raison pour laquelle Martine Dumoulin pose sans cesse des questions pointues, et insiste. Car les généralités ne suffisent pas. "C'est ça, mon travail, précise-t-elle. Je vois la personne trois à quatre fois, et je la questionne, parfois avec des questions très précises. Mais c'est pour l'aider, pas la heurter. Même si parfois, cela fait remonter de très mauvais souvenirs."
En effet, lors de ces entretiens, les récits entendus sont souvent très durs : torture, mort violente de proches, viol… Et nécessitent infiniment d'écoute, de tact et d'empathie. Des récits qu'ensuite, Martine Dumoulin met par écrit, en bon français, avant de les envoyer à l'avocat qui le transmettra à la CNDA.
Les bénévoles de Casas effectuent ce genre de travail depuis quarante ans. Les premières décennies, ils s'occupaient aussi des dossiers des personnes "primo-arrivantes", qui faisaient leur première demande à l'OFPRA.
40 ans d'évolutions
Depuis sa création, en 1984, l'association a connu maints changements. L'un, et non des moindres, a été son déménagement en 2016, depuis ses locaux minuscules mais chaleureux du 13 quai St-Nicolas, vers la Maison de la solidarité sise au 2 rue Brûlée, à deux pas de la cathédrale.
"Des évolutions, il y en a eu beaucoup, confirme la directrice, Pascale Adam, présente depuis plus de trente ans. Il y a eu une vingtaine de nouvelles lois, des personnes de toutes les nationalités sont arrivées en fonction des conflits et des problèmes politiques dans le monde."
La nationalité des personnes venues frapper à la porte de Casas a toujours correspondu aux "points noirs" du globe, aux zones où la paix, la liberté et la justice étaient devenues de vains mots.
A la fin des années 1980, Casas a accueilli des Roumains qui fuyaient Causescu. Dans les années 1990, c'étaient des Rwandais, des Algériens, des ressortissants de pays de l'ex-Yougoslavie, ainsi que des Nigérians, des Bengladais, des Pakistanais, des Sri Lankais…
Actuellement, les demandeurs sont principalement Géorgiens et Afghans. Ou originaires d'Afrique Noire : Guinée, Côte d'Ivoire, ou RDC (République démocratique du Congo). "Il y a aussi pas mal de Russes, qui risquent la conscription depuis le début de la guerre en Ukraine, souligne Pascale Adam. L'évolution peut sembler lente d'une année à l'autre, mais à l'échelle de quarante ans, on voit que ça a complètement changé."
"Nos besoins d'interprétariat ont donc changé aussi. Il y a quelques années, avant la prise de pouvoir en Afghanistan par les talibans, on avait rarement besoin d'un interprète en pashto ou en dari. Maintenant, c'est tous les jours."
L'hébergement, un souci constant
Pourtant, malgré ces changements constants, la directrice de l'association est frappée par "la fidélité de Casas à ses objectifs de départ. Il y a 40 ans, on était déjà sur cette même ligne : venir en aide aux demandeurs d'asile qui ne sont pas pris en charge par l'Etat."
Car l'Etat est officiellement responsable de l'hébergement et de la nourriture des personnes venues demander l'asile en France, en attendant qu'elles obtiennent – ou non – le statut de réfugiés. Car durant ce temps d'attente, elles n'ont pas le droit de travailler. Mais les places d'hébergement proposées, en CADA (centre d'accueil pour demandeurs d'asile), ont toujours été largement insuffisantes face aux besoins réels. Et ceux qui n'ont pas la chance d'en bénéficier vivent souvent dans une très grande précarité, alors même que leur demande, tout à fait légale, est en cours.
En 40 ans, Casas a donc régulièrement interpellé les pouvoirs publics, participé à des manifestations, soutenu des actions devant la préfecture, pour demander la mise à l'abri des personnes qui en avaient le droit, parfois des familles entières avec des très jeunes enfants. Actuellement, l'association développe l'idée d'un "hébergement citoyen", avec des personnes acceptant d'offrir un toit, "pour un certain temps" et de manière encadrée, à des personnes "qui dorment dans des voitures, sous tente, ou dehors."
Des cours de français
Rapidement après sa création, l'association a lancé des cours de français et d'intégration à la vie en France. Un enseignement également assuré par des bénévoles, nombreux, que le contact avec ces élèves de tous âges et d'origines si diverses enrichit profondément.
"Je me demande comment ils font, s'exclamait en 2019 l'une de ces enseignantes, Brigitte Ammel, au micro de France 3 Alsace, admirative devant la régularité et la ténacité de son groupe d'élèves. "Ils dorment souvent dehors. Et dans leur pays, certains étaient médecins, ou avocats. Et maintenant, ils ne sont plus rien."
"Ils ont diverses religions et divers modes de vie, renchérit son collègue Jean-Philippe Platt, rentré dans l'association plus récemment. Il faut s'intéresser à ce qu'ils souhaitent, à la manière dont ils s'adaptent. Et si on peut les aider en leur apprenant le français, à le lire et à remplir des formulaires, on se sent un peu utile. Car la langue, c'est aussi la culture, française, et alsacienne."
"Ici, pour moi, c'est très bien. Et le professeur a beaucoup de patience, il est très gentil pour nous" sourit Leïla Ismailova, une jeune femme originaire d'Azerbaidjan.
"C'est difficile, reconnaît Gladiola Mati, venue d'Albanie avec sa famille. "Mais c'est bien pour nous. Nous sommes ici depuis 18 mois, et très contents d'apprendre le français." D'ailleurs, elle est particulièrement fière de son fils, scolarisé dans un collège, "qui parle déjà quatre langues."
Plus de 200 bénévoles de tous âges
L'association fonctionne avec six salariés, dont trois à mi-temps. Et avec, en moyenne, 200 à 250 bénévoles, certains présents deux heures par semaine, d'autres bien davantage. Leur travail cumulé correspond à celui d'une vingtaine de salariés à plein temps.
En outre, depuis des temps immémoriaux, Casas accueille aussi chaque année plusieurs dizaines d'étudiants stagiaires, principalement avec une formation en Droit, en FLE (français langues étrangères) ou en traduction-interprétariat. Des jeunes généralement très motivés qui, après quelques jours ou semaines d'observation, mettent largement la main à la pâte.
"Je travaille sur l'immigration dans l'Union européenne, et je voulais vraiment mettre mes compétences à disposition", explique Antonin Ruffin, étudiant de Master 2 en Droit européen, qui vient d'arriver pour deux mois. "Beaucoup de personnes qui ont fait des stages ici nous ont dit que c'est une super expérience, très formatrice. L'information passe de promo en promo, on se dit tous : 'Si vous cherchez un stage, Casas c'est vraiment bien.'"
Un petit surplus d'humanité
Cependant, hormis les aspects légaux, juridiques et linguistiques, ce sont les expériences humaines que ces bénévoles jeunes, ou moins jeunes, apprécient tant. Car au fil des ans, et malgré des moyens toujours très réduits, l'association a aussi su inventer et développer des moments conviviaux. Pour "nourrir autre chose en eux qu'une simple réponse matérielle liée à leur précarité et aux besoins de manger, dormir et se vêtir, explique Pascale Adam. Ces personnes ont aussi des idées, des rêves, des choses qu'elles aiment, ou n'aiment pas. Et c'est très important de partager ça, et de continuer à nourrir aussi cette partie-là."
Des bénévoles leur proposent donc des balades, des visites au musée, à la cathédrale, à la mosquée, des sorties au cinéma. Un atelier de peinture le lundi, un "moment beauté" avec coupe de cheveux et brushing, et du yoga, le mardi, et un temps de rencontre pour les personnes isolées le vendredi.
"On souhaite que ces personnes comprennent qu'on les accepte telles qu'elles sont, lance Brigitte Ammel, qui organise depuis quelques années des après-midis parents-enfants le mercredi. Qu'elles puissent vivre un bon moment avec des Français comme nous, et se sentent ici chez elles. Car on s'appelle Casas."
Et Casas, c'est "maisons" en espagnol et en portugais. Un lieu simplement chaleureux, accueillant, pour ceux qui n'ont plus de patrie.
Mais actuellement, l'association se trouve dans une passe extrêmement difficile, puisque des subventions attendues ne lui ont pas été accordées. Pour la soutenir, il est possible de lui faire un don sur son site