Chronique villageoise 6 - Depuis le 11 mars, toutes les visites dans les maisons de retraite sont interdites. A l'Ehpad de Lauterbourg, le personnel tente de trouver des solutions pour rompre la solitude des personnes âgées et garder le lien avec la famille.
 

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A Schleithal (Bas-Rhin), 1500 habitants, il n'y a pas de maison de retraite. La plupart des aînés essaient de vivre le plus longtemps possible chez eux, ce n'est que quand la santé flanche et qu'ils deviennent dépendants qu'ils se résignent (ou pas) à aller finir leur vie loin de chez eux, dans un Ehpad. A cause de la crise sanitaire, ces Ehpad sont aujourd'hui fermés aux visiteurs extérieurs. Un drame pour eux et leurs familles.
 Avant le confinement, Marie-Odile allait voir sa maman presque tous les jours à la maison de retraite de Lauterbourg, à une quinzaine de kilomètres de Schleithal. Aujourd'hui, elle n'a plus aucun contact avec elle. Elle ose à peine appeler le service dans lequel vit sa maman, une ou deux fois par semaine, de peur de déranger le personnel soignant.

Je me fais du souci. Dans quel état je vais la retrouver quand la crise sera terminée ? - Marie-Odile dont la maman est en maison de retraite

Quand je prends des nouvelles de Marie-Odile par téléphone,  il ne se passe pas dix secondes avant qu'elle fonde en larmes : "Je me fais du souci. Dans quel état je vais la retrouver quand la crise sera terminée ? ". Marie-Odile, ses frères et sœur, ont placé leur maman en maison de retraite le 15 janvier 2018. Elle se souvient très précisément de la date. Marie-Odile est célibataire et s'est toujours occupée de ses parents. Après sa retraite, elle est même revenue vivre définitivement chez eux. Soutenue par ses frères, elle s'est occupée de son père atteint d'un cancer et de sa mère chez laquelle les signes d'Alzheimer se faisaient de plus en plus pressants. Elle se souvient de la date exacte du placement de sa mère en maison de retraite parce que son père est décédé 3 jours plus tard, le 18 janvier 2018.

Je leur fais confiance, je sais qu'elle est bien soignée - Marie-Odile

"La plupart du temps, maman ne peut plus parler, donc je ne peux pas l'appeler directement ». La maman de Marie-Odile ne peut plus marcher, ne peut plus se lever de son lit et ne peut plus manger seule. " Maman reste couchée le lundi, le jeudi et le samedi. Le reste du temps, les personnels de la maison de la retraite la sortent du lit avec un soulève-personne pour l'asseoir dans un fauteuil. Je leur fais confiance . Je sais qu'elle est bien soignée ".


L'Ehpad de Lauterbourg est fermé depuis deux semaines maintenant. 81 résidents et le personnel y vivent pour ainsi dire en autarcie. Les repas préparés sur place sont pris dans les chambres et non plus au restaurant de l'établissement. Il n'y a plus que les personnes âgées les plus valides qui font de l'exercice dans les couloirs ou le patio, les autres, restent dans leur chambre, regardent la télévision et lisent le journal, s'ils le peuvent encore.

Nous discutons beaucoup avec eux - Myriam, cadre de santé à l'Ehpad de Lauterbourg

Les nombreux bénévoles qui donnaient un coup main à la maison de retraite ne peuvent plus venir. C'est l'animatrice qui a pris entièrement le relais. Elle ne fait plus d'animation collective mais elle fait du porte à porte au sein de la résidence. Myriam, cadre de santé, m'explique leur quotidien : "A cause des informations autour du coronavirus, certains résidents sont inquiets, stressés. Nous discutons beaucoup avec eux. La psychologue est là, elle va leur parler. Les familles appellent, certaines, tous les jours. J'ai des fiches. Je prends le nom des personnes qui appellent et le numéro de téléphone. Ensuite, l'animatrice va dans les chambres et elle rappelle la famille avec le résident. Très peu de pensionnaires ont le téléphone dans les chambres.
Les familles nous envoient également des photos par mail. Je les imprime et nous leur apportons ou alors les familles nous envoient des lettres par mail que nous lisons aux résidents. Des enfants de résidents déposent des gâteaux ou des friandises à l'entrée. On essaie de tout faire pour ne pas couper le lien. J'incite vraiment toutes les familles à nous appeler. Il ne faut pas qu'elles se gênent ".A Lauterbourg, l'Ehpad a acheté une tablette, la première de l'établissement. L'idée est de pouvoir communiquer en direct et en image avec les familles via WhatsApp. Une première ! La pasteure de la maison de retraite qui vient habituellement faire un culte dans la chapelle tous les jeudis matin, va faire un enregistrement afin que les résidents puissent suivre le culte sur la tablette. Les enfants du collège de Lauterbourg envoient des dessins. Le ton de la cadre de santé est rassurant. "Nous avons le personnel nécessaire pour faire face".

"Nous avons même eu le renfort de deux élèves aide-soignantes et deux élèves-infirmières. Le personnel était inquiet du fait de la pénurie de masques mais depuis vendredi dernier, c'est bon, tout le monde travaille avec des masques, tout le monde est rassuré. "

A Schleithal, confinée elle aussi, Marie-Odile prend son mal en patience. Sa mère souffre d'Alzheimer ou de démence, nul ne sait vraiment. La communication avec elle est difficile : "Dans sa chambre, il y a un carnet. Toutes les personnes qui viennent la voir inscrivent leur nom dedans alors quand je viens je lui demande : " War isch heid kumme ? Qui est venu aujourd'hui ". Je lui fais travailler la mémoire chaque jour .  Je lui donne la première syllabe de chaque prénom de ses enfants et lui fait deviner la suite. Elle arrive à retrouver le nom de chaque enfant, de tous les petits-enfants et de tous les arrière petits-enfants !".

J'ai peur du jour ou j'irai la revoir - Marie-Odile

Quand Marie-Odile appelle la maison de retraite, les infirmières la rassurent en lui disant que de toute façon, sa mère ne se souvient pas de son absence, qu'elle n'a plus aucun repère dans le temps ni dans l'espace, qu'elle va bien. Mais Marie-Odile culpabilise : " je ne peux plus faire travailler sa mémoire, elle va régresser. Je pense qu'elle ne me reconnaîtra plus. J'ai peur du jour ou j'irai la revoir ".
 En attendant, à cause du coronavirus, Marie-Odile ne peut plus se rendre non plus à son club tricot du jeudi après midi pour se changer les idées et retrouver d'autres femmes du village. Alors, elle tricote seule. " Je pèse la laine pour voir ce que je peux encore tricoter. Je viens de finir un pull et avec ce qui me reste, je vais faire un petit gilet ". Elle téléphone beaucoup à sa famille et ses amis. Et demain matin, dès 8h, elle ira faire les courses pour elle et pour son oncle de 79 ans qui vit seul, à l'autre bout du village.



 
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