Ecole de femmes peintres au 19e siècle au nord de l’Alsace, encore de nouvelles découvertes

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Sujet Rund Um en alsacien sous-titré ©France Télévisions

De 1896 à 1918, des séminaires pour femmes peintres ont eu lieu régulièrement à Obersteinbach (Bas-Rhin). Un pan d’histoire remis en lumière depuis 2019 par des passionnés d’histoire locale, qui vont de surprise en surprise. Leurs découvertes prennent même une dimension internationale.

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Le cadre de vie des 230 habitants d’Obersteinbach, au nord de l'Alsace, est somptueux. Un village tout en longueur, surmonté de magnifiques rochers et de ruines de châteaux en grès rose. La forêt trace la frontière avec l’Allemagne toute proche. Un paradis pour les randonneurs et les cyclistes.

Pourtant, de la toute fin du 19e siècle jusqu’à l’issue du premier conflit mondial, en cette époque où l’Alsace était allemande, la paisible petite commune loin des grands axes se transformait régulièrement en un haut-lieu culturel. Deux fois l'an, des femmes peintres originaires de toute l'Allemagne y venaient pour peindre. 

Elles s’installaient avec chevalet et toile en forêt, dans les prés ou les champs, pour reproduire du bout de leur pinceau la nature alentour. Mais aussi les paysans au travail – souvent au grand étonnement de ces derniers.

Un lieu d'émancipation

Cette “Malerkolonie” (colonie de peintres) bisannuelle était organisée par Franz Hein, enseignant à l'académie de Karlsruhe, puis de Leipzig dès 1908. Lui-même pratiquait autant la peinture à l’huile que la gravure sur bois et la lithographie. Souhaitant sortir de son atelier urbain, il avait sillonné les Vosges à la recherche d’un lieu inspirant, et jeté son dévolu sur Obersteinbach. Et là, durant une bonne vingtaine d'années, il a proposé ces séminaires à des femmes désireuses d’apprendre toutes les techniques possibles, du crayon à l’aquarelle.

"Les gens du village les appelaient 'Molmànsellele' (demoiselles qui peignent). C'était plus distingué que l'allemand 'Malweiber' (bonnes femmes qui peignent)" raconte Christelle Ullmann-Zerafa, cheville ouvrière de l'association Patrimoine d'ici, qui a redécouvert ce pan d'histoire longtemps oublié. "Ces femmes voulaient exister par elles-mêmes, sortir de leur vie bourgeoise, penser, cuisiner et éduquer leurs enfants différemment. Elles souhaitaient aller à l'université pour apprendre la peinture, mais à l'époque ce n'était pas encore toléré."

Les "colonies de peintres" d'Obersteinbach leur offraient donc un bel espace de liberté et d'émancipation. Elles arrivaient en calèche depuis la gare de Woerth puis, dès 1899, de celle de Lembach. Elles s'installaient à l'hôtel Fricker-Sensfelder (aujourd'hui hôtel-restaurant Anthon), et parfois chez l'habitant. Elles allaient à l'épicerie acheter du papier et des cartes postales. Leurs journées étaient créatives, leurs soirées, joyeuses et parfois studieuses, agrémentées par des conférences de Franz Hein.

D'abord surpris de se voir ainsi immortalisés sur la toile tandis qu'ils vaquaient à leurs occupations quotidiennes, les habitants d'Obersteinbach se sont rapidement habitués à cette présence artistique inattendue. Au fil des ans, des amitiés se sont tissées. Et ces femmes, debout dans les champs de pommes de terre vêtues de jolies blouses et de longues jupes, ont largement marqué les esprits.

Témoin, cette anecdote relatée par Christelle Ullmann-Zerafa :"Mon grand-père racontait que son ami Baldauf, le forgeron, disait toujours : 'Mes cinq filles me ruinent ! Elles me réclament de nouveaux chapeaux chaque printemps et chaque automne !' C'était certainement l'influence de ces belles citadines."

Une première étape en 2019

Quand l'association obersteinbachoise Patrimoine d'ici a commencé à s'intéresser de près à toute cette histoire, elle ne disposait que de quelques anecdotes et souvenirs rapportés, ainsi que d'un petit livre autobiographique de Franz Hein. S'y sont bientôt ajoutées quelques peintures originales, portraits d'anciens habitants et vues du village, retrouvées dans une cave.

Puis des recherches sur Internet et des visites de musées en Allemagne ont permis, dès 2019, de monter une première petite exposition. Et de créer un circuit balisé autour du village, avec des panneaux qui reproduisent quelques tableaux face au décor qui les a vus naître.

De nouvelles découvertes

Ensuite, peu à peu, d'autres tableaux et noms de femmes peintres ayant fréquenté les "colonies" d'Obersteinbach sont ressorti de l'ombre. Parmi elles, Dora Zippelius, originaire de Karlsruhe (Bade-Wurtemberg), Margarethe Kallmorgen née à Heidelberg (Bade-Wurtemberg) ou Martha Kropp, d'Aix-la-Chapelle (Rhénanie du Nord-Westphalie). Mais aussi quelques Alsaciennes, dont Amélie de Dietrich, et Sabine Hackenschmidt, devenue plus tard responsable du Cabinet des estampes. "Ici, elles ont appris à peindre. Et certaines de leurs œuvres étaient déjà plus modernes que celles de leurs enseignants masculins" souligne Christelle Ullmann-Zerafa.

D'autres découvertes ont pu être faites grâce à Franziska Schilka-Oehme, arrière-petite-fille de Franz Hein, que l'association avait invitée pour sa première exposition en 2019. "Elle s'est beaucoup réjouie de venir. Elle nous a immédiatement raconté que dans la maison familiale près de Leipzig, sa grand-mère lui montrait souvent un tableau en lui disant : 'Kind (enfant), ça c'est la route vers Obersteinbach', mais elle ignorait où c'était."

Et deux années plus tard, deux albums photos du début du 20e siècle ont révélé leurs secrets : plus de 250 clichés d'Obersteinbach et des alentours, montrant avec Franz Hein et sa famille, d'autres collègues peintres, et surtout les élèves. "A partir de là, on a vraiment pu savoir comment ça s'est passé, pas simplement en nous appuyant sur des narrations, mais grâce à d'authentiques documents visuels", se réjouit Bernhard Bonkhoff, membre allemand de l'association Patrimoine d'Ici.

"On voit les femmes au travail, autour de la grande table de l'hôtel Fricker-Sensfelder, en train de se peindre mutuellement, mais aussi dehors, dans la nature, avec chevalet et palette." En parallèle, l'association a aussi pu remettre la main sur le livre d'or de l'hôtel d'Obersteinbach, dans lequel les artistes laissaient des poèmes, des croquis, et notaient certaines anecdotes. 

60 nouveaux tableaux dans un grenier

Mais les membres de Patrimoine d'ici n'étaient toujours pas au bout de leurs surprises. En effet, fin 2023, Franziska Schilka-Oehme a retrouvé dans le grenier de la vieille maison familiale de Leipzig, 170 tableaux inédits de son arrière-grand-père.

"Et une bonne soixantaine d'entre eux représente la forêt, les rochers, les ruines et les arbres autour d'Obersteinbach, jubile Christelle Ullmann-Zerafa. Un vrai miracle. Pour nous, c'est un cadeau inestimable." 

Seul petit hic : ces précieux originaux ont souffert de ces longues décennies passées sous la poussière et les toiles d'araignées. Dépéché sur place avec Richard Menzel, un ami photographe, Bernhard Bonkhoff a découvert "des tableaux à l'huile brun sombre" dont les couleurs avaient disparu sous le vernis qui s'était assombri. "On voyait tout comme à travers une vitre teintée."

Mais en les numérisant, Richard Menzel a réussi à leur restituer leurs couleurs d'origine. Ses photos, imprimées sur toiles, donnent vraiment l'illusion de se retrouver devant les tableaux eux-mêmes. "Retrouver ces oeuvres oubliées, c'était comme d'entrer dans une grotte au trésor, ajoute Bernhard Bonkhoff. Et maintenant, par le truchement de la photo, elles sont redevenues accessibles à tous."

Deux nouvelles expositions 

Les reproductions de ces œuvres inédites sont actuellement exposées en deux lieux d'Obersteinbach, l'église protestante et une grange. Certaines sont aussi accrochées en pleine forêt, le long de la piste cyclable qui relie le village à la commune allemande de Ludwigswinkel (Palatinat).

Un lieu hautement symbolique, car ici, durant la guerre froide et jusqu'au début des années 1990, s'étendait un vaste camp militaire américain.

"Il y avait beaucoup de bâtiments, et tout le site était sillonné de routes, illuminées de jour comme de nuit" se souvient Christelle Ullmann-Zerafa.

Aujourd'hui, le camp a disparu, et ces routes font le bonheur des adeptes de la petite reine. Mais pour l'association, présenter quelques tableaux bucoliques de Franz Hein précisément à cet endroit est une manière de "souligner l'importance de la liberté et de la paix, surtout actuellement, où elle semble à nouveau grandement fragilisée."   

Plusieurs expositions en Allemagne

De son côté, la commune de Ludwigswinkel participe à cet engouement pour la "colonie des peintres" et propose cinq petites expositions sur le même thème, quoique Franz Hein et ses élèves ne soient jamais venus jusque-là pour peindre. "Depuis près de 40 ans, nos deux villages sont jumelés, explique Inge Jantzer, l'une des habitantes. Nous faisons beaucoup de choses ensemble. Et puis, ces femmes qui peignaient à Obersteinbach venaient d'Allemagne. Cela fait donc belle lurette que Français et Allemands ont des activités artistiques communes."

En outre, à Grötzingen, un quartier de la ville de Karlsruhe (Bade-Wurtemberg) où Franz Hein avait séjourné, se tient actuellement une exposition sur "la vie privée de Franz Hein", qui montre d'autres tableaux et aquarelles parmi les 170 récemment retrouvés à Leipzig.

Encouragée par ces découvertes et l'intérêt grandissant pour cette histoire, Patrimoine d'ici ne compte pas s'arrêter en si bon chemin. Le troisième ouvrage sur ce thème, toujours sous la plume de Bernhard Bonkhoff, devrait sortir de presse prochainement.

Les membres de l'association voudraient aussi élargir leur circuit balisé, et placer des panneaux reproduisant certaines œuvres tout au long de la vallée du Steinbach, qu'ils aimeraient bien rebaptiser la "vallée des peintres". Et ils rêvent de pouvoir, un jour, créer un petit musée pour présenter de manière pérenne l'ensemble des tableaux originaux restaurés.

  •  les deux expositions à Obersteinbach (dans l'église protestante et dans une grange) sont ouvertes toutes les jours de 10h à 18h jusqu'au 30 novembre 2024. Entrée gratuite
  • les expositions à Ludwigswinkel sont en extérieur, ainsi que dans l'église St-Ludwig (avec quelques reproductions d'oeuvres de femmes peintres)
  • l'exposition sur "la vie privée de Franz Hein" est visible chaque dimanche de 14h à 18h jusqu'au 17 novembre à Karlsruhe-Grötzingen, Schultheiss-Kiefer-Strasse 6

 

 

 

 

 

 

 

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