À une vingtaine de kilomètres à l'ouest de Strasbourg, Neugartheim compte à peine un millier d'habitants. Le village est en plein cœur du Kochersberg, terre agricole par excellence : maïs, blé, et un peu d'élevage. Mais depuis quelques années, un ancien poulailler fait l'objet d'une drôle de mutation : désormais, il ambitionne de devenir un haut lieu de l'art contemporain.
Le poulailler a été rebaptisé "La serre". En plein champ, un hangar qui n'avait d'autre prétention que d'être fonctionnel, utilitaire. Et pourtant, c'est ici que Dorothée Steinmetz pose les premiers jalons d'une odyssée culturelle hors norme.
"J'ai passé les vingt premières années de ma vie à Neugartheim, raconte-t-elle. Et les vingt suivantes à Paris. C'est là-bas, à 25 ans, que j'ai rencontré la culture. À 30 ans, j'ai été atteinte d'une sorte de boulimie culturelle. Je ne pouvais plus m'arrêter. Comme pour rattraper tout ce que je n'ai pas pu avoir dans mon enfance".
C'est comme cela que Dorothée Setinmetz a décidé de ramener la culture chez elle, dans le village où elle a grandi, et mieux encore, dans l'ancien poulailler exploité par ses parents. "La culture m'a fait grandir, elle permet de découvrir des aspects insoupçonnés du monde. J'avais envie d'offrir cette chance que je n'ai pas eue".
"La Serre", on y parle de culture… Mais pas seulement
Voilà comment est né le projet "La Serre", troisième édition cette année. Des expos en accès libre, mais aussi des ateliers photo, une soirée concert, une autre à observer les étoiles. Sans oublier les food trucks pour la convivialité. L'idée est de mixer les publics : ceux qui ont l'habitude des sorties culturelles, et ceux qui veulent essayer, sans avoir à pousser la porte d'un musée ou d'une galerie.
C'est précisément cette diversité qui attire l'artiste Marianne Villière. "On est loin de l'ambiance aseptisée des espaces d'art contemporain. Dans cet ancien poulailler, il y a une convivialité dont on a bien besoin en ce moment. J'y présente un travail effectué avec les compagnons d'Emmaüs de Scherwiller, des personnes en grande précarité, et je trouvais que dans le climat xénophobe actuel, et alors que le vote RN est très présent, particulièrement en milieu rural, c'est important d'ouvrir un espace de dialogue comme celui que peut permettre La Serre".
L'art pour parler du monde qui nous entoure, et comme lien social, en ville comme à la campagne. "Il y a 10 millions de visiteurs chaque année au Louvre, dans un lieu unique d'une grande ville. Je me dis que si on se rapproche des gens, aux quatre coins des campagnes françaises, ça devrait drainer du monde ?" Dorothée Steinmetz rêve tout haut de rendez-vous culturels itinérants, un peu comme une fête foraine qui reviendrait chaque année dans les villages.
Pour cela, le soutien des élus est indispensable. Celui des habitants aussi. "Je n'ai pas envie de m'imposer. Mais plutôt d'intégrer les projets parmi l'existant, en tenant compte de l'environnement et des populations. Parler à un public de scolaires, ou des résidents d'Ehpad, ou encore des personnes handicapées. C'est la valorisation d'un territoire. "
La culture pour tous, et avec tous
Le projet de Dorothée Steinmetz est soutenu depuis ses débuts par le FRAC, dont l'une des missions est justement d'amener l'art hors des grands centres urbains. L'intention est belle, la mise en œuvre plus compliquée. "Nous devons faire attention à l'état de conservation des œuvres que nous prêtons, explique Anne-Virginie Diez, historienne de l’art et chargée de la diffusion et des projets territoriaux au FRAC Alsace. Dans l'ancien poulailler de Neugartheim, nous ne pouvons pas exposer d'œuvres trop fragiles. Cette année, nous proposons une œuvre video, nous réfléchissons à d'autres formes d'intervention à l'avenir".
Malgré ces précautions nécessaires, le FRAC y voit une excellente opportunité de désacraliser l'art contemporain "Il peut encore faire peur" reconnait Anne-Virginie Diez. Mais nous sommes là pour accompagner les porteurs de projets pour le choix des œuvres, leur mise en scène, la communication, etc."
"La Serre" pour sa part, compte bien étendre ses racines partout ou cela sera possible, et notamment dès septembre prochain, à Morsbronn Durrenbach, dans le hangar d'une ferme toujours en exploitation.
Mais en cet été 2024, c'est d'abord à Neugartheim que cela se passe : du 19 juillet au 4 août, un programme qui tient en trois mots. Culturel, rural, local.