Précipitations répétées, pluies diluviennes, averses à caractères orageux, ce printemps en Alsace est-il plus pluvieux que les années précédentes ? Et où va toute cette eau ? Un météorologue nous apporte des éléments de réponse.
Comme Noé l’a peut-être dit face au déluge ou le maréchal Mac Mahon lors des grandes crues de la Garonne en 1873, nous sommes nombreux à nous exclamer "Que d’eau, que d’eau !".
En Alsace, surtout dans le Bas-Rhin, nous avons une impression de pluies en continu et d’inondations effrayantes ces derniers mois. Mais le regard des observateurs spécialisés n’est pas strictement le même que celui du commun des mortels. Chiffres et relevés à l’appui.
" En Alsace, le mois de mai est toujours le plus pluvieux de l’année, explique le météorologue Christophe Mertz de Atmo-risk, c'est lié au climat semi-continental. Au printemps, nous avons encore un peu d’air froid de l’hiver et les premières bouffées de douceur ou chaleurs, mais le mois de mai est rarement très ensoleillé en Alsace".Rien de particulièrement surprenant donc, à ce stade, on parle de "variabilité climatique normale."
Une variabilité visible sur l’histogramme des précipitations d'infoclimat du mois de mai à Strasbourg-Entzheim, entre 1941 et 2024. On y observe, sur les quarante dernières années, des variations parfois très importantes, avec notamment un pique de précipitations en 1983, puis à nouveau en 2000 et 2010 avant ce mois de mai 2024.
À remarquer également sur ce schéma, la nette différence entre les quarante premières années de relevés et les quarante dernières années. En effet, entre 1941 et 1978, les précipitations étaient globalement limitées à 100 mm au mois de mai. Entre 1983 et 2024, ces valeurs ont été dépassées une dizaine de fois.
"Lorsque les océans se réchauffent, il y a davantage d’évaporation, donc plus d’eau dans l’atmosphère, disponible pour les précipitations, précise Christophe Mertz, d’où des séquences humides exacerbées, à cause de cette humidité supplémentaire en altitude. Des températures de l’air plus élevées génèrent aussi des orages plus fournis et une intensité de pluie plus importante."
Quelles conséquences et pour qui ?
Les victimes des fortes pluies qui durent et des inondations sont nombreuses, dans différents domaines d'activité. Pour les agriculteurs, ce sont des champs inondés et des cultures perdues. Pour les éleveurs, impossible de faire paître les troupeaux dans les prairies.
À Forstfeld et près de Lauterbourg dans le nord du Bas-Rhin, les agriculteurs et éleveurs se plaignent que l’eau ne reparte pas, car les sols sont gorgés. Dans le BTP, selon la Fédération française du bâtiment, des chantiers sont suspendus et prennent du retard dans la livraison. Pour les habitants touchés, ce sont des maisons, caves et jardins inondés. Impactées également, les animations sportives programmées en Alsace, comme l'Utmb, le NL Contest ou les internationaux de tennis à Strasbourg dont certaines épreuves ont dû être différées.
À noter aussi, d'importantes différences de précipitations entre le nord et le sud de l'Alsace. Le Haut-Rhin en a subi beaucoup moins que le Bas-Rhin.
Mais où va toute cette eau ?
Quand les pluies abondantes tombent au printemps, c'est le moment où la végétation est en pleine croissance, c’est donc elle qui capte l’eau. Mais désormais, la nature étant déjà beaucoup plus luxuriante, les précipitations profitent de nouveau davantage aux nappes phréatiques.
Sur le site de l'Aprona, l'observatoire de la nappe d'Alsace, dans nombre de stations, le niveau est estimé "correcte" sur les douze derniers mois. On y observe une lente augmentation depuis l'automne 2023 et une nette remontée au mois de mai. Dans le Sundgau, où il a moins plu, le niveau n'est pas encore satisfaisant.
Pour le BRGM, Bureau de Recherches Géologiques et Minières, "l’état des nappes est satisfaisant sur une grande partie du territoire, notamment sur les nappes réactives, du fait d’une recharge 2023-2024 excédentaire. La situation est défavorable, avec des niveaux bas à très bas, sur la nappe inertielle du Sundgau (sud Alsace). La période de recharge devrait se terminer en avril ou mai, selon les cumuls de pluie et la réactivité de la nappe. Les épisodes de recharge devraient ensuite rester ponctuels et peu intenses, sauf événements pluviométriques importants."
Bien qu'invisible, la nappe phréatique est fragile. Elle tient un rôle majeur dans notre approvisionnement en eau potable en Alsace, tant pour les habitants que pour l'agriculture et l'industrie. À chacun à son niveau de la préserver autant que possible.