Tous les trois ans, durant une semaine, la famille Muhl ouvre son restaurant à Bietlenheim, près de Brumath. Pour le couple d'agriculteurs propriétaire de l'établissement centenaire, il s'agit de conserver la licence IV, mais aussi de pouvoir transmettre un jour "Le Cerf" à l'un de leurs petits-enfants.
"Une tête de veau, et deux jambonneaux !" Des ordres donnés en cuisine comme celui-ci, cette dernière semaine de juin en est remplie. À côté de la cour de la ferme, transformée en terrasse couverte pour l'occasion, toute la famille œuvre dans la cuisine, sous les yeux des clients. Caroline Muhl, la fille des propriétaires, préposée à la préparation des assiettes froides, s'applique à reproduire ce qui figure sur les photos accrochées au mur, au-dessus d'elle. "J'ai grandi dans cette ambiance, avec ma soeur Sandra. J'ai toujours connu cela, d'abord tous les ans, puis tous les trois ans. J'ai même pris une semaine de congés pour pouvoir être là !"
Sa mère, Evelyne Muhl, prend les réservations par téléphone. "Les gens n'arrêtent pas d'appeler... Certains nous demandent depuis des semaines à quel moment on ouvre !" Midi et soir, la famille sert parfois plus de cent couverts. Au menu : harengs, tête de veau, jambonneau, tarte au fromage blanc maison... Une carte inchangée depuis des décennies. "Depuis le covid, poursuit Evelyne, nous ouvrons en été, parce qu'en 2021, nous n'avions pas pu le faire en janvier, comme d'habitude. Nous avions alors attendu jusqu'en juillet, et nous avons eu beaucoup de succès, avec la terrasse."
Durant une semaine, l'unique restaurant de ce village de 320 habitants devient un vrai point de rendez-vous. Patrick Kieffer, maire de la commune et responsable temporaire de l'épluchage des pommes de terre - car gendre d'Evelyne et d'André - explique : "C'est un moment privilégié pour moi. Je discute tranquillement avec mes administrés autour d'une bière, les choses passent mieux et je les rencontre autrement que lorsqu'ils déposent des réclamations en mairie". Le village même s'implique quelque peu dans l'ouverture temporaire du Cerf, à travers la mise à disposition d'un chapiteau et de tables par l'association Bietlenheim animation.
Un restaurant centenaire
Mais la terrasse n'est pas la plus grande attraction du restaurant. Il faut entrer dans la partie historique, centenaire, pour en appréhender l'ambiance. Ici, des doubles bancs centenaires invitent les clients à prendre place, pour commander des boissons qui seront servies sur un comptoir en bois, contenant un système réfrigérant d'époque, que l'on remplissait de glace, et recouvert d'une épaisse plaque de marbre blanc. Au mur, trônent des photos en noir et blanc des fondateurs de l'établissement : "Mes arrière-grands-parents", nous explique André Muhl. Sur une carte postale ancienne, on distingue les membres de sa famille, devant le restaurant ouvert, en 1926, "lors du dernier messti de Bietlenheim".
Le travail, André connaît bien. Agriculteur et passionné de chevaux, il a voulu se concentrer sur l'expansion du domaine agricole familial plutôt que sur la restauration, dans les années 1960. Avec sa jeune épouse Evelyne, ils se sont ainsi lancés à bras-le-corps dans la culture de pommes de terre, de céréales et de légumes. Mais ils ont gardé leur établissement familial en l'état comme un trésor, ouvrant ses portes au public temporairement pour conserver leur précieuse licence IV. Aussi, dans l'espoir qu'un jour, l'un de leurs petits-enfants reprenne le restaurant. En attendant, la prochaine ouverture du Cerf est prévue à l'été 2027.