Le chat est l’animal de compagnie préféré des Français. Au moins une personne sur cinq en possède un. En s’attaquant à la petite faune sauvage, cette importante population de prédateurs engendre une diminution non négligeable de la biodiversité. En Alsace, les associations de protection animale tirent la sonnette d'alarme.
Dans le classement des animaux de compagnie préférés des Français, le chat domestique occupe sans doute la plus haute marche du podium. Ils sont un peu plus de 14 millions selon les dernières évaluations et les chiffes sont en constante augmentation. Depuis une vingtaine d’années, le félin est passé devant son rival canidé, dans une proportion d’environ deux chats pour un chien.
C’est que le chat a tout pour lui : discret, indépendant, esthétiquement irréprochable, pas trop encombrant, rigolo parfois. Sur les réseaux sociaux, les vidéos ont rendu populaire ce petit animal facétieux, au point d’en faire une star. On ne peut plus s’en passer.
Oui mais voilà, comme pour toute médaille, il y a un revers. Cette importante population de chats serait à l’origine d’une diminution de la biodiversité. Une diminution jugée non négligeable, voire préoccupante, par les associations de protection des animaux et les naturalistes. La LPO (la ligue de protection des oiseaux) estime à 75 millions le nombre d’oiseaux tués par des chats en une année, en France. Ce chiffre ne sort pas d’un chapeau mais d’une étude menée par le très sérieux muséum national d’histoire naturelle en collaboration avec la LPO et la SFEPM (société française pour l’étude et la protection des mammifères).
Au centre de soins de Rosenwiller, la plupart des chauves-souris qui sont recueillies sont attrapées par des chats.
Bruce Ronchi, naturaliste
A la LPO Alsace on connait bien le problème. En 2020, plus de 18% des animaux accueillis dans ses centres de soin avaient subi une prédation exercée par le chat. En grande majorité des oiseaux, moineau domestique, merle noir, tourterelle turque par ordre de "préférence". Le reste est constitué de petits mammifères, chauves-souris, musaraignes, petits carnivores. "Au centre de soins de Rosenwiller, la plupart des chauves-souris qui sont recueillies sont attrapées par des chats", souligne le naturaliste Bruce Ronchi, bénévole au GEPMA (étude et protection des mammifères sauvages d’Alsace).
Le naturaliste rappelle que le chat domestique est une espèce à part entière, domestiquée par l’homme il y a des des millénaires. "Ceux qui sont retournés à l’état sauvage ne sont pas appelés des chats sauvages, ce sont des chats errants. Le chat sauvage est territorial et solitaire alors que le chat domestique peut vivre en bande". Cette distinction n’empêche pas le chat domestique, comme son cousin qualifié de sauvage, d’être un super prédateur. Le chat domestique n’a rien perdu de son instinct de carnivore ni de ses capacités physiques. C'est un chasseur redoutable. Rien n'échappe à ses griffes acérées ni à ses coups de crocs décisifs. On ne peut ni lui en vouloir ni lui reprocher.
Un constat alarmant
"Le problème c’est la densité. La pression de prédation sur la petite faune sauvage est beaucoup plus importante que celles des prédateurs naturels. Le territoire d’un chat domestique s’étend au maximum sur 3 hectares, celui du chat sauvage ou d’un animal comme la fouine sur des dizaines, voire des milliers d’hectares", fait remarquer Vincent Noël, le président de l’association BUFO, association vouée à l’étude et la protection des amphibiens et reptiles d’Alsace.
"Il est souvent vu comme utile, dans la chasse qu’il fait aux souris d’habitation par exemple, mais il fait énormément de dégâts. L’étude du muséum d’histoire naturelle montre que les reptiles représentent 10% de la prédation, alors que les lézards des murailles sont indispensables dans les jardins. Ils mangent les limaces et, en tant que marqueurs écologiques, sa disparition est le signe d’un déséquilibre écologique", ajoute le spécialiste alsacien des lézards qui ne décolère pas, tout en concédant qu’il existe d’autres menaces autrement plus inquiétantes. "Les jardins stériles trop bien nettoyés, la disparition des vieux murs par exemple mais cette menace est une menace de plus et peut-être celle de trop".
Le recensement des proies auxquelles s’attaque le chat domestique fait apparaitre les petits mammifères comme les grands perdants. Ou plutôt les grands gagnants si l’on considère qu’ils représentent 68% des animaux capturés par le chat domestique : musaraignes, mulots, souris, écureuils, hérissons, tout est bon pour le chat. Du moment que le poids de sa proie n’excède pas les 300 ou 400 grammes. Les oiseaux arrivent en deuxième position, avec 22%. Et la pression ne fait que s’accentuer. La prédation par le chat sur les populations d’oiseaux a doublé en 15 ans.
À l’échelle européenne, l’impact du chat se fait sentir directement au moins sur 13 espèces indigènes d’après l’ISPRA, dont 5 espèces en danger critique d’extinction, 5 espèces en danger et 3 espèces vulnérables sur la liste rouge de l’UICN.
Un constat alarmant qu’il ne faut pas nier mais qui est à relativiser, tempère quand même Bruce Ronchi : "C’est un facteur important de la diminution de la biodiversité mais pas l’unique. Il y a le changement climatique, la modification des paysages due à l’agriculture intensive, les pollutions industrielles, etc." Pour l’association mulhousienne de refuge pour chats, Patte de velours, pas de doute, on cherche un bouc-émissaire facile. "Si les oiseaux disparaissent aujourd’hui, ce n’est pas à cause des chats. C’est la main de l’homme qui a tout déséquilibré. Il faudrait passer à la stérilisation obligatoire pour qu’il y ait moins de chats errants, ceux-là chassent pour se nourrir", s’emporte la responsable du refuge.
Une cohabitation possible
La stérilisation des chats est préconisée mais non obligatoire en France. Ce serait pourtant un moyen efficace de combattre la prolifération des chats errants. Le directeur de la SPA de Mulhouse, Georges Azar, en appelle à la responsabilité des propriétaires. "La régulation de la population féline aurait un impact favorable sur la préservation de la biodiversité. Mais il n’y a aucune obligation en France contrairement à d’autres pays". Vincent Noël s’étonne, lui, que le chat dispose d'un statut particulier qui lui permet beaucoup de libertés : "Il est autorisé à faire ce qu’on ne tolèrerait pas d’un chien. Comme par exemple divaguer dans le jardin du voisin, considéré comme un terrain de chasse". Le début de solution au problème pourrait commencer par prendre conscience de l’impact réel de son animal de compagnie préféré et réfléchir avant d’en adopter un, selon le naturaliste Bruce Ronchi.
Si on joue avec lui il va être moins tenté par le jeu de la chasse.
Bruce Ronchi, naturaliste
La cohabitation des chats domestiques et de la petite faune du jardin est possible grâce à des mesures assez simples, rappelle la LPO. La solution la plus ludique consiste à jouer avec son chat, tout simplement. "Si on joue avec lui il va être moins tenté par le jeu de la chasse. C’est un animal qui sera stimulé et donc moins poussé par le désir d'attraper des proies", explique Bruce Ronchi. L'autre solution plus radicale est de ne pas le laisser sortir au moment où les oiseaux, par exemple, sont les plus actifs, c'est-à-dire tôt le matin et en début de soirée. Daniel Nasshan, le coordinateur LPO du secteur mulhousien, préconise une méthode plus douce : "On peut se faire son répulsif maison en mélangeant à un litre d'eau une dizaine de gouttes d'huile essentielle d'eucalyptus et autant de jus de citron. A vaporiser tous les jours sur les zones à protéger. Le chat s'en écartera". Normalement. Ce n'est pas non plus une science exacte, à chacun d'expérimenter ses recettes sur le terrain.
Il en existe bien d'autres, comme le collier à clochettes ou l'installation de protection à proximité des nichoirs. Elles sont détaillées sur le site de la LPO. Le mieux serait aussi de ne pas abandonner son chat dans la nature. La France détient malheureusement le triste record européen en la matière...