La troupe du Théâtre alsacien de Cernay vit un énorme chamboulement. Après 52 ans dans les mêmes locaux, elle doit déménager, et trouver ailleurs de nouvelles scènes où se produire. Et pour certains, ce changement est un véritable crève-cœur.

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Dans la grande salle du Cercle familial Saint-Etienne de Cernay, le rideau est retombé pour la dernière fois. Le propriétaire, le conseil de fabrique de la paroisse Saint-Etienne, ne peut pas faire face aux frais d'indispensables travaux de rénovation, et préfère vendre.

Mais pour la troupe du TAC, le Théâtre alsacien de Cernay, cette décision représente un bouleversement en profondeur. Car depuis sa création en 1969, elle occupe ces lieux et se produit sur cette scène, au printemps et à l'automne.

Depuis l'annonce de la nouvelle, la municipalité a trouvé pour le TAC un lieu suffisamment vaste pour entreposer ses décors et faire ses répétitions. Mais pour ses futures représentations, la troupe doit désormais trouver d'autres scènes qui accepteront de l'accueillir… ailleurs que dans sa propre commune.

Partir, c'est mourir un peu

Avec ses moulures, ses hautes fenêtres, son parquet et sa grande scène, la spacieuse salle du Cercle familial était presque un lieu de vie pour la troupe du TAC. Plus d'un demi-siècle de souvenirs et de temps forts s'y rattachent. La joyeuse équipe y montait et y jouait deux pièces de théâtre par an. Et chaque année, y faisait rire aux larmes des milliers de spectateurs.

Des larmes que Guiguite Breinlen, l'une des membres fondatrices de la troupe, peine à retenir aujourd'hui. Mais cette fois, ce ne sont pas des larmes de joie. "Ça me fait très mal" explique-t-elle. "Cette salle a toujours fait partie de nous."

Son mari, Marcel Breinlen, président d'honneur du TAC, est partagé entre tristesse et colère : "On a commencé en 1969-70, on a joué ici 98 pièces. Et là, on nous chasse. C'est une honte."  

Plusieurs semaines de déménagement

Depuis août, la troupe est donc en train de ranger et déménager son matériel. "On a travaillé tout un mois, trois jours par semaine, à trois ou quatre par jour" précise Jacky Derrendinger, responsable de l'équipe technique et acteur. "On a démonté toutes les lumières, enlevé tous les câbles, descendu tous les décors…"

Car au fil des ans, la troupe avait vraiment pris possession des lieux. "Lumière, câbles, régie, on avait tout installé nous-mêmes. Et on créait nos propres décors dans une menuiserie."

Derrière la scène, les coulisses leur offraient plusieurs grands espaces de rangement, de même que le grenier. "On pouvait tout laisser sur place" explique Jean-Pierre Fellmann, trésorier et acteur. "Tous nos panneaux, nos décors, on les stockait là-haut, dans la mezzanine. Et on avait une autre pièce pour les meubles et les accessoires."

Lui aussi a du mal à cacher son émotion : "C'était notre heimet, notre chez-nous. J'ai passé 52 ans dans ces lieux, six mois par an. Pour répéter, faire la technique, monter les décors, gérer la sono… D'un coup, devoir partir et recommencer à zéro, c'est douloureux… en tout cas, pour un vieux comme moi."

Depuis trente ans, le maquillage était réalisé par Cathy Derrendinger. "Deux saisons par an, je devais rajeunir les gens, les vieillir, les colorer, les peindre en noir" se souvient-elle. "C'était toujours la bonne ambiance, la rigolade."

Mais aujourd'hui, la petite pièce qui lui servait de loge est vide. "Ici, au mur, on avait un magnifique miroir, bien éclairé" détaille-t-elle. "J'avais des chaises, et tous mes outils de maquillage. C'était un lieu convivial, et c'est triste de devoir l'abandonner."

En rangeant ses derniers pinceaux dans sa mallette, elle se dit "un peu émue". Car désormais, leur théâtre sera itinérant, et elle devra transporter son matériel d'un lieu à l'autre. De même qu'il faudra concevoir des décors plus légers et maniables, à déménager en camion d'une scène à l'autre.

Un lieu riche de souvenirs

Avant de refermer définitivement la porte, Marcel et Guiguite Breinlen s'imprègnent une dernière fois de l'atmosphère du lieu, de ses odeurs, de ses images. Les souvenirs affluent, et soudain, leurs yeux pétillent : "Ceux qui ne jouaient pas faisaient des blagues aux acteurs" raconte Marcel. "Dans une pièce, je devais me mettre un pot sur la tête. Mais un jour, les autres l'avaient rempli d'eau et de fleurs. Je m'en suis coiffé malgré tout, l'eau a dégouliné, et la salle a explosé de rire."

"Parfois, lors d'une scène de départ en vacances, on mettait des briques dans la valise" renchérit Guiguite. "Celui qui devait l'empoigner pensait qu'elle serait toute légère, et soudain, il n'arrivait même pas à la soulever."

Les acteurs qui devaient manger en scène n'étaient pas épargnés. "On mettait un long clou dans la saucisse, pour qu'ils n'arrivent pas à la couper" s'amuse Marcel. Et Guiguite rit encore d'une soupe, sur laquelle nageaient plein de petits bateaux en papier. "On avait toujours une super ambiance, il faut le reconnaître. Et beaucoup d'entraide."

Un nouveau lieu à apprivoiser

Tout le matériel déménagé est mis à l'abri dans une ancienne salle de judo, au 45 rue de Wittelsheim, un lieu déjà ancien, propre et spacieux qui, à l'origine, abritait des abattoirs.

Tout autour de la salle s'entassent canapés, fauteuils, toiles peintes et châssis, qu'il faudra ranger plus rationnellement. "On était surpris de tout ce qu'on avait stocké" reconnaît Arnaud Luttringer, membre de la troupe depuis une vingtaine d'années. "C'est aussi l'occasion de faire du tri. On va se mobiliser ces prochains soirs et ces prochains week-ends, avec les plus jeunes membres de la troupe, car les anciens se fatiguent un peu. On fera ça calmement, et on va préparer la nouvelle pièce."

Ce nouveau local leur sert désormais aussi de lieu de répétition. La nouvelle pièce "Im Himmel sei dank" (le ciel soit loué) est déjà choisie, et les rôles sont répartis. Une demi-douzaine d'acteurs s'installent autour d'une table et, texte sous le nez, commencent la lecture à haute voix.

"Ce n'est pas si simple", reconnaît Justine Luttringer, l'une des actrices. "Ça fait bizarre d'être dans un autre bâtiment. Mais ça viendra, on prendra nos marques." La première lecture n'est pas encore fluide, ce qui s'explique : "Ce texte est écrit en alsacien bas-rhinois, donc c'est un peu compliqué pour nous. Je vais devoir le relire plusieurs fois, et bien le travailler."

D'autres scènes restent à trouver

Mais d'ici novembre, et malgré les émotions, et l'énergie supplémentaire dépensée cet été, la troupe du TAC veut être prête à remonter sur les planches. A raison de deux soirées de répétions par semaine, et de trois samedis matins par mois.

"Nous sommes en train de chercher des salles où nous pourrons faire nos représentations" précise Marie-Paule Zussy, la présidente du TAC. "Car on est devenus STF, Sans Théâtre Fixe."

Les premiers lieux ont pu être trouvés. Samedi 12 et dimanche 13 novembre, ils se produiront à Soultz, au Pôle 360. Samedi 19 et dimanche 20 novembre, ce sera à la salle récréative de Raedersheim. Puis, samedi 26, au Foyer Amélie de Richwiller, et enfin, dimanche 4 décembre, au cercle de l'Union de Vieux-Thann. Pour la suite, ils attendent encore des réponses.

Comme les dernières recrues ne parlent plus le dialecte, ils alternent avec une pièce en alsacien (à l'automne) et une autre en français (au printemps). Ils ne pourront retourner jouer à Cernay qu'au printemps prochain, pour deux représentations à l'espace culturel Grün. En espérant pouvoir s'y produire davantage durant la saison 2023-2024.

Car malgré la perte de leur ancien lieu de vie, "le théâtre, c'est avant tout de l'humain" comme le résume Arnaud Luttringer. "On ira de l'avant, pas de souci. On reste confiants en l'avenir. On y croit."

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