"Inclusion" est un mot que La Cloche à Strasbourg vit au quotidien. Cette association œuvre auprès de personnes en situation de précarité, qui se sentent donc exclues de la société. Au travers de nombreuses initiatives, l'association leur permet de retrouver confiance en elles.
L'association La Cloche est présente dans une dizaine de villes de France. Son antenne strasbourgeoise a ouvert en 2019, et en cinq ans d'existence, elle ne cesse de développer de nouveaux projets, destinés à rendre l'Eurométropole plus inclusive.
Par le biais de diverses activités, elle aide des personnes en situation de précarité à sortir de leur isolement, prendre des responsabilités et retrouver leur place et leur dignité.
L'objectif est aussi de favoriser de vrais échanges entre ceux que les aléas de la vie ont mis au ban de la société, et les autres. Et de lutter contre l'exclusion en faisant tomber certains préjugés, en permettant à chacun, de sentir que la valeur d'une personne est infiniment plus riche que la taille de son porte-monnaie ou de son appartement.
Un rendez-vous convivial
Chaque mardi après-midi, La Cloche tient sa permanence à la Maison citoyenne de Strasbourg-Neudorf (Bas-Rhin). Une quarantaine de personnes de toutes origines, tous des cabossées de la vie, s'y retrouvent avec plaisir pour boire un café et papoter.
A une table, un petit groupe d'habitués fait des blagues et rigole, heureux de se retrouver. Car beaucoup se connaissent depuis longtemps, grâce à ce rendez-vous hebdomadaire. "On vient chaque semaine, précise Marcel Antoni, l'un des fidèles. On discute, c'est chaleureux et familial."
Plus loin, quelques nouveaux sont assis en silence devant leur tasse. Et de-ci, de-là, des solitaires, capuchon sur la tête, préfèrent rester debout, à l'écart, et se contentent de manger un brin avant de repartir.
Derrière une petite table, Jean Diffort et son comparse Rémy coupent des parts de gâteaux qui trouvent rapidement preneur. "Tous les quinze jours, c'est moi qui fais de la pâtisserie, annonce le premier. Aujourd'hui, c'était une tarte aux pommes aux speculoos, et un cake au yaourt avec des maltesers. Généralement, quand j'arrive, en cinq minutes, c'est liquidé."
"Ici, c'est ma famille, poursuit le sexagénaire. Quand mes parents sont décédés, je n'avais plus personne. On fait aussi des ateliers de théâtre, et on rit beaucoup. Mon plaisir est de venir ici, et Rémy, c'est mon ami. Il est excellent à la pétanque."
Des activités inclusives
En milieu d'après-midi, une douzaine de personnes se retrouve dans une salle pour chanter. Cette chorale a été lancée par un habitant du quartier, Georges Blachier. "En Haute-Savoie, j'ai dirigé un chœur de 65 personnes, raconte-t-il. J'étais dans la garde républicaine, où je jouais de la batterie et de la fanfare. Et la musique, c'est ma vie."
Il a donc eu envie de mettre ses compétences à la disposition de l'association. Mais sa motivation première est plus profonde : "Dans ma famille, j'ai connu quelqu'un dans la précarité, un de mes frères. Je l'ai accueilli chez moi. Et comme j'étais son tuteur, un jour, on m'a appelé à trois heures du matin. Il était mort. J'ai donc voulu continuer à aider ces gens-là."
Entourés de quelques musiciens, rassemblés pour l'occasion, les choristes entonnent avec beaucoup d'enthousiasme les "Champs Elysées" de Joe Dassin. "Quand on a démarré, on était quatre", précise le chef. Maintenant, il faudrait presque pousser les murs.
Un autre jour, La Cloche propose des soins du visage gratuits pour les femmes, du massage, de la manucure… "Beaucoup de gens n'ont pas assez d'argent pour s'offrir cela, explique Micheline Hamm, bénévole référente socio-esthéticienne. Mais c'est nécessaire pour retrouver un peu de confiance en soi, surtout pour ceux qui recherchent du travail. C'est un soutien important."
Ici, on a des retours et des échanges beaucoup plus enrichissants.
Micheline Hamm, bénévole
La jeune femme confie qu'elle-même était "esthéticienne durant 20 ans". Une activité qu'avec le recul elle considère "superficielle : les gens y sont de simples numéros, et tout doit aller très vite. On n'a pas le temps pour témoigner un peu de chaleur humaine. Ici, ça me plaît beaucoup mieux, résume-t-elle. On a des retours et des échanges beaucoup plus intéressants."
Des bons repas offerts
La permanence du mardi est aussi l'occasion de distribuer aux personnes bénéficiaires les bons repas offerts par des boulangeries et des restaurants. Ce réseau de commerçants solidaires, appelé Le Carillon, a pu être constitué au fil du temps, malgré, et peut-être même grâce à la période du covid.
Une pizzeria de Strasbourg-Neudorf, le Meteoreat, y participe depuis les débuts, à titre de cinq repas offerts chaque semaine. Jean-Paul Dollé, bénévole à La Cloche, adore s'y rendre, car dans ce restaurant, il reçoit bien plus que de la nourriture. "Ce qu'il y a de bien, ici, c'est qu'on reçoit une bonne pizza, mais on discute aussi, explique-t-il. Ce n'est pas juste : je rentre, je reçois et je repars. S'il y a de l'attente, on peut s'installer et boire un verre. C'est vraiment du social, on sent que ça vient du cœur."
D'ailleurs le gérant, Massimiliano Martino, a lui-même autant de plaisir à ces petits moments d'échange que les bénéficiaires. "Donner un repas, pour nous, c'est bien mieux que de donner une pièce, estime-t-il. Les gens arrivent avec le sourire, et ça n'a pas de coût, ça n'a pas de prix. On a commencé pendant la période du Covid-19, un moment difficile pour tous, et depuis, on ne s'est pas arrêtés."
Voici plus d'un an, il a même embauché un jeune commis de cuisine, ancien SDF, que La Cloche lui a présenté. "C'est grâce à La Cloche que j'ai trouvé ce travail, sourit ce dernier, Jonathan Hoareau. Ils m'ont dit que cette pizzeria cherchait un poste de plongeur, et de fil en aiguille je me suis présenté. J'ai encore beaucoup à apprendre, mais j'ai les bases."
Le réseau du Carillon s'étend
Dès le départ, La Cloche avait aussi sollicité l'aide des commerçants afin de pouvoir aussi offrir d'autres types de soutien, principalement destinés aux personnes sans domicile fixe. Les commerçants participants apposent sur leur vitrine un logo et des pictogrammes, pour que la personne à la rue sache qu'elle sera bien accueillie, et ce qu'elle peut y trouver : des toilettes, un verre d'eau, un lieu où déposer son sac, la possibilité de passer un coup de fil ou recharger son téléphone, ou encore une coupe de cheveux gratuite.
Début 2021, ces commerces solidaires strasbourgeois, dont aussi des pharmaciens et des coiffeurs, étaient une trentaine. En trois ans, leur nombre a presque triplé. "Aujourd'hui, il y a plus de 80 commerçants qui nous aident" se réjouit Jean Diffort. Des commerçants de Strasbourg, désormais rejoints par leurs collègues de Schiltigheim et d'Illkirch.
Au fil du temps, les objectifs de l'association se sont un peu modifiés, pour sortir de la relation unilatérale 'je donne/tu reçois'. "Le réseau du carillon évolue, pour que les commerces partenaires deviennent davantage des lieux de vie" précise Ophélie Schneider, la responsable de l'antenne de Strasbourg. Des lieux où de véritables échanges, et des activités communes, sont réalisables, en toute simplicité.
Une réunion mensuelle
C'est ainsi que la réunion mensuelle des bénévoles du pôle Carillon se déroule dans un café et espace de coworking du quartier de Strasbourg-Neudorf, Les compotes. Pour discuter, les participants peuvent s'isoler dans une petite salle fermée, mais ils sont entourés de trentenaires venus dans ce lieu avec leur ordinateur, pour y travailler de longues heures.
Pour la gérante, Marie-Elisabeth North, recevoir sous son toit certaines activités de La Cloche semblait juste une évidence. "Pour moi c'est fondamental, s'exclame-t-elle. On est un lieu ressource, et on accueille chacun. Les compotes est né pendant le confinement, et quand La Cloche m'a contactée, c'était une période de grande précarité pour tous. Donc chaque fois que l'association me sollicite, pour moi, c'est oui. Ça fait partie des valeurs de ce lieu."
Dans la petite salle, les discussions sont animées. Le référent, Christian Remmer, est très attentif à bien distribuer la parole, pour que chacun puisse s'exprimer librement, en toute confiance. "On parle de ce qu'on fait et de nos projets pour les semaines à venir, détaille-t-il. On écoute ce que chacun a à dire, sur ce qui s'est bien déroulé, ou pas, et sur ce qui reste à améliorer."
"Parmi nos bénévoles, certains ont des histoires compliquées. Il est important qu'ils se sentent bien chez nous, et puissent venir à ces réunions sans avoir l'impression d'être jugés, et dire ce qu'ils ont à dire."
Chacun qui s'engage aux activités de La Cloche est considéré comme un bénévole, qu'il soit en situation de précarité, ou non. Dans l'association, chacun met la main à la pâte d'une manière ou d'une autre. Et retrouve au fond de lui des compétences oubliées. Preuve, au fil du temps, certains prennent de plus en plus de responsabilités.
"Je suis membre depuis cinq ans, depuis que l'association existe, résume Jean Diffort, qui s'occupe d'un groupe de pétanque. Je suis le doyen. Et c'est un vrai plaisir de voir qu'il y a toujours de nouvelles personnes qui s'ajoutent à notre cercle."
Un appel à dons pour développer le Carillon
La Cloche souhaite encore et toujours développer de nouvelles activités de qualité, gratuites et ouvertes à tous, en lien avec les commerçants solidaires. "On prévoit des ateliers de cuisine dans des restaurants partenaires, une fresque murale participative dans le tiers-lieu de la Grenze, un atelier d'écriture dans la librairie la Tache noire..." liste Ophélie Schneider. Ainsi que des apéros conviviaux, voire un véritable festival du Carillon. En résumé, "toute activité inclusive qui permet de faire des choses ensemble, et de rassembler des voisins avec et sans domicile pour créer toujours plus de liens entre les citoyens."
Mais toutes ces activités ont un coût. C'est pourquoi La Cloche de Strasbourg a lancé une campagne de financement participatif en ligne, qui durera jusqu'au 6 novembre prochain. Chaque don est triplé grâce à l'apport des pouvoirs publics et d'entreprises privées. Ainsi, pour 10 euros donnés par un particulier, l'association en reçoit 30.