Peur, anxiété, mal-être : un psychiatre analyse la période actuelle entre incertitude politique et conflits internationaux

Alors que le 2e tour des élections législatives anticipées se tient le 7 juillet, un psychiatre clinicien analyse les conséquences d'une période qualifiée par beaucoup d'anxiogène sur l'état psychique des Français.

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Une dissolution soudaine, des élections organisées à la va-vite, un possible bouleversement politique le 7 juillet...Le tout sans que la situation internationale ne s'améliore, avec d'un côté la guerre en Ukraine, de l'autre celle entre Israël et le Hamas, sans parler des élections américaines susceptibles de voir la victoire d'un candidat multicondamné par la justice. L'époque est mouvementée, et cela peut avoir des répercussions sur notre état psychique. C'est en tout cas ce qu'estime Jean-Philippe Lang, psychiatre et addictologue, ancien chef de clinique à l'hôpital universitaire de Strasbourg.

Que peut provoquer une actualité si anxiogène sur l'état psychique des gens ?

Il y a indéniablement un sentiment de perte de contrôle, et ça, ça génère de l'anxiété. L'humain, particulièrement dans nos sociétés modernes, n'aime pas être bousculé dans ses habitudes. Il y aura un impact sur la partie émotionnelle de notre cerveau, et cela va nous amener à avoir des réactions disproportionnées, à anticiper le pire, à venir rajouter de la gravité à la gravité.

Ces élections pourraient voir l'extrême droite arriver au pouvoir pour la première fois sous la Ve république, ce qui crée de l'incertitude politique. Est-ce que cela peut amplifier cette surcharge d'anxiété ?

D'abord il faut prendre conscience qu'il y a quand même un certain nombre de personnes qui veulent cette situation politique. Ensuite, oui, il est possible que certains se sentent tout d'un coup vulnérables car l'incertitude ou le danger, pour eux, est proche. C'est ainsi que l'humain fonctionne : tant que c'est loin de nous, on n'en a pas vraiment conscience. La guerre en Ukraine, la guerre au Moyen-Orient, tout cela pouvait paraître irréel ou improbable, et puis c'est arrivé, et alors un sentiment de perte de contrôle revient. De la même manière, cela fait des années qu'on parle de la montée des extrêmes, mais cette fois, leur arrivée au pouvoir est tangible, alors l'anxiété - pour ceux qui ne souhaitent pas leur victoire - peut s'accentuer.

Les politologues évoquent souvent un mal-être pouvant expliquer le vote. Y a-t-il une dimension psychologique à la politique ?

Ce qui est toujours embarrassant, c'est que l'humain oublie très souvent qu'il y a des moyens d'améliorer sa vie en travaillant sur soi. Quand ça ne va pas, la première défense, la plus paresseuse, la plus immédiate, est de trouver un bouc émissaire. Je le vois tous les jours avec mes patients en addictologie. C'est une réaction humaine. Il peut même arriver qu'on torde la réalité pour se protéger. Je me dis que le vote peut devenir un espace où s'exprime cette agressivité, ce ras-le-bol, ce réflexe de protection de soi-même en réglant ses comptes avec les gens autour.

À l’inverse, beaucoup évoquent aussi ce sentiment que "de toute façon, rien ne changera". L'historien Patrick Boucheron évoquait récemment une "torpeur diffuse". D'où vient ce fatalisme ? 

Il y a deux façons de raisonner : soit on se dit que l'état dans lequel on est la conséquence de ce qui se passe dans le monde, soit ce qui se passe dans le monde est la conséquence de notre manière de penser. Je ne saurais pas trancher. Je pense que c'est quelque chose qui s'auto-alimente, un peu comme la poule et l'œuf. Il faut dire que les enjeux sont multiples et variés, que c'est très compliqué pour quelqu'un de réussir à comprendre et à choisir. Soit on se cultive énormément, soit on va à la facilité, on simplifie les choses et on se dit que "de toute façon tous les politiques sont des cons". Mais c'est aussi une manière de se dédouaner, un mécanisme de protection, on se met à l'abri, pour qu'ensuite on n'ait pas à se justifier d'une décision. Attention, je ne nie pas que de plus en plus de gens sont en difficulté et que leur anxiété est légitime. Il faut juste arriver à remettre la question de la réalisation personnelle au centre.

Comment faire pour sortir de cet état d'anxiété ? 

Je ne pense pas que cette anxiété soit, en soi, une mauvaise chose. Au contraire : nous sommes des générations qui ont toujours connu le calme, le confort de la société moderne, on a tendance à toujours attendre que les choses viennent à nous. Les individus oublient de faire des efforts individuellement. On a pris l'habitude de se dédouaner, de ne pas se mettre en difficulté. Finalement, l'être humain agit, réagit, seulement quand il va mal ou qu'il est amoureux. On le voit aussi, en ce moment, qu'il y a une vraie mobilisation, une clarification, des prises de position claires. Au moins il y a un réinvestissement. Selon moi, cette anxiété est le prix de la liberté.

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