Témoignage. Trois agriculteurs expliquent pourquoi les promesses du Premier ministre ne les ont pas convaincus

Publié le Écrit par Sabine Pfeiffer

Trois agriculteurs alsaciens, un producteur de porcs, un maraîcher et un héliciculteur, réagissent aux annonces de Gabriel Attal destinées à calmer la grogne de la profession. À partir de leur quotidien, ce samedi 27 janvier 2024, ils disent pourquoi elles leur semblent insuffisantes.

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Simplifications administratives, suppression de la hausse de la taxe sur le GNR (gazole non routier agricole), respect des lois Egalim sur le partage des valeurs entre les maillons de la chaîne alimentaire française, aides d'urgence et soutien pour la filière bio… Les annonces du Premier ministre, Gabriel Attal, destinées à apaiser la colère des agriculteurs ce vendredi 26 janvier 2024, n'ont pas réussi à persuader la profession que ses nombreux problèmes seront bientôt réglés.

Mathieu Schneider, 33 ans, élève des porcs à Schwenheim (Bas-Rhin), et produit ses propres céréales, blé et maïs, pour les nourrir. Denis Digel est maraîcher à Sélestat (Bas-Rhin) avec son épouse. Et Romain Deiber, secrétaire de la Confédération paysanne d'Alsace, produit des escargots à Dachstein (Bas-Rhin). Tous trois ont attentivement suivi la batterie de promesses gouvernementales. Ils les analysent sans ménagement. Et sans illusions.

"Le sentiment, c'est que c'est un pansement sur une jambe de bois" lance Romain Deiber. "Pour moi, c'est beaucoup de vent", affirme Denis Digel. "Le discours n'était pas trop mal. Mais ça reste des belles paroles" estime Mathieu Schneider. "Ça fait 10 ans grosso modo qu'on nous annonce des choses comme ça, j'ai du mal à être optimiste. Ça fait 10 ans qu'on nous parle de simplification, et moi je n'en vois rien, au contraire. Ça fait 10 ans qu'on nous parle de prix rémunérateurs, et ce n'est toujours pas le cas."

Le revenu paysan n'est pas mentionné

Pourtant, ils l'ont exprimé cette semaine, lors des manifestations et des premiers blocages de routes, et ne cessent de le répéter : leur situation est extrêmement difficile. "Ça fait 35 ans que je suis maraîcher, donc je peux certifier que jamais ça n'a été aussi dur qu'en ce moment" avoue Denis Digel.

"Les charges ont augmenté comme jamais, il y a eu l'inflation (…), les salaires ont augmenté, et on devrait créer de la valeur pour financer tout ça. Or dès 2022-23, l'équilibre financier n'y était pas, donc on perd de l'argent en travaillant. Même si le prix des légumes a un peu augmenté, ça ne suffit pas. L'augmentation des charges a été trop impressionnante (…) Mais concernant le revenu du paysan, je n'ai rien vu, rien entendu. Pour l'instant, il n'y a aucune annonce à ce sujet."

Un silence également relevé par Romain Deiber. Lui aussi regrette cette impasse sur la question de la rémunération des agriculteurs dans le discours de Gabriel Attal.

"Ce discours ne résoudra pas le problème de fond, notamment celui du revenu paysan" s'emporte-t-il. "A priori, on n'en a pas entendu parler. Or, c'est ce qui relie les colères des agriculteurs. Il faut qu'on puisse vivre de notre travail. On le défend différemment, on a des constats et des solutions un peu diverses. Mais le revenu paysan est au cœur de notre grogne générale."

Des décideurs loin du terrain

Mathieu Schneider, lui, a un profond sentiment de "dichotomie entre les discours des politiques, ce qu'ils nous annoncent, et la réalité des faits de tous les jours." Il n'arrive pas à croire aux promesses de Gabriel Attal, car son expérience lui fait dire que les agriculteurs sont "gouvernés par des technocrates qui (...) dictent des règles et des normes qui ne prennent pas en compte les réalités du terrain."

Il donne pour exemple la jachère qu'il doit "implanter normalement au 1ᵉʳ mars", faute de quoi il y aura sanction. "Depuis un an, tous les trois jours, il y a un satellite qui survole les champs et fait des photos, raconte-t-il. Et après, une intelligence artificielle vérifie si tout est respecté. Du coup, au 1ᵉʳ mars, il faut que ma jachère soit implantée et verte."

Son problème, c'est qu'"il pleut depuis octobre" et que son sol est détrempé. Impossible, donc, de semer à la période prévue. "Il faudrait que ces technocrates viennent sur place, constater que ce n'est juste pas possible, soupire-t-il. Je travaille avec du vivant, que ce soient les cochons ou les céréales. Il y a des aléas qu'on ne peut pas forcément prévoir."

Un accueil mitigé pour les annonces sur le GNR

L'annulation de la hausse de la taxe sur le GNR, dont l'augmentation progressive était initialement prévue jusqu'en 2030, n'emporte pas non plus une grande adhésion, loin s'en faut. Pour Denis Digel, elle entérine tout simplement un statu quo, qu'il trouvait déjà inacceptable. "Pour l'instant, on n'a rien gagné" regrette-t-il. "Il a juste supprimé la hausse de la taxe." Et de rappeler que "le GNR, il y a trois ans, c'était 70, 75 centimes le litre. Puis, au pire de la crise, on a payé 1,30 ou 1,40 euros, hors taxes. C'est le double… C'est impossible de continuer comme ça."

Romain Deiber, lui, concède que stopper la hausse de la taxe, "c'est une petite avancée". Mais il nuance immédiatement : "Quand on est sur une petite ferme, ce n'est pas forcément le poste de dépenses le plus important."

Loi Egalim et grande distribution

Concernant l'assurance du premier ministre de faire respecter les lois Egalim de 2018 et 2021, "ça nous semble un minimum" estime le secrétaire de la Confédération paysanne d'Alsace. "Mais on en est encore loin et on pourrait de toute façon aller encore plus loin que cette loi si on voulait vraiment permettre aux gens de se nourrir décemment et que les gens qui sont au début de la chaîne soient aussi rémunérés décemment. C'est toute la chaîne alimentaire qui est à retravailler."

Le maraîcher Denis Digel, lui, écoule la moitié de sa production en vente directe, qui lui procure "une meilleure marge, car il y a moins d'intermédiaires." Cependant, il tient à rester présent au sein de la grande distribution. "Je n'ai pas envie de quitter ce rayon" explique-t-il. "Sinon, les gens mangent seulement des fruits et des légumes venus de l'autre bout de l'Europe ou du monde, qui sont traités, et qui exploitent la misère. On est aussi responsables au niveau de notre métier (…) Mais il faut qu'on puisse vivre correctement de ces marchés-là."

Une grogne loin d'être apaisée

"Les avancées ne sont pas suffisantes" résume Romain Deiber, qui reconnaît cependant que le monde agricole reste divisé, entre "ceux qui voudront aller plus loin, et ceux qui vont peut-être s'en satisfaire." La Confédération paysanne, en tout cas, "va inciter à ce que ça aille beaucoup plus loin, notamment sur la transition agroécologique (…) On n'a pas eu de réponse sur les pesticides, et on n'a pas eu de réponse sur tout un tas de sujets qui sont aussi hyper importants" détaille-t-il.

"On a du savoir-faire, du talent, de l'expertise, conclut Denis Digel. Il faut que le gouvernement prenne la balle au bond, et s'appuie sur la chance qu'il a d'avoir ces paysans, cette richesse." Une richesse, un trésor qui clame aujourd'hui son épuisement. Et demande simplement qu'on le fasse fructifier, pour le bien de tous.    

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