Un recueil de poésie bilingue, en français et en alsacien, propose des poèmes en face à face. Chacun des deux auteurs écrit dans sa langue de cœur, et réinterprète les textes de l'autre.
Rien que par son titre, ce recueil de poésies, "Paroles en Echo - Litt ùn Zitt (Gens et temps)" annonce un plaisir de lecture inédit. Un contenu bilingue, des textes qui dialoguent, mais sans se copier ni se répéter.
Ses deux auteurs, Maria Riegler, écrivain public, "amoureuse des mots, des phrases, des livres" et Rémy Morgenthaler, président de l'association Heimetsproch ùn Tràdition, également comédien et metteur en scène qui, "depuis plus de 40 ans, (se) bat pour la langue alsacienne", l'ont écrit à quatre mains. Avec délectation.
Leur démarche est pour le moins originale. Entre les poèmes en français de Maria et ceux en alsacien de Rémy, il ne s'agit ni de traductions, ni de juxtapositions. Mais, à chaque fois, d'une réinterprétation, d'une envolée follement libre et totalement respectueuse."Chacun ressent et s'approprie le texte de l'autre, mais le révèle ensuite à sa manière, à travers sa propre inspiration", explique le président de Heimetsproch. "Ce qui donne parfois des choses très différentes, et d'autres d'une grande proximité."
"Ce n'est absolument pas une traduction littérale, on s'est amusés, confirme Maria Riegler. On s'inspire de l'âme du texte pour en ressortir à chaque fois une chose unique par le point de vue. Chacun écrit avec sa sensibilité, et sa propre manière de cerner le sujet, mais celui-ci reste en arrière-fond."
Aucune contrainte, donc. Même les longueurs des poèmes placés en miroir - l'un, source d'inspiration, l'autre, sa réinterprétation - peuvent être très variables. "Je compose de façon assez succincte, et Maria écrit plus en longueur, précise Rémy Morgenthaler. Chacun, dans sa propre langue, trouve une tout autre manière de s'exprimer." Belle confirmation, aussi, de l'originalité irréductible de chaque langue, dotée "d'autres images, d'autres teintes", tout à fait apte à "garder son autonomie."
Chacun s'approprie le texte de l'autre, mais le révèle ensuite à travers sa propre inspiration.
Rémy Morgenthaler
Quand on demande aux deux auteurs d'où l'idée de ce recueil commun leur est venue, Maria Riegler hésite : "Je n'arrive pas à donner de point de départ précis, ça s'est fait au fur et à mesure. Seule certitude, pour elle : C'est né d'une aventure humaine. D'une amitié, avant tout."
Il y a sept ans, les chemins des deux protagonistes se sont croisés grâce aux activités théâtrales de Rémy Morgenthaler. Dans le cadre d'une formation, il recherchait, pour le spectacle de fin d'année de ses élèves, des textes et des poèmes qu'ils pourraient déclamer. Et il a découvert avec bonheur les créations de Maria Riegler.
Cette dernière a ensuite intégré le groupe Mit'nànd (Ensemble) qui propose des spectacles musicaux et poétiques, avec des lectures en français et en alsacien. "Beaucoup d'Alsaciens pensent qu'ils ne comprennent plus leur langue, et certains ne la parlent plus du tout, déplore Rémy Morgenthaler. C'est pourquoi nous faisons nos lectures dans les deux langues, pour que tous puissent suivre : ceux qui comprennent l'alsacien, ceux qui croient ne plus le comprendre avant de réaliser qu'ils suivent très bien, et ceux qui parlent seulement le français. Et les vrais bilingues, eux, en tirent un double plaisir."
Leur coopération créative a peu à peu pris de l'ampleur, jusqu'à susciter une envie commune de réaliser un recueil avec cette même approche. Des poèmes dans les deux langues, qui se reflètent, se complètent et s'enrichissent mutuellement.
Une longue collaboration
"La démarche de Rémy était évidente, raconte Maria Riegler. Il a pioché parmi les textes de mes deux manuscrits ceux qui lui plaisaient le plus" pour, ensuite, les magnifier en alsacien. Pour la jeune femme, les choses étaient un peu plus compliquées. Car même si elle comprend l'alsacien, le "garde dans (son) cœur", et n'a appris le français qu'en arrivant à l'école maternelle, elle a un peu de mal à le parler aujourd'hui. Et peine parfois à saisir d'emblée toutes les nuances de tel ou tel mot.
Ses coups de cœur pour certains textes de Rémy ont donc dû être complétés par des explications de leur auteur. "Il a été très disponible, dès que j'avais besoin de pouvoir appréhender l'essence d'un terme. Je lui ai passé d'innombrables coups de fil, nous avons eu énormément d'échanges, se souvient-elle, reconnaissante. J'ai fait un travail de traduction avant celui, plus artistique, de la réécriture libre. C'était très intéressant, et a développé en moi d'autres compétences. Grâce à Rémy, j'ai redécouvert mon amour pour ma langue maternelle."
Grâce à Rémy, j'ai redécouvert mon amour pour ma langue maternelle.
Maria Riegler
Ensuite, dès que l'un des deux avait achevé un texte inspiré de celui de l'autre, il le lui soumettait. "Et à chaque fois, l'autre le validait, s'émerveille Maria Riegler. C'était très sincère, on était toujours dans une honnêteté totale, et il n'y a pas eu de couac. Quand j'entendais pour la première fois son texte en alsacien, je l'approuvais. Et quand je lui lisais l'un des miens, même au téléphone, je percevais qu'il l'aimait à 100%."
Pour la mise en page, ils ont travaillé en commun. "Là on s'appelait plusieurs fois par jour, on ne se lâchait plus", sourit la jeune femme. "Ensemble, il fallait décider comment procéder, quels poèmes choisir, dans quel ordre les présenter, comment répartir les choses, retenir les meilleures idées de chacun. Et peu à peu, le livre s'est élaboré" ajoute Rémy Morgenthaler.
Une sorte de naissance
Pour Maria Riegler, ce long processus créatif s'est apparenté à une grossesse. "A la publication, je me suis vraiment sentie vide, comme après une naissance", confie-t-elle. Trois mois après la parution du recueil, ses "parents" continuent d'accompagner ses premiers pas, lors de présentations et de salons du livre. Mais ils sont surpris, et fiers, de constater qu'il gagne déjà en autonomie.
"Il éveille beaucoup d'intérêt dès lors qu'on parle de bilinguisme, estime Rémy Morgenthaler. Si on arrive en proposant un livre de poèmes, l'accueil reste mitigé. Mais dès qu'on évoque ses caractéristiques bilingues, c'est tout différent. Il faut croire que le bilinguisme, aujourd'hui, est bien accepté."
"Il vit maintenant sans nous, et au-delà de nos espérances" résume Maria Riegler. Reste à espérer que cet intérêt pour l'alsacien et l'aspect patrimonial du livre, qui touche principalement les collectivités, les médiathèques et les écoles, ne sera pas qu'un simple effet de mode. Et que, peut-être, un jour, les deux auteurs et complices auront envie de donner vie à un nouvel ouvrage.