Et de quatre. Après Eguisheim, Kaysersberg puis Hunspach, c'est encore une commune d'Alsace qui décroche le titre de "Village préféré des Français" en 2022 : Bergheim, dans le Haut-Rhin. Une distinction bienvenue pour attirer les touristes. Encore faut-il pouvoir les accueillir.
Réputée pour ses remparts du XIVe siècle et ses maisons de la Renaissance, Bergheim a remporté les suffrages des téléspectateurs et internautes qui ont voté en 2022 pour désigner leur village français préféré. La commune haut-rhinoise de 2.300 âmes portait les couleurs de la région Grand Est pour cette dixième édition de l’émission. Elle l’a emporté face à treize autres villages engagés dans la compétition.
C’est à croire que les Français ont un faible pour les maisons à colombages et les balcons fleuris de géraniums : avec ce sacre, Bergheim rejoint le club de moins en moins fermé des villages alsaciens primés. Ils étaient déjà trois : Eguisheim vainqueur en 2013, Kaysersberg en 2017, puis Hunspach en 2020. Quatre titres en dix éditions : pas de doute, l’Alsace a la cote.
La société de production de l’émission semble en tous cas le croire car c’est elle qui a sélectionné la commune de Bergheim pour figurer au concours. "Nous n’avons pas déposé de candidature, nous révèle la maire, Elisabeth Schneider. Ce sont eux qui nous ont appelés pour nous dire qu’ils avaient retenu notre village pour représenter la région, parce qu’ils le trouvaient très beau et très bien entretenu".
L’élue n’a pas tout de suite dit oui. Elle en a d’abord parlé aux habitants, aux commerçants. Puis elle a demandé leur retour d’expérience aux autres villages déjà primés. "Certains retours étaient très positifs, d’autres plus mitigés. On a finalement décidé d’y aller."
Primée en 2020, la petite commune de Hunspach – 650 habitants, au nord du Bas-Rhin - l’a enjointe à se lancer. L’adjointe au maire, Sylvie Heibi, garde un souvenir ému de l’annonce des résultats, de cette victoire à laquelle personne dans le village ne s’attendait. "On était sûr d’être dans les derniers. Ça a été une grande surprise et une grande joie pour tout le monde."
Et les touristes ne se sont pas faits attendre. "Dès le lendemain de l’émission, à huit heures du matin, les rues se remplissaient déjà, se rappelle l’adjointe. A croire que les curieux avaient leur valise déjà prête dans le coffre pendant la diffusion de l’émission". Souvenir impérissable également, l’énergie et la solidarité qui se sont répandues dans la commune qui ne comptait alors qu’un seul restaurant et une boulangerie-salon de thé. "On a dû tout réorganiser. Chacun s’est mobilisé. Avec les associations du village, on a créé des parkings extérieurs dans les champs, on a proposé dans les granges des services de restauration. On a aussi dû investir dans des toilettes publiques et des tables de pique-nique".
Un coût pour la commune, compensé par les retombées financières pour les commerçants. Mais surtout un moment de communion dont tous parlent encore aujourd’hui. Et une notoriété gagnée : le village fait désormais partie des incontournables à visiter en Alsace.
L’obtention de la plaque dorée est en effet la promesse d’un afflux de touristes. Face auquel certaines communes peuvent se retrouver débordées. C’est le cas d’Eguisheim (Haut-Rhin) primée en 2013, lors de la deuxième édition du concours. "Quand la production nous a contacté, on s’est tout de suite pris au jeu car c’était très flatteur pour nous", se souvient le maire, Claude Centlivre. Là encore, commerçants, habitants, tout le monde était enthousiaste et participait au projet. Le maire a mobilisé tous ses réseaux, les villes avec lesquelles Eguisheim est jumelée ou a des pactes d’amitié. "Ça a sans doute joué dans le fait qu’on a gagné, reconnait l’élu. Les votes pour nous ont afflué de partout, bien au-delà de l’Alsace".
Puis vient l’annonce des résultats. La victoire. Et le déferlement immédiat. "Dès le lendemain de la diffusion de l’émission, on a été totalement débordés, concède le maire. On a vu déferler un raz-de-marée de touristes indisciplinés se garant n’importe où, devant les maisons, les commerces… Impossible alors de les absorber avec notre parking qui s’élevait à 50 places et notre office du tourisme d’à peine 30m2".
Les chiffres de l’évolution de la fréquentation du village donnent le vertige : de 300.000 visiteurs en moyenne avant l’émission, leur nombre est passé à 800.000 en seulement un an. Et cela n’a pas été sans contrarier les habitants qui n’ont pas manqué d’exprimer leur mécontentement au maire. En guise de réponse, il rappelle les bénéfices pour la commune : "c’est sans doute grâce à cela que nous avons encore un médecin, des kinésithérapeutes, une pharmacie, une poste et beaucoup de commerces dans la commune". Un luxe de nos jours pour une commune rurale de 1.700 habitants.
A 15 kilomètres de là, plus au nord, la commune de Kaysersberg (Haut-Rhin) s’est vue à son tour sacrée cinq ans après Eguisheim. A la différence de sa voisine, la commune était déjà très touristique avant l’émission. Elle n’a donc pas eu de problèmes d’infrastructures pour absorber le flot de nouveaux visiteurs. Mais déplore parfois l’attitude de certains. "Beaucoup de ceux qui ont regardé l’émission viennent juste à Kaysersberg pour voir en vrai ce qu’ils ont vu à la télé et pour se faire prendre en photo devant la plaque. C’est un public de passage qui ne reste pas, qui ne profite pas de toutes les animations touristiques proposées en Alsace, autour de l’oenotourisme ou du tourisme vert" constate la maire, Martine Schwartz.
Elle aussi a eu maille à partir avec des habitants mécontents qui voyaient leur tranquillité troublée par ce trop-plein de fréquentation : "tout l’enjeu est de concilier attrait touristique – qui est bon pour notre économie – et la préservation du cadre de vie pour les gens du village".
Il faut que le boulanger puisse encore faire du pain pour les habitants, et pas uniquement des kouglofs pour les touristes de passage.
Martine SchwartzMaire du village de Kaysersberg (Haut-Rhin) primé en 2017
Si c’était à refaire, Martine Schwartz - qui n'était alors pas encore maire lors du sacre de Kaysersberg - y réfléchirait sans doute à deux fois. "Face à ce genre de projet, avant de se lancer dans l’aventure, il faut se demander si le village veut vraiment augmenter sa fréquentation touristique, pour quoi faire, et s’il a les infrastructures suffisantes pour cela". Le risque étant d’y perdre son âme et de dénaturer les charmes qui valent à l’Alsace autant de distinctions.