Ce n'est plus seulement la cigarette ou le vapotage qui attirent les clients dans les bureaux de tabac, les innombrables jeux de grattage promettent toujours la fortune d'un simple geste sur un ticket de jeux.
"Mettez-moi, s'il vous plaît, un Cash, un millionnaire et un Astro en plus !" Dans le Bar-tabac-presse " Le pédro" à Charleville-Mézières, une cliente repart avec son paquet de cigarettes et sa part de rêve en tickets de jeux à gratter. Ce mercredi 5 février ressemble à tous les autres jours pour Elodie, la gérante du débit de tabac. Mais en ce début de mois, les clients venus tenter leur chance sont plus nombreux encore. "C'est parce qu'ils viennent de recevoir leur salaire ou leur pension," m'avoue l'un d'eux.
Derrière son comptoir depuis 14 ans, Elodie s'est habituée à vendre des milliers de jeux de hasard avec résultat immédiat. Et du résultat, il y en a apparemment ce matin. Les petits chanceux se succèdent devant sa caisse. "J'ai déjà remboursé 673 euros en tout, à 10h, ce matin" me renseigne-t-elle en regardant son écran de La Française des jeux. "D'ailleurs, du 27 janvier au 2 février, par exemple, on a remboursé près de 17.000 euros aux joueurs de passage, rien que chez nous" ajoute-t-elle en servant un autre client.
Il faut dire que la tentation est grande. Depuis quelques décennies, les bureaux de tabac ne sont plus les petits espaces aux murs gris qui avaient déjà la couleur de vos poumons, mais ils sont devenus de véritables magasins, lumineux, colorés et multi-services, avec en photos, le sourire d'un client client qui gagne, forcément !
Le bon vieux bar, collé au comptoir à cigarettes, récupère, quant à lui, les inconditionnels du petit café matinal et les gratteurs de tickets tentent leur chance. Aussitôt le précieux carton de jeux acheté, on les retrouve en plein étude de probabilité, une pièce de monnaie à la main, sur une petite table dans la salle. Encore faut-il que "Mister Chance" passe par là ce matin.
Pour Stéphane, le co-gérant de l'endroit, rien ne décourage un joueur quand il pense être dans un bon jour. " C'est une forme d'addition, et oui!" me lance-t-il en préparant ses commandes de boissons derrière le bar.
Elodie, juste à côté, au milieu de ses cigarettes rajoute : " On a souvent des gains de 100 et 500 euros, et hier un monsieur a gagné 500 euros. Il vient tous les jours, il prend un Cash et un Jackpot".J'ai un client qui est resté une journée entière, du matin au soir, et il a gratté pour 1000 euros de jeux ce jour-là. Il a eu un retour de gain de la même somme environ.
- Stéphane Gillard, co-gérant du Bar-tabac Le Pédro à Charleville-Mézières
"Il a gagné 250 000 Euros le mois dernier avec un Mots croisés"
Dans une demi-pénombre, Jennifer et son amie sont installées face au bar, sur la table de bistro. Elles aiment se retrouver dans cette ambiance chaleureuse et échanger sur les dernières nouvelles.Jennifer est absorbée par le résultat du grattage de son ticket à cinq euros. Depuis plusieurs minutes, elle frotte méthodiquement chaque case de son jeu en retenant son souffle. " Je dépense 30 euros par mois, en général, dans l'espoir de gagner une grosse somme," avoue-t-elle en se redressant sur sa chaise. "Cela reste dans mes moyens. Moi, je gratte tout doucement, et lorsque je vois que j'ai les numéros qui correspondent, (les numéros des cases cachées avec les numéros inscrits sur la partie supérieure du ticket), alors ensuite je gratte la somme sous le chiffre pour découvrir mon gain". D'un geste précis, elle termine son jeu et gagne 10 euros au final.
"Il y a de l'excitation à découvrir la somme que l'on va gagner," ajoute-t-elle en plissant les yeux. "Si je gagne 10 euros, je les rejoue, comme là aujourd'hui. Si j'investie 10 euros et que j'en gagne 20, je rejoue 10 euros seulement. Mais si je gagne 50 Euros, je garde tout".
J'ai un ami qui a gagné 250 000 euros le mois dernier dans ce quartier avec un jeu Mots Croisés. Il en avait bien besoin, il a réglé ses crédits, s'est acheté une voiture et regarde pour une maison en ce moment.
- Jennifer, gratteuse raisonnable de ticket de jeux de hasard
Du tabac, des jeux et bien plus, pour les buralistes
À quelques dizaines de kilomètres de la cité de Rimbaud, à mi-chemin de Sedan, La maison de la presse à Donchery est une institution dans le village. Ici aussi, les jeux en tous genres ont leurs habitués, mais, il faut savoir les séduire et les fidéliser. C'est ce que tente de faire Christophe Biani, le directeur de cet immense bureau de tabac multi-services. Depuis 10 ans, il innove et rajoute des casquettes sur sa tête de buraliste. Aujourd'hui, il a bien 10 métiers différents suivant l'endroit où il se trouve dans son magasin.
Car c'est bien un véritable magasin qui s'offre à vos yeux quand vous passez la porte. Mais vendre des jeux de hasard occupe beaucoup de son temps. "Les jeux de grattage, c'est presque 50% du chiffre d'affaire rien qu'avec La Française des jeux (sans le PMU)," confirme-t-il en montrant sa vitrine bien garnie.
"Aujourd'hui, la vente de tabac est minoritaire, peut-être 25%. En plus, on est frontalier pour la vente de tabac, donc, il faut se diversifier pour retrouver du chiffre," conclue-t-il avant de rejoindre son coin "Bureau de poste". Et oui, Christophe est postier à la demande du client, il gère le courrier ce matin et se charge des colis.
Il peut aussi devenir vendeur de vins, il en propose sur un rayon. Mais aussi conseiller en bijoux si vous avez un cadeau en tête ou même technicien en produits de vapotage, c'est d'ailleurs la nouvelle tendance du moment. Pour lui, "les jeux de grattage associés à la vente de tabac et au vapotage ne suffiraient pas à faire vivre l'entreprise." Son bureau de tabac est un véritable drugstore où l'on trouve des terminaux de paiement, une librairie, une salle dédiée aux jeux et paris sportifs, des montres de qualité, une cave à vin, une confiserie, des produits du terroir et bien d'autres marchandises étonnantes à cet endroit.
"Le tabac n'apporte plus le flux de clients suffisant, il faut passer à d'autres choses" regrette-t-il en évoquant ses débuts.
Le vapotage avec tous ses produits, c'est ce qui va permettre de passer le cap du paquet de cigarettes à 10 euros. C'est une bouée de sauvetage pour le buraliste. C'est plus dur à vendre, ça demande de l'expertise, du conseil, c'est technique, on devient des commerçants.
- Christophe Biani, gérant de La maison de la presse à Donchery
En attendant, Gérard, 72 ans, est venu chercher simplement ses petits jeux habituels pour lui et sa femme ce matin. Ce grand bureau de tabac dans son village est une aubaine. "Comme je suis du signe du scorpion, je prends quelquefois un ticket Astro" me glisse-t-il à l'oreille. "Mais là, je change, il y a de nouveaux jeux ce mois-ci. Avec ma femme, on joue 10 euros par semaine juste pour avoir le plaisir ensuite de gratter ensemble nos tickets à la maison".