Un homme de 25 ans a comparu ce lundi 23 janvier devant le tribunal correctionnel de Charleville-Mézières (Ardennes) pour avoir foncé sur des manifestants lors d'un rassemblement de gilets jaunes en novembre 2018. Il a fait un malaise au début de l'audience. La vice-procureure a requis trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis.
Depuis leur box, les victimes scrutent le prévenu s’avancer vers la barre. Grand, le visage pâle, il prend place devant le micro. Steven ne croise pas encore le regard de ceux qu’il a percuté cinq ans plus tôt, le 17 novembre 2018. La présidente commence la lecture des faits reprochés à l’homme de 25 ans. Les mains agrippées à la barre, ses genoux tremblent. Jusqu’à flancher. Les avocats se précipitent pour rattraper Steven qui semble faire un malaise. « Ce n’est pas un spectacle, je vous prie de sortir », lance la présidente. L’audience vient de débuter qu’elle est déjà suspendue.
Dehors, les victimes et leurs proches se retrouvent. Ils échangent. L’un d’entre eux ne s’arrête pas de tirer sur sa cigarette, il tremble de tout son corps. « Cinq ans que j’attends ! », crie l’une des victimes alors qu’il tente de retourner dans le tribunal. La tension est pesante, lourde. Son avocat, maître Nicolas Vallet, attend un mot pour les victimes de la part de son client. Il espère aussi une décision qui le sanctionne justement "avec des leçons pour l'avenir." Avant d'ajouter : "Son discours est celui d'un homme coupable des conséquences sur les victimes". Pour lui, le malaise de son client est lié au stress. Après plusieurs minutes d’intervention des pompiers, l’audience peut reprendre.
Tensions dans la salle
VIDEO : la manifestation des gilets jaunes à Charleville-Mézières le 17 novembre 2018
Steven s’est assis. Il apparait en tee shirt rayé, veste et gilet en moins. La présidente reprend, le ton ralenti. Ce 17 novembre 2018, Steven quitte Maubeuge dont il est originaire pour retrouver une amie « rencontrée sur Snap », à Charleville-Mézières. Ce jour-là, c’est aussi la première journée de mobilisation des Gilets Jaunes partout en France. Malgré la médiatisation du mouvement social, Steven assure ne pas être au courant des manifestations. « Je ne regarde pas la télé, je n’écoute pas non plus la radio », raconte-t-il. Dans sa Fiat Stylo, il embarque sa nouvelle amie et un proche à elle pour faire des courses à l’hypermarché Cora. Sur le chemin, ils sont ralentis par les manifestants. « Ça m’agaçait d’attendre. J’avais peur de ne pas avoir assez d’essence », confie Steven. « Pourtant, vous aviez 518km d’autonomie », s’interroge la présidente.
Coup de poing
Steven décide de forcer le barrage. Il double d’abord les véhicules à l’arrêt avant de se rabattre. Interpellés par ce comportement, des gilets jaunes lui demandent de patienter, calmement. La première victime raconte avoir parlé avec Steven par la vitre du véhicule. Un échange apparemment courtois. La main posée sur la vitre, elle raconte avoir détourné le regard vers l’arrière. Quelques secondes passent quand Steven accélère. « Je me suis accrochée à la voiture, je lui criais de s’arrêter », raconte-t-elle. Mais le conducteur poursuit son accélération, donne un coup de poing dans la vitre qui explose. Sa première victime est au sol. Il percute trois autres personnes. L’une est grièvement blessée, son pronostic vital engagé. Steven prend la fuite, il sera intercepté par la police quelques kilomètres plus loin, à Warcq.
Aujourd’hui, Steven doit répondre de "blessures involontaires aggravées avec ITT supérieure à trois mois pour l'une des victimes et moins de trois mois pour les trois autres victimes percutées par le chauffard ». « J’ai paniqué », hésite Steven, tête baissée, lorsque la présidente lui demande d’expliquer son geste. Cinq ans après, Steven ne développe pas son propos sans cesse interrompu d’hésitations, d’incohérence, de silences. Cinq ans sans réponses pour les victimes qui le voient pour la première fois s’exprimer.
"J'ai brisé des vies"
Deux d’entre elles, deux frères blessés ce 17 novembre 2018, parlent au micro. "J’espère qu’il prend conscience qu’il a brisée ma vie », témoigne, en larmes, celui qui a subi un traumatisme crânien. Après les faits, il n'a pas de souvenirs. "Mais je me souviens qu’il n’y a eu aucun problème avec les autres prévenus. Il n’assume pas ce qu’il s’est tellement passé. Aujourd'hui, il est infirmier en hôpital psychiatrique. "Je ne peux plus travailler comme il faut, je suis sans cesse fatigué», dit-il. Son plus jeune frère, celui qui s’est accroché à la fenêtre le jour des faits poursuit. "Toutes les nuits, je fais des cauchemars. Je n’oublierai jamais. Je n’arrive pas à en parler autrement que comme ça", appuie-t-il, lui aussi en sanglots. La troisième victime blessée au mollet le jour des faits ne prend pas la parole. D’après la présidente, elle souffre aujourd’hui de réactions psycho-traumatiques en lien avec les blessures de ses proches.
Le prévenu reprend : "J’ai brisé des vies. Il y a des personnes traumatisées à cause de moi. Je vous présente mes sincères excuses. Je n’aurais pas du réagir comme ça. Suite à mes gestes, je vous ai blessés, vous et votre famille et je m’en veux énormément. Je m’en excuse vraiment. Si je pouvais revenir en arrière, je vous le jure je le ferais".
Réquisitions : trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis
Marlène Borde, substitut du procureur de la République, a demandé qu’il soit condamné à trois ans d’emprisonnement dont deux avec sursis probatoire assorti des obligations de se soigner, de travailler, d’indemniser les victimes. A cette demande s’ajoutent l’annulation du permis de conduire, l’interdiction du port d’arme pendant trois ans, la confiscation d’arme et de véhicule. Le jugement a été mis en délibéré au 13 mars 2023.