Ce village des Ardennes va voir sa population tripler pour accueillir le tournage du film Tirailleurs avec Omar Sy. L’heure est aux derniers préparatifs avant le tournage des premières scènes. Rencontre avec les habitants, tous mis à contribution pour l'occasion.
Avec 70 habitants, forcément, tout le monde se connaît à Neufmaison. Loin de tout, seuls deux types de personnes s’y aventurent : ceux qui y habitent, et ceux qui s’y perdent. Mais ce soir de mai 2021, un visage inconnu arpente les rues. Pire : il prend toutes les maisons du village en photo. Derrière sa fenêtre, Laïla pense tout de suite qu’il s’agit d’un cambrioleur en repérage. Mais fait plutôt curieux pour un cambrioleur, il demande à parler à monsieur le maire.
Il s’agit en fait de Mathieu Pradinaud, repéreur pour plusieurs films à succès. "Il était très sympa, vraiment gentil", décrit Laïla. "Il nous a dit qu’il cherchait un village pour tourner un film sur la Première Guerre mondiale avec Omar Sy. Il venait de parcourir 300 villages et a eu un coup de cœur pour Neufmaison."
Un poteau de fibre optique en 1917 ?
Ensuite, les choses sont allées très vite. Trois mois plus tard, le village est méconnaissable. Le goudron de la route principale est désormais recouvert de terre, comme en 1917, date à laquelle se déroulera le film. De vieilles charrues remplies de paille stationnent à la place des voitures. Des gravats de maisons détruites sont entassés le long de la place du village.
Le réalisme est tellement frappant qu’un habitant est obligé de nous expliquer : "Ce sont des faux gravats en polystyrène, comme le faux mur du faux cimetière." Quel faux cimetière ? Nous ne l’avions pas remarqué, mais les quelques tombes accolées à l’église sont elles aussi complètement fausses. Il suffit de regarder de l’autre côté du décor pour remarquer le subterfuge. Elles ont été minutieusement maquillées par des peintres italiens.
Ils sont d’ailleurs, ce lundi 16 août, en train de peindre un autre mur en polystyrène : celui qui cache une maison aux volets un peu trop modernes pour apparaître dans le film. Le travail est minutieux pour réussir à donner à la (fausse) pierre un aspect usé, exactement comme le (vrai) mur d’à côté. Difficile de s’y retrouver. Nous sommes d’ailleurs obligés de demander aux décorateurs ce qui est vrai ou faux dans ce village. C’est le cas d’un muret en pierres grises, usées par le temps et couverte de lichen : c’est en fait un mur de plâtre qui cache un poteau téléphonique.
Un peu plus loin, un autre peintre retouche une vieille tôle rouillée avec un pinceau très fin. En regardant de l’autre côté du décor, on se rend compte que la tôle est en fait flambant neuve. A une intersection, l’équipe des paysagistes recouvre un poteau électrique et ses boîtiers de fibre optique avec de la toile de jute. Le moindre oubli pourrait causer de sérieux problème d’anachronisme lors du tournage.
Pour parer ce genre de problème, les décorateurs ont dû également camoufler le monument aux morts des deux guerres mondiales. Joli pied de nez au scénario du film. Là encore, il faut demander de l’aide à une habitante qui promène son chien. Elle nous montre deux plaques que l’on distingue à peine sur le mur de l’église. Elles ont été repeintes dans la même teinte et avec le même style usé que les pierres de l’édifice. Le résultat est bluffant.
Tous les habitants mobilisés
Pour en arriver là, les équipes du film ont dû obtenir l’accord des habitants. "On n’aurait jamais pensé que tout le monde accepterait", confie une éleveuse de vaches limousines. Et pourtant, à la quasi-unanimité, les Neumaisonais l'ont fait. Il faut dire qu’il y a eu un grand travail de pédagogie : lors d’une réunion sur la place du village, le réalisateur Mathieu Vadepied a discuté avec eux du projet. Il leur a confié que Neufmaison était exactement ce qu’ils recherchaient. C’est surtout la place du village qui crée le déclic. "C’est quelqu’un de très aimable, quand il passe dans le village il dit ‘bonjour monsieur, bonjour madame’. Vous savez dans ces petits patelins, la politesse, c’est primordial !", rapelle une habitante.
Autre raison de l’enthousiasme des habitants : ils n’ont pas été mis de côté durant la préparation du tournage. Laïla, la première à avoir été en contact avec le repéreur, veille à la sécurité du périmètre la nuit, accompagnée de son berger allemand Milo. Florian, qui travaille dans le BTP, a été mis à contribution pour creuser les tranchées qui vont servir pour les scènes de guerre. Les agriculteurs du village participent à la manutention des décors.
Même ceux qui ne participent pas à la mise en place y trouvent un intérêt. Jean, qui habite entre le champ de bataille et les tas de ruines, en a profité pour approfondir l’histoire des tirailleurs sénégalais qu’il connaissait mal. Le roman Frère de l’Ombre de Nadia Hathroubi Safsaf qui trône sur sa table basse en témoigne. Il y va d’ailleurs de son commentaire : "L’histoire des tirailleurs sénégalais mérite une meilleure place dans l’histoire de la France."
Omar Sy, l’acteur principal, y est également pour quelque chose : "C’est le numéro un, Omar Sy ce n’est pas un acteur lambda", s’enthousiasme Laïla. "Rien que son nom va permettre au village d’être célèbre", en renchérit une autre.
Les habitants ne manquent pas de superlatifs pour qualifier cet événement : "C’est bluffant de voir le décor prendre forme petit à petit." "Ça n’arrive qu’une fois dans une vie." "Omar Sy à Neufmaison, je n’aurais jamais cru voir ça un jour."
Le village déjà victime de son succès
A quelques jours du début du tournage, c’est l’effervescence dans le village. Impossible de mettre la main sur monsieur le maire. Il arpente les ruelles d’un pas pressé sans s’arrêter. "J’ai 36.000 choses à faire, là il faut régler un problème de compteur d’eau." Nous n’en saurons pas plus, il disparaît derrière une grange.
Et la liste des problèmes à gérer est encore longue : le ramassage des poubelles devient plus compliqué, le stationnement des voitures doit être réorganisé… Comme si ça ne suffisait pas, la pluie fait ruisseler la terre installée sur la chaussée dans la cour d’une voisine. Il faut donc ériger un petit talus devant chez elle.
Depuis quelques jours, une nouvelle difficulté vient encore s’ajouter : les badauds viennent admirer l’installation des décors. "Depuis que le lieu du tournage a été divulgué dans la presse, il y a sans arrêt des gens qui viennent se promener. Le matin, ce sont les vélos qui traversent, l’après-midi les voitures." Ils seraient une centaine à venir certains jours selon cette riveraine.
Pourtant, le périmètre du tournage est strictement interdit, comme en témoignent les nombreux panneaux et arrêtés préfectoraux. Tout comme la prise de photos, c’est pourquoi vous n’en verrez pas plus dans cet article. L’équipe de production souhaite préserver la magie du cinéma jusqu’au bout. Les dates exactes de tournage ne nous ont d’ailleurs pas été dévoilées. Tout comme le jour d’arrivée d’Omar Sy.
Mais s’il se rend dans les Ardennes avec un peu d’avance, nous lui conseillons de visiter un autre village, encore plus petit, 51 habitants à peine, à 45 minutes de route. Le village de Sy. L'occasion pour nous de publier un article intitulé "Omar Sy à Sy".