Estelle Charlier et Romuald Collinet sont marionnettistes. Ils ont conçu et animé Annette, une marionnette qui tient le rôle principal d' "Annette", le nouveau film de Leos Carax. Voici trois raisons de (re)voir le documentaire exceptionnel "Baby Annette".
A Los Angeles, le comédien comique Henry McHenry (Adam Driver) et la cantatrice Anne Desfranoux (Marion Cotillard) forment un couple heureux et glamour. L'arrivée de leur fille Annette, une marionnette, va bouleverser leur vie d'une manière inattendue. Tel est le pitch du nouveau film musical de Leos Carax, présenté en ouverture de la 74e édition du Festival de Cannes. Pour son long-métrage, le réalisateur a été récompensé par le prix de la mise en scène.
Quand Leos Carax a choisi de réaliser le film Annette dans lequel une marionnette tient le rôle principal aux côtés de Marion Cotillard et Adam Driver, il a choisi de faire appel à Estelle Charlier et Romual Collinet. Les deux artistes de la Compagnie La Pendue, qui se sont rencontrés à l'Ecole nationale supérieure des arts de la Marionnette à Charleville-Mézières, ont décidé de le suivre dans ce drôle de projet en s'attelant à la conception, la fabrication et l'animation de la poupée. A travers le documentaire Baby Annette, le spectateur est invité à découvrir le travail très particulier des deux marionnettistes sur le film.
Voici trois raisons de visionner le documentaire Baby Annette (à l'impossible ils sont tenus) de Sandrine Veysset sur France 3 Grand Est en replay.
1- Parce qu'on découvre le métier de marionnettiste sous un angle nouveau et poétique
A l'évocation du métier de marionnettiste, il serait aisé d'imaginer un monde poussiéreux, calfeutré, un peu désuet et uniquement destiné des enfants. Détrompez-vous, Estelle Charlier et Romual Collinet nous démontrent tout le contraire.
Baby Annette est un documentaire qui met en relief le travail des marionnettistes d'une manière résolument moderne et captivante. Leur métier est décrit sous l'angle de la création, de l'innovation et de l'expérimentation. C'est un travail exigeant et impressionnant de précision qui nécessite de faire appel à des techniques nouvelles, de s'interroger sur ses savoir-faire pour les réinventer. Grâce à Estelle et Romuald, il devient évident que la marionnette est un art complexe et sophistiqué qui a encore un large champ à explorer. Pour preuve, les deux artistes passent énormément de temps à chercher, à tester, à tenter avant d'arriver au résultat escompté. Le marionnettiste n'est pas un artiste du passé, il est bien ancré dans le présent et sait faire appel aux techniques de son temps. L'apprentissage et le renouvellement de son art est constant.
A travers le documentaire Baby Annette, le spectateur perçoit également toute la difficulté de la manipulation de la marionnette. Le savoir-faire et l'expertise des protagonistes sont bien réels et la prise en main s'avère très précise et minutieuse. Rien n'est grossier, rien n'est laissé au hasard, tout se joue dans la finesse, et en cela le métier que l'on nous donne à voir brise tous les a priori.
Par ailleurs, il n'est pas possible d'évoquer Estelle et Romuald sans évoquer leur passion pour leur travail. L'amour qu'ils instillent dans leur art est omniprésent et touchant. De leur passion naît une véritable symbiose, entre eux d'abord, mais aussi avec la marionnette. Quand ils manipulent Annette, ils ne font plus qu'un avec elle, il ne sont plus qu'une seule et même entité. Ils se mettent entièrement au service de leur poupée. De leur passion et de leur rapport à cet objet si particulier naît une véritable poésie emprunte de douceur. L'exemple le plus marquant de cette affection émouvante réside dans la façon dont Estelle touche et regarde la petite Annette. Elle lui témoigne une attention et une tendresse qui bouleversent. Comme le dit si bien Romuald au début du documentaire quand Estelle fait des essais avec Annette : "Ce qui est intéressant c'est que l'on a une marionnette qui est manipulée sans tige, sans fil, mais qui est manipulée par la tendresse de la marionnettiste".
2- Parce qu'il est fascinant de voir comment la poupée prend vie et devient presque organique au point de susciter l'émotion
Mettons nous d'accord : à l'origine, Annette n'est qu'une simple poupée, un objet inanimé. Tout l'enjeu du travail des marionnettistes consiste à lui donner vie, et dans le film de Léos Carax, cela revêt un sens particulièrement fort puisque la poupée tient un des rôles principaux. Elle est la fille d'un couple d'êtres humains, et ça n'est pas rien. Romuald le souligne ainsi : "Notre difficulté de marionnettiste c’était comment faire en sorte que le spectateur qui regarde le film, puisse accepter d’un seul coup, la marionnette à l’image. […] Le rapport au réel est vraiment questionné."
Il a donc fallu trouver le bon dosage. D'abord, ne pas rendre la poupée trop réaliste pour ne pas générer une sensation dérangeante ou inquiétante. Ensuite, la rendre tout de même suffisamment réaliste pour permettre au spectateur de croire à son existence mais aussi de se laisser transporter et émouvoir par elle. Ce subtil équilibre à trouver est passé par un travail sur l'apparence de la marionnette, les matières et les textures utilisées, mais aussi sur les proportions comme l'indique Estelle Charlier : "J'ai essayé de rendre le personnage réaliste mais il ne fallait pas qu'il soit trop proche de l'humain pour ne pas tomber dans la vallée de l'étrange et qu'il soit dérangeant et gênant. Et du coup, j'ai rajouté des éléments comme ça, un peu disproportionnés, comme les oreilles. Ça lui fait quand même un visage de marionnette."
3- Parce qu'animer la marionnette est un défi artistique aussi bien que technique
Leos Carax se plaît à le rappeler régulièrement, "à l'impossible nous sommes tenu". Nul doute que cette phrase résume à elle seule l'ampleur du défi que les deux marionnettistes ont du relever face à un réalisateur exigeant et peu familier du monde des marionnettes.
Dans le documentaire Baby Annette, nous sommes invités à suivre le travail de recherche que mènent les deux artistes. Ces derniers explorent leur art, découvrent de nouvelles voies inexplorées. Nous assistons à la richesse du processus de création. Dans ce cheminement, Estelle et Romuald sont soumis à une double contrainte : les difficultés naturelles liées à l'animation de la marionnette et les impératifs dictés par le cinéma, que ce soit en terme de timing, d'image ou de son. Toute la difficulté réside en fait dans le passage du monde du théâtre au monde du cinéma qui ont chacun des contraintes propres. C'est ce que nous explique Romuald Collinet : "En tant que marionnettiste on sait que certaines contraintes ne sont pas possibles. […] Là il a fallu réinventer des matériaux, travailler de la résine, aller travailler avec l'impression 3D, travailler avec l'outil informatique, pour la construction, pas pour la manipulation. C'est à dire qu'à un moment donné on a du nous aussi aller dans des endroits qu'on ne maîtrisait absolument pas et toujours dans un timing impossible. Donc là où on allait, il fallait que ça matche."
Pour surmonter le défi posé par Annette, les deux marionnettistes déploient des trésors d'ingéniosité et d'inventivité. Tout au long du processus, ils sont amenés à s'adapter et à apprendre, et tout cela dans un laps de temps toujours serré. Pour mener à bien leur mission, ils en viennent également à collaborer avec d'autres corps de métier et à appréhender de nouveaux matériaux. Le documentaire nous raconte donc l'histoire d'un challenge à relever.
Au final, comme l'explique Estelle Charlier, l'expérience du tournage leur aura beaucoup appris et leur aura permis de grandir professionnellement : "Je suis allée dans des endroits dans lesquels je ne serais pas allée au théâtre. Et du coup ça nous a fait ouvrir de nouvelles portes."