80 ans après la Libération, des jeunes de Creney-près-Troyes réveillent la mémoire de 53 résistants fusillés

Une trentaine d'écoliers aubois s’apprêtent à commémorer, dimanche 25 août, le massacre de 53 patriotes survenu en 1944. Ils ont produit cette année une exposition sur ce drame et la Résistance, ce qui leur a récemment valu le premier prix de l’éducation citoyenne.

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Et si vous aviez été à la place des Français en 1944, qu’auriez-vous fait ? 

Cette question, la professeure des écoles de Creney-près-Troyes, Sandrine Faucheux, n’a pas hésité à la poser à certains de ses élèves cette année. Enseignante auprès des CP et des CE2, elle a réservé ce sondage aux plus âgés, mais tous ont produit des écrits ou des dessins pour une exposition. Si certains ont reconnu qu’ils "auraient obéi aux Allemands pour ne pas se faire tuer", beaucoup affirment : "Je n’aurais pas voulu travailler pour les nazis. J’aurais risqué ma vie et je me serais caché(e)."

L’effet sans doute d’une année de réflexion sur l’histoire et les valeurs en jeu en l'an 1944. Avec la bibliothécaire et deux autres collègues, dont Sandrine Maczyta, l’école élémentaire de cette commune au nord de Troyes s’est particulièrement investie en cette année de commémorations de la Seconde Guerre mondiale. Cet engagement lui a valu le premier prix de l’éducation citoyenne pour l’année scolaire 2023-2024.

"Cela nous paraissait vraiment important, explique Sandrine Faucheux. Et je tenais à ce que des enfants soient présents et bien sensibilisés lors des cérémonies." "Ma famille vient de l’Est et, forcément, j’ai été élevée avec la conscience de ce qui s’était passé, enchaîne sa collègue. Les nouvelles générations sont éloignées de tout ça et je ne voudrais pas qu’elles choisissent de mauvaises options."

Les élèves de CM2 ont rédigé des portraits des victimes des drames les plus violents connus par la commune. 

Ils s'appelaient Paul, Louis, ou Clovis

Quand on évoque 1944, la mémoire est particulièrement vive à Creney-près-Troyes. C’est dans cette commune que 53 résistants, issus de la prison Hennequin de Troyes, ont été tués par l’armée allemande, alors cette dernière sentait venir la défaite. Paul Aubert, Louis Husson, Clovis Collot et bien d’autres, ce sont leurs noms. Souvent jeunes, ces patriotes venaient des quatre coins de l’Aube, pour la plupart des maquis des Grandes Chapelles, de Saint-Mards-en-Othe et surtout de Rigny-la-Nonneuse, près de Romilly-sur-Seine. 

Le 22 août 1944, 49 détenus sont ainsi conduits sans jugement et fusillés à la mitraillette sur le champ de tir, à l’écart du village. Ils sont achevés au revolver par des SS de la Gestapo de Rennes. Leurs corps sont abandonnés sur place, sans être ensevelis, dans trois tranchées peu profondes qui servent de fosses. 

Leur mémoire est associée à celle de 4 autres patriotes fusillés en février au même endroit, mais sur des poteaux en bois, à la suite d’une condamnation par le tribunal militaire allemand de Troyes. 

Le témoignage d’un aïeul sur cette période agitée 

Pour accomplir son travail sur cette année décisive, Sandrine Faucheux a pu s’appuyer sur le témoignage conservé par le père de Camille Bablin, l’une de ses élèves de CE2. En août 1944, Gilbert Bablin, l’arrière-grand-père de la jeune fille, avait 15 ans. 

Il raconte comment son père Maurice - l’arrière-arrière-grand-père de l'écolière ! - a été réquisitionné comme les autres hommes du village pour enterrer les fusillés, en attendant la restitution des corps à leurs familles. 

Mais son récit va bien au-delà de l’histoire des fusillés. Il retrace les dernières semaines d’août 1944, le faux départ puis le vrai départ des Allemands qui surveillaient l’usine stratégique de production d’électricité, et surtout les bombardements qui obligeaient les Aubois à se cacher. 

"Les obus commençaient à pleuvoir sur le pays", écrit-il. "À midi, une accalmie nous permet de faire une omelette et nous redescendons la manger à la cave. Maintenant, nous entendons le départ et l’arrivée des obus en même temps, faisant un bruit d’enfer, signe que les chars américains sont proches de Creney."

Animaux, vie quotidienne et interrogations 

"D’une manière générale, c’est la vie quotidienne sous l’Occupation que l’on cherche à transmettre à cet âge", commente Tony Bablin, le père de Camille. Interrogée par nos soins sur ce qui l’a le plus marquée dans ce témoignage, Camille, 8 ans, confie que c’est "l’histoire des animaux". Un obus est tombé fin août 1944 devant l’écurie de la ferme familiale, blessant un cheval et tuant des vaches ainsi qu’un cochon : "Le cochon était mort, le train de derrière coupé et son lard collé au plafond." 

"Nous n’avons pas insisté sur les massacres et nous n’avons certainement pas montré les photos aux plus jeunes", note la maîtresse Sandrine Faucheux, ils y viendront par la suite. Les bombardements restent déjà assez impressionnants à évoquer et marquants, si l’on en juge par les dessins des enfants amenés à illustrer un épisode du témoignage." 

"Je me demande toujours pourquoi Hitler a voulu attaquer", ajoute Camille. Et Sandrine Faucheux d’expliquer : "On ne peut que très vaguement expliquer à ce stade les origines du conflit, et c’est pareil pour ce qui se passe en Ukraine. Enfin, ils ont bien compris qu’on est dans un pays libre, mais que la guerre continue ailleurs."

53 arbres bleu-blanc-rouge

Le souvenir du drame des fusillés de Creney-près-Troyes a été immortalisé quelques années après les faits par un monument spécial. Il comprend une statue d’un jeune homme vacillant, mais aussi des bas-reliefs aussi sobres qu’émouvants représentant des corps entremêlés. 

Comme tous les 10 ans, ce dimanche 25 août, les 80 ans de cet événement devraient en tout cas être salués par une cérémonie très suivie sur le fameux champ de tir, le lieu même des exécutions où une autre stèle a été érigée par la suite.

 Une messe dite par l’évêque de Troyes se déroulera en plein air en présence des élus, de membres des familles, mais aussi d’une trentaine de jeunes de l’école. Entre la Marseillaise et le Chant des partisans qu’ils ont appris cette année, chaque jeune devrait lire le nom d’un martyr en se plaçant près de l’un des 53 arbres plantés à l’occasion du cinquantenaire. Des arbres qui ont déjà de la hauteur et seront fleuris pour l’occasion de bouquets bleu-blanc-rouge. 

 

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