La signature le 1er mai d’un accord de cession du groupe Soufflet basé à Nogent-sur-Seine dans l'Aube avec le groupe Invivo marque une étape. Restent les autorisations des autorités de concurrence. Jean-Michel Soufflet, le PDG du groupe agroalimentaire revient sur cette transition annoncée.
Une page d'histoire nationale de l'agro-alimentaire est en train de se tourner dans l'Aube et à Nogent-sur-Seine en particulier. La signature le 1er mai 2021 d’un accord de cession du groupe Soufflet, historique et familial, dont le siège est à Nogent-sur-Seine, au groupement français de coopératives InVivo, vient clore des négociations débutées en janvier 2021. Si cette acquisition "reste soumise à l’obtention des autorisations nécessaires des autorités de concurrence compétentes, ce rapprochement entre deux groupes français d’envergure internationale constituera un pilier de la souveraineté alimentaire française, créateur de valeur pour les agriculteurs et l’ensemble des acteurs des filières agricoles", précisent les deux groupes.
Cette cession annoncée pour l'automne 2021 est un tournant pour le milieu agro-alimentaire français et mondial, car les deux entités pèsent au total, 10 milliards d'euros de chiffre d'affaire sur la période 2019-2020. Le groupe Soufflet travaille sur les filières orge, blé et riz et légumineuses, et dans l’accompagnement des viticulteurs. Il est le premier collecteur privé de céréales en Europe, et intervient sur les marchés internationaux. Il emploie 6.851 collaborateurs dans 19 pays. Quant à InVivo, il réunit 192 coopératives en France. "Sa raison d’être est de favoriser la transition agricole et alimentaire vers un agrosystème résilient". Il emploie 5.873 collaborateurs dans 19 pays.
Jean-Michel Soufflet, 64 ans, est aujourd'hui le président du directoire du groupe qui porte son nom, fort de 120 ans d'histoire familiale. Il évoque cette cession et l'émotion qu'il ressent à l'heure de la signature. Ce dirigeant d'entreprise, fils de Michel Soufflet, lui-même âgé de 90 ans, éternel patriarche du groupe, nous a reçu à Nogent-sur-Seine le 11 mai, dans son bureau avec vue sur la Seine, d'où l'on observe les immenses silos à grains qui jouxtent le siège de l'entreprise. Il fait face aussi au premier silo de l'entreprise familiale, construit en 1939 par son grand-père, Jean Soufflet.
France 3 Champagne-Ardenne : Vous allez donc céder votre entreprise au groupe InVivo, où en est-on de la transaction ?
Jean-Michel Soufflet : Elle suit son cours globalement dans le timing prévu initialement et nous venons de signer le 1er mai exactement ce qu'on appelle le sign in, c'est à dire que on est tombés d'accord sur le prix, les conditions de la cession dans les grandes lignes et maintenant on s'achemine vers ce qu'on appelle le closing, c'est à dire la rédaction finale de tous les actes. Et puis la transmission des titres au nouvel acquéreur. Pour cela on se doit d'attendre entre-temps les décisions des autorités compétentes en matière de concurrence au niveau européen, donc ce qui devrait nous mener normalement jusqu'au mois d'octobre novembre prochain, j'imagine. C'est un soulagement et un déchirement, c'est un peu les deux à la fois.
Soulagement d'avoir d'avoir transmis une entreprise et de faire en sorte qu'on assure ainsi sa pérennité, c'était un but que je recherchais depuis déjà quelques années. Mais un déchirement aussi, parce que aujourd'hui, les signatures se font sur sur l'ordinateur. Au moment où vous appuyez sur le bouton pour signer, toute votre histoire revient dans votre tête rapidement et c'est un moment à passer quand même. Soulagement, déchirement, c'est un mélange des deux.
C'est un séisme aussi dans le monde agricole parce que vous vendez à une coopérative. Vous étiez un négoce, le plus gros négoce en France, comment ça s'explique ?
Quand j'ai décidé qu'il était temps pour moi de transmettre l'entreprise, j'ai cherché dans l'idéal d'une entreprise familiale capable de reprendre le groupe. Le groupe a une certaine importance. Donc il fallait un groupe familial d'une taille au moins aussi importante que la nôtre. Et j'ai commencé à chercher. J'ai regardé un peu en France, il n'y avait personne qui était capable, ou intéressé de reprendre l'entreprise dans le domaine d'activité. Donc je suis allé voir à l'étranger également ou j'ai rencontré sur le globe différentes entreprises familiales. Et puis je me suis rendu compte finalement que des entreprises familiales telles que les nôtres totalement consacrées au développement de leur entreprise qui ne distribue pas de dividendes à leurs actionnaires, il n'y en a pas.
Donc j'ai rencontré différentes familles mais toutes avec une culture extrêmement financière, proche d'une culture de fonds de pension et donc qui aurait aboutit inexorablement à un éclatement du groupe en mille morceaux, et de tout ce que les quatre générations de Soufflet avaient construit. Avec les les dégâts sociaux que celà implique. Je me suis dit qu'on ne pouvait pas aller dans ce sens-là. Donc j'ai commencé à élargir mon champ de vision et je me suis dit qu'il y avait en France, InVivo, une coopérative de coopératives. Qui avait les moyens, et envie également de reprendre le groupe Soufflet parce que ça donnait de la cohérence à InVivo dans les métiers céréaliers. Je me suis rendu compte que finalement, il y avait beaucoup moins d'écart culturel entre une coopérative comme InVivo que des groupes familiaux étrangers avec des visions capitalistiques poussée à l'extrême. C'est la raison pour laquelle on s'est entendu et pour laquelle on a continué les discussions.
Beaucoup d'agriculteurs sont un petit peu dubitatifs aujourd'hui parce qu'ils ont l'habitude de travailler avec votre père, Michel Soufflet et avec vous depuis des années, qu'avez vous envie de leur dire aujourd'hui?
On a vu beaucoup d'agriculteurs après l'annonce du 13 janvier dernier qui sont venus et beaucoup nous ont dit, on savait que cela devait arriver puisqu'il n' a pas de succession. On est un peu pris de vitesse car on ne savait pas que c'était maintenant. Évidemment on a gardé le secret au maximum et les agriculteurs ont dit finalement, c'est bien, le siège reste à Nogent. Le nom soufflet restera, les équipes Soufflet resteront, il n'y a pas de plan social. Et c'est français, c'est une solution française, ça plaît beaucoup aux agriculteurs. Et ça permet donc de d'assurer la pérennité de l'entreprise.
Aujourd'hui, ce qui est important pour les agriculteurs, c'est que nos équipes restent en place et nos équipes demain, elles seront toujours là. On sera filiale privée d'une coopérative.
Mais aujourd'hui, ce qui est important pour les agriculteurs, c'est que nos équipes restent en place et nos équipes demain, elles seront toujours là. On sera filiale privée d'une coopérative. Comme il y a des filiales privées de toutes les coopératives, comme Vivescia etc. Et on aura, en plus de ça, des armes qui seront mises à disposition de nos équipes par InVivo. Des aides à la décision, sur tout ce qui est digital, tout ce qui est bio, protection, fertilisation, des armes complémentaires à la disposition de nos équipes pour nos clients agriculteurs. Donc pour moi ça ne change rien et je pense même que en étant plus gros, on devrait pouvoir être à même d'offrir de meilleures conditions commerciales à nos clients.
Vous le vendez un groupe français, y a t-il eu des pressions politiques gouvernementales pour vendre un groupe français ou pas du tout?
Non, mais si on ne l'avait pas fait, il y en aurait eu je pense. (Sourire). On a eu Bruno Le Maire au téléphone (ministre de l'économie et des finances) à ce sujet qui a été très positif sur l'opération, j'espère une réponse positive de la direction de la concurrence, parce qu'on va dans un premier temps passer au niveau de la direction de la concurrence européenne et éventuellement au niveau français. Donc j'espère qu'on ira dans la logique de transmission franco-française des entreprises jusqu'au bout.
On imagine que c'est aussi pour vous un immense pincement au coeur parce que c'est un groupe vieux de 120 ans maintenant créé par votre grand-Père Jean avec rien au départ ?
Oui, c'était la graineterie au début. Graineterie au niveau local à Nogent ou les gens venaient chercher les graines pour donner à manger à leurs poulets dans leur cour. Et puis petit à petit, ça s'est développé au niveau du commerce de céréales au niveau local et un peu français, et dans le nord de l'Europe, Belgique, Hollande, Allemagne par mon grand-père avec le premier silo construit par mon grand-père qui est toujours là à Nogent.
Au niveau exportations international, on s'est développé avec notamment la construction de notre silo de Rouen en 1968 et puis ensuite la première transformation des céréales et depuis les années 2000, l'internationalisation et la transformation des céréales également avec la BP.
Vous êtes aujourd'hui aussi l'un des plus grands employeurs de la région Grand Est. Avec plus de 7.000 emplois. Est-ce qu'il y a une crainte des employés par rapport à des plans de licenciement ou pas par rapport à ce rachat du niveau?
Quand j'étais gamin, on était à peu près une dizaine d'employés, on est maintenant plus de 7.000. L'entreprise a a beaucoup changé, mais l'état d'esprit familial persiste quand même beaucoup à Nogent. Un peu moins, c'est vrai, dans les filiales qui sont éloignées et notamment à l'étranger comme au Kazakhstan ou en Éthiopie, où le côté familial est moins prégnant. Mais on essaye de faire perdurer cette culture. L'état d'esprit changera c'est sûr. Mais je pense que le côté mutualiste de de InVivo fait que finalement, l'ADN Soufflet n'est pas si loin que ça de l'ADN InVivo et j'espère que les bons côtés de la culture Soufflet persisteront au-delà de la reprise par InVivo.
Les salariés ont toujours peur du changement et je les comprends. Tout changement fait toujours peur. En tout cas, InVivo nous a assuré qu'il y avait pas de plan social prévu, rien du tout de ce genre. Ils doivent être rassurés, c'est pour eux, pour les agriculteurs également, la meilleure des solutions qu'on puisse trouver la transmission au groupe InVivo justement.
France 3 : Le siège est à Nogent-sur-Seine aujourd'hui, mais est-ce qu'il repartira à Paris ?
Il est à Nogent et restera à Nogent. Je pense même que InVivo ramènera quelques services complémentaires au siège de Nogent. Ce qui devrait apporter un petit peu d'emplois complémentaires sur la ville de Nogent et c'est une bonne chose aussi.
Quels sont vos projets dans le groupe aujourd'hui ?
Notre moulin de Corbeil-Essonnes, qui est le plus gros moulin en France, est un moulin qui produit 1.300 tonnes par jour, on est en train de le refaire complètement. C'est un gros chantier. Investissement le à peu près 40000€ qui va rentrer en fonction au mois de septembre octobre prochain. Quasiment au moment de la signature finale, je pense, voilà.
Quelles sont les filières qu'InVivo veut développer aujourd'hui ?
Je ne connais pas toutes leurs intentions mais ce que je sais c'est qu'ils comptent mettre un accélérateur sur le malt. Je pense qu'il va déjà falloir du temps pour prendre possession de tous les dossiers, tous les métiers, tous nos sites. On a quand même 9 métiers différents avec 9 problématiques différentes. Il va leur falloir un petit peu de temps pour comprendre tout ça. Assimiler tout ça, redéfinir une stratégie, une feuille de route pour chacun de ces métiers. Après moi je sais pas quelles sont leurs ambitions. Je sais qu'ils en ont, mais dans le détail, je ne suis pas dans le secret des dieux.
Votre père, Michel Soufflet est toujours là. À 90 ans, il vient tous les jours sur le site, il connaît le prénom quasiment de tous les employés du siège. Comment vit-il la chose?
Mon père, au début a eu du mal. Je crois que j'ai presque eu plus de mal à le convaincre, qu'à trouver un acheteur. Et puis finalement, ses amis agriculteurs sont allés le voir au moment de la reprise. En lui disant qu'il n'y avait pas de meilleure solution que celle là, et donc je pense qu'il a quand même été rassuré, soulagé. Il a compris que c'était c'était inéluctable. Il y a même beaucoup de gens qui sont venus me voir en me disant, 'c'est bien que vous l'ayez fait ensemble. Votre père et vous, et que vous n'ayez pas attendu le décès de votre père ou autre pour faire cette opération. C'est bien de l'avoir fait avec un groupe basé en France en vous avez assumé votre rôle de dirigeant d'entreprise en prévoyant l'avenir. Vous assumez votre rôle de leader familial pour ce qui concerne mon père, en accompagnant le mouvement.
C'est sûr que c'est un pincement au coeur pour lui. Mais aujourd'hui, il est toujours dans le développement, comme moi. D'ailleurs, on continue à raisonner comme si le groupe allait encore perdurer pendant 50 ans ou 100 ans, quand on prend une décision, on la prend dans l'intérêt du groupe. À aucun moment on ne s'est mis en position de vendeur du groupe. Tout vendeur, en toute logique, aurait dû réduire les coûts marketing, les coûts recherche-développement, les coûts d'entretien des usines. On n'a rien fait de tout ça. On continue à développer le groupe comme auparavant, on continue à investir comme auparavant, jusqu'au moment où on donnera les clés du groupe à InVivo
Pour vous Jean-Michel Soufflet, c'est la fin aussi d'une aventure, peut être la retraite dans quelques mois, ça vous fait peur ?
Je ne sais pas ce qui va se passer, je n'imagine même pas. Parce que pour l'instant j'ai le nez dans le guidon, toujours sur le quotidien. Et puis je fais la transaction, il faut qu'on mène tout cela à terme. Je me suis proposé d'être à leur service pour les aider à faire la passation. Mais je suis bien conscient que souvent les anciens dirigeants, quand on les a dans l'entreprise qu'on vient de reprendre -je l'ai vécu- au bout d'un certain temps, on leur dit, 'bon ça va mais t'es plus chez toi'. Reste à la maison. Et puis moi, en tant que dirigeant actuel, si demain je ne peux plus investir désinvestir, embaucher, réorganiser, si je n'ai plus de décisions à prendre, quelle sera ma place ici ? Donc je pense que la transition sera forcément assez rapide.